samedi 3 juin 2017

Saïda rongée par un chômage endémique

Frappée de plein fouet, au début des années 1980, par une brusque désindustrialisation, Saïda (377 253 habitants) enregistre aujourd’hui l’un des taux de chômage les plus élevés du pays. Saïda, à 480 kilomètres à l’ouest d’Alger. Au cercle du Mouloudia, lieu emblématique de la ville, les regards des clients sont rivés sur l’écran qui diffuse l’info en continu. En cette matinée du 15 mai, ils sont nombreux à commenter encore la faible participation des électeurs (43%) au scrutin du 4 mai. «A quoi bon voter lorsque vous voyez tous ces jeunes gâcher leur temps à ne rien faire, attablés au café des heures durant ?» nous lance Sidi Ahmed, retraité de l’éducation. «Saïda est devenue une ville de vieux et de chômeurs», dit-t-il. Avec ses trottoirs défoncés, ses décharges à ciel ouvert et son centre-ville décati, elle semble, aujourd’hui, bloquée depuis trente ans en arrière. «L’activité économique s’est rétractée et on n’a pas su se renouveler», déplore Ali Abdellaoui, rencontré à l’hôtel d’Orient, en contrebas de la mairie de Saïda. «Actuellement, notre fleuron c’est quoi, une usine de mise en bouteille d’eau minérale, deux briqueteries et une minoterie ?» s’interroge-t-il. Ancien cadre à la Sonic, papeterie publique qui employait quelque 4000 travailleurs dans les années 1970, M. Abdellaoui est à la tête du Comité d’action culturelle (CAC), un cercle de réflexion qui s’efforce, bon gré mal gré, d’instaurer un débat constructif autour des questions relatives au quotidien de la ville de Saïda. Pour lui, Saïda souffre surtout d’une mauvaise gouvernance. «La wilaya de Saïda n’arrive pas à attirer les investisseurs parce qu’elle n’a pas réussi à effectuer sa mise à niveau sur le plan des infrastructures. Beaucoup de projets n’ont pas été lancés à temps et nous n’avons pas su profiter de l’embellie financière des années 2010», explique-t-il. Lui refuse de faire de la fixation sur les chiffres du chômage rapportés par la presse au lendemain de la visite de l’ex-ministre du Travail dans la wilaya de Saïda. Le 12 janvier 2017, Mohamed El Ghazi exhortait à «plus de transparence dans l’octroi des contrats de travail délivrés par les agence de wilaya de l’emploi». Lors d’un point de presse animé à la station thermale de Hammam Rabi, les journalistes présents retiennent ce chiffre : 55% le taux de chômage à Saïda, citant Abdelkrim Chlef, directeur de l’agence locale de l’ANEM. M. El Ghazi juge ce taux «très élevé par rapport à la moyenne nationale qui est de 9,9%». Taux de chômage, le grand écart Dans les faits, après plusieurs recoupements, le taux officiel annoncé ce jour-là au ministre du Travail est de 10,55%, et non pas de 55%. Un écart de pratiquement de 40% qui est presque passé inaperçu. «La tendance n’est pas propre à Saïda, mais elle y est plus prononcée», observe Hassen Ksentini, éco-biologiste, membre du CAC. «Peu importe les statistiques, tant les chiffres balancés ici et là sont difficilement vérifiables par des organes indépendants. Ce qui est sûr et certain, c’est que le chômage a atteint des cimes dans la ville des Eaux», assène-t-il. Dans son bureau de l’agence de l’emploi (ANEM), sis au quartier de Sidi Cheikh, Chlef Abdelkrim, jeune cadre élégant et affable, pèse ses mots. Directeur de cette agence intermédiaire depuis peu, il tente d’être le plus précis possible. «Saïda ne dispose pas d’un bassin d’emploi important, mis à part celui très fluctuant du secteur du bâtiment», fait-il remarquer. Il trouve assez exagéré le taux de chômage (55%) rapporté par la presse en se basant sur une dépêche de l’APS. Le taux de chômage, affirme-t-il, s’est réduit à 10,08% en 2017, selon les statistiques compulsées au niveau de l’ANEM. De janvier à avril 2017, précise M. Chlef, la demande exprimée s’élevait à 4055 postes d’emploi pour une offre de 1095 postes, avec, au final, seulement 797 placements à travers toute la wilaya. Le plus grand pourvoyeur d’emplois est le secteur de la Fonction publique, où, pour arracher un contrat de travail aidé destiné aux jeunes diplômés, il faut patienter de longs mois. «C’est vrai que des choses ont été faites ici, mais il n’y a pas assez de projets pouvant absorber une forte demande d’emploi. La plupart des jeunes veulent être embauchés par l’Etat : c’est la garantie d’un bon salaire et de meilleures conditions de travail. Pour les grandes entreprises, publiques ou privées, il ne faut pas trop y compter», confie le directeur de l’ANEM. Il cite pour exemple le cas de ces jeunes ouvriers recrutés en 2016 par la société chinoise BRCC et qui, au bout de 3 jours, ont abandonné leur poste de travail. «Pour un pécule de 800 DA/jour et des conditions de travail contraignantes, la plupart des ouvriers ont laissé tomber». Beaucoup d’entre eux préfèrent exercer de petits métiers ou vont voir ailleurs, à Oran, Tiaret ou Sidi Bel Abbès «plutôt que d’accepter des emplois pénibles et très mal payés», soutient M. Chlef. Protesta à la direction de l’emploi Lundi 22 mai 2017. Quartier de Sidi Cheikh. A l’entrée du siège de la direction de l’emploi de la wilaya de Saïda, des demandeurs d’emploi crient leur désarroi, banderoles à la main. Ils réclament le départ du directeur de l’emploi, incapable, selon eux, de répartir «équitablement» et en toute «transparence» les quelques postes de travail octroyés par la tutelle dans le cadre des Contrats d’aide au travail (CAT). Baz Mohamed, 32 ans, a repris le petit magasin familial d’alimentation, faute de travail, alors qu’il est doctorant en droit. Cela ne l’empêche pas de venir fréquemment, depuis 6 ans, aux nouvelles dans l’espoir de décrocher un poste d’emploi. «Les recrutements se font au compte-gouttes, il faut du piston pour faire partie des heureux lauréats», s’emporte Baz, déjà père de deux enfants. Refusant de céder à la monotonie ambiante, il s’est décidé, à ses heures libres, d’assurer des cours de soutien à ses voisins du quartier de Boukhors. «C’est pour inculquer aux plus jeunes la nécessité de poursuivre leurs études malgré le chômage endémique qui frappe les jeunes diplômés», explique-t-il. A partir de 2014, «le taux de chômage a explosé à Saïda», assure M. Bouklikha, président de l’Association nationale pour la défense et la promotion de l’emploi (ANDPE). Selon lui, les instructions émises récemment par le ministère du Travail portant sur l’interdiction de recrutement dans le cadre du travail aidé (CTA) d’anciens bénéficiaires du dispositif d’insertion (DAIP) n’ont fait qu’accentuer les choses. El Yahia Alaa, 34 ans, collectionne, lui, les diplômes : licence en droit, technicien supérieur (TS) en comptabilité, études approfondies (DEUA) en management, mais il sait très bien qu’il ne trouvera pas le poste qui lui convient, encore moins dans la région. Sid Ahmed, futur pôle industriel «Même lorsque vous arrivez à décrocher un contrat d’aide au travail, vous n’avez aucune perspective. C’est juste pour justifier d’une expérience professionnelle.» Quatrième d’une fratrie de six, Zakaria Moulay avait arrêté ses études en troisième année de lycée pour suivre une formation de peintre avant de tenter sa chance avec un club de foot amateur. A 24 ans, il a déjà décroché les crampons et s’est converti en garçon de café. Il touche 700 DA/jour, travail sans couverture sociale, et fait partie de cette frange de la société vouée à la précarité, serviable et corvéable à merci. «Faut pas trop se faire d’illusions, il n’y a plus d’avenir ici pour les jeunes. Mieux vaut amasser un max d’argent et prendre le large…», lui conseille l’un de ses amis. Le sit-in des chômeurs de Saïda, le second en l’espace de deux mois, prend fin à la mi-journée dans le calme, sans que le directeur de l’emploi ne donne signe de vie. Nous avons tenté de prendre attache avec lui, mais au niveau de son secrétariat, c’est toujours la même formule : «Il est en réunion à la wilaya.» Retour au centre-ville de Saïda. Boubekri Boubekeur, chef de service à la direction de l’industrie, est catégorique : seule une reprise de l’investissement productif est en mesure de faire baisser le taux de chômage. Selon lui, beaucoup d’espoirs sont portés sur la nouvelle zone industrielle (100 hectares) de Koléa, à Sidi Ahmed, à 40 km au sud de la ville de Saïda. «Avec la réussite du projet d’Ezaraa de plantations d’oliviers, la priorité est désormais accordée aux investissements dans l’agroalimentaire», révèle-t-il, tout en précisant que l’usine d’assemblage de véhicules Suzuki de Tahkout Manufacturing Company (TMC) permettra la création de 400 à 600 emplois dès sa mise en service prévue pour 2018. «Pour attirer le maximum d’investisseurs, nous proposons une concession de 33 ans au prix d’un dinar au mètre carré durant 10 ans, une exonération de la TVA, des taxes douanières, de l’IBS et de l’IRG, et ce, avec un délai d’acceptation du projet ne dépassant les 8 jours.» promet-il.            

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