L’organe national de protection de l’enfance peine à voir le jour en dépit de la désignation, il y a cinq mois, de sa présidente, Meriem Cherfi, en qualité de déléguée nationale. Ledit organe, faut-il le préciser, s’impose comme une nécessité eu égard à la montée de plus en plus inquiétante des violences à l’égard des enfants... Institué par la loi 15/12 de juillet 2016, l’organe de protection de l’enfance est toujours en attente de décret d’application. Installée il y a plus de cinq mois, sa présidente, Mme Cherfi, juge des mineurs, se trouve ainsi dans l’incapacité de se lancer dans ses missions. Pourtant, lors de son installation par le Premier ministre auprès duquel l’organe a été placé, celui-ci l’a exhortée à «se consacrer pleinement, en relation avec les institutions concernées, à protéger les droits des enfants sans discrimination de sexe, de couleur, de langue, d’opinion et de handicap». M. Sellal avait même qualifié cette protection de «mission des plus nobles, au regard de nos traditions et de notre culture. Elle l’est d’autant plus que les nouvelles technologies de l’information et la fragilité de l’environnement dans un monde en perpétuel changement n’épargnent personne et encore moins les plus faibles et les enfants». Cet organe, faut-il le préciser, s’est imposé comme une nécessité eu égard à la montée de plus en plus inquiétante des violences à l’égard des enfants, des mineurs en situation de délinquance ou en danger moral aussi bien en milieu familial que dans les espaces publics ou les centres de prise en charge dédiés aux mineurs. La société civile n’a donc de cesse d’exhorter l’Etat à assumer sa responsabilité dans la protection des enfants et de respecter ses engagements internationaux en leur assurant une meilleure protection sociale, juridique et judiciaire. Lors du dernier amendement de la Constitution, après la promulgation de la loi portant protection de l’enfance, une disposition a été introduite dans la Loi fondamentale portant institution d’un organe dédié à la protection des enfants dont l’une des missions est de mener des enquêtes sur les cas de violence ou de maltraitance et de prendre les mesures adéquates, y compris celles qui consistent à saisir le ministre de la Justice lorsque les faits constatés relèvent du pénal. Interrogée sur le sujet, la directrice du Centre d’information et de documentation sur les droits de l’enfant et de la femme (Ciddef), Nadia Aït Zaï, précise d’emblée que cet organe s’ajoute aux nombreux autres mécanismes qui existent déjà. «Cette institution, quoique autonome, rattachée au Premier ministère, fait partie de la chaîne existante des mécanismes d’intervention et de protection. C’est une solution parmi d’autres qui n’intervient pas directement dans la protection de l’enfant, mais pour être le porte-voix ou le porte-parole de l’enfant en identifiant les violations de ses droits. D’ailleurs, ses attributions sont bien définies : veiller à la protection et à la promotion des droits de l’enfant. Cet organe a pour mission de promouvoir les droits de l’enfant à travers le suivi des actions entreprises sur le terrain dans le domaine de la protection de l’enfance, d’entreprendre des actions de sensibilisation, d’information et de communication. Le délégué encourage la recherche et l’enseignement dans le domaine des droits de l’enfant, formule des avis sur la législation nationale relative aux droits de l’enfant, en vue de son amélioration, promeut la participation de la société civile dans le suivi et la promotion des droits de l’enfant. Jusque-là, il rejoint les attributions des délégués et défenseurs des droits de l’enfant nommés dans d’autres pays», indique la juriste. Cependant, Mme Aït Zaï estime que les prérogatives de cette institution restent très confuses, parce qu’«elles interfèrent avec celles des autres mécanismes existants». Elle explique : «Là où le bât blesse, c’est lorsque la loi transforme cet organisme en autorité administrative puisant dans les prérogatives d’autres administrations, créant ainsi une confusion dans le rôle du délégué qui doit être un organe souple. Le délégué met en place un système national d’information sur la situation des enfants, en coordination avec les administrations et institutions concernées. En principe, ce qui est normal, c’est que ce système d’information soit mis en place à partir des plaintes ou dénonciations qu’il reçoit, mais tel que formulé. Cela veut-il dire que les services de police et gendarmerie contribueront à la mise en place de ce système ou fondront-ils leur système d’information sur celui que créera le délégué ? C’est une affaire à suivre.» La directrice du Ciddef relève par ailleurs «une ambiguïté» dans la formulation de l’article 13 de la loi sur la protection de l’enfant. «Cette ambigüité est de taille. Elle hisse l’organe national de protection au rang de ministère qui met en place des programmes nationaux. De fait, il doit absorber la direction de l’enfance du ministère de la Solidarité en assumant une partie de ses attributions. D’ailleurs, l’article 13 dispose de la loi qui est bien claire, puisqu’il évoque comme attribution de l’organe la mise en place et l’évaluation périodique de programmes nationaux et locaux de protection et de promotion des droits de l’enfant en coordination avec les différentes administrations, institutions et établissements publics et personnes chargées de la sauvegarde de l’enfance.» Pour Mme Aït Zaï, le contenu de cet article suscite deux remarques : «Est-ce que la mise en place des programmes nationaux et locaux est du ressort du délégué national ou de celui des Service d’observation d’éducation en milieu ouvert (Soemo) ? Ces Soemo seront-ils mis sous la responsabilité du délégué alors que ces derniers aspirent également à être autonomes et font partie de la chaîne de protection de l’enfant lorsqu’ils sont saisis par le délégué lui-même ?» La juriste rappelle, à juste titre, la procédure de saisine du délégué qui, elle, ne laisse pas de doute sur les prérogatives de chaque chaîne d’intervention dans le domaine. En vertu de la loi, souligne-t-elle, cette saisine se fait par tout enfant, son représentant légal ou toute autre personne physique ou morale, et/ou dénonciation relative aux atteintes aux droits de l’enfant. «Le délégué transmet les dénonciations au service du milieu ouvert pour enquête et prises de mesures adéquates. L’article 16 de la loi sur la protection de l’enfant clarifie le travail de chacune de ses institutions et prouve bien la chaîne d’institution autonome les unes des autres mises en place pour la protection de l’enfant. En tout état de cause, le délégué ne doit se substituer ni au ministère de la Solidarité, ni au pouvoir judiciaire, ni au service en milieu ouvert. Il y a une interaction entre ces trois institutions et administrations autonomes. Par contre, ce qui caractérise le délégué, c’est le rapport annuel qu’il établit sur la situation des droits de l’enfant et l’état d’exécution de la convention sur les droits de l’enfant. Il contribue ainsi à l’élaboration des rapports relatifs aux droits de l’enfant que l’Etat présente aux institutions internationales et régionales spécialisées.» Sur l’absence de décret d’application lié à la mise en place de cet organe, Mme Aït Zaï affirme qu’en dépit de la nomination d’un délégué, ce dernier ne peut intervenir que lorsque ses missions seront clairement définies par décret. «Il faut peut-être assouplir ses missions pour qu’il puisse agir en toute liberté et non pas le transformer en une autorité administrative bureaucratique et encore moins le substituer aux institutions existantes. Il y a lieu de réfléchir à la construction d’un système de protection cohérent, dont tous les mécanismes sont un maillon d’une chaîne bien huilée. Entre-temps, le délégué peut quand même se faire connaître des associations et du grand public. Il doit être à l’écoute et proche des enfants, des parents, des éducateurs et autres intervenants et professionnels sur les questions de l’enfance», conclut-elle.
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