Le feuilleton Bedjaoui-Khelil continue avec son lot de révélations scandaleuses sur la dilapidation de l’argent public. Le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), qui a mis en lumière le scandale Panama Papers — en révélant d’ailleurs dans ses précédentes livraisons la détention de sociétés offshore par Farid Bedjaoui et la famille Khelil — revient cette semaine avec un dossier consacré à l’Afrique et au détournement des profits pétroliers par des dirigeants de certains pays du continent. L’Algérie figure en «bonne place» dans ce dossier, largement repris par le prestigieux journal américain New York Times dans son édition d’hier. «Des deals secrets privent l’Afrique de milliards de dollars de revenus», souligne l’ICIJ, en faisant cette fois le lien entre les sociétés offshore créées par l’intermédiaire du cabinet d’avocats Mossack Fonseca et le détournement des revenus des contrats de vente ou de projets dans le secteur des hydrocarbures ou autres ressources naturelles. Farid Bedjaoui, qui se trouve actuellement dans une réplique du quartier américain huppé de Beverly Hills à Dubaï, dont les sociétés offshore sont qualifiées de «carrefour des flux financiers illicites», est celui à travers lequel la famille Khelil a bénéficié des contrats signés avec la firme italienne Saipem. «Quand il n’est pas à bord de son yacht, Farid Bedjaoui occupe la cour de l’hôtel Bulgari à Milan, un palais rénové du XVIIIe siècle niché entre les jardins botaniques et le théâtre La Scala. Sur cinq ans, la note d’hôtel de Bedjaoui a largement dépassé les 100 000 dollars», décrit le rapport de l’ICIJ, en notant que Bedjaoui y recevait des responsables et cadres du gouvernement algérien ainsi que des dirigeants de Saipem. 1,5 milliard de dollars détournés par an «Leur ordre du jour est révélé par des témoins interrogés par les enquêteurs italiens : organiser le transfert de 275 millions de dollars de pots-de-vin afin d’aider la compagnie italienne à gagner plus de 10 milliards de dollars en contrats de construction de pipelines en Algérie.» La mission de Bedjaoui est au cœur de l’organisation du transfert en question entre les deux pays. Il utilise à cet effet un groupe de 17 sociétés offshore, dont une douzaine ont été créées par le cabinet Mossack Fonseca. Les enquêteurs italiens arrivent à la confirmation que Bedjaoui a utilisé une entreprise pour acheminer quelque 15 millions de dollars au profit d’associés et membres de la famille de l’ancien ministre de l’Energie, Chakib Khelil. Des yachts, des Warhol et Dali Le document de l’ICIJ rappelle que les enquêteurs italiens accusent Bedjaoui, appelé «Monsieur 3%», de gonfler la valeur des contrats au profit de responsables algériens et de prendre une marge à son compte. Présentée comme un «modèle» en Afrique sur la dilapidation des recettes des richesses naturelles, l’Algérie a perdu entre 2004 et 2013, note l’ICIJ, 1,5 milliard de dollars par an à cause de l’évasion fiscale, la corruption et la criminalité, selon les estimations de l’indice d’intégrité financière mondiale. Les Nations unies estiment que 50 milliards au moins s’évaporent chaque année du continent africain à travers le flux d’argent illicite. «Avec ses nationalités française, canadienne et algérienne, le neveu de l’ancien ministre des Affaires étrangères a ouvert des comptes bancaires un peu partout… Depuis 11 ans, Mossack Fonseca travaille pour Bedjaoui et une demi-douzaine de membres de sa famille, amis et associés à des fins d’enrichissement illicite», indique l’enquête de l’ICIJ, en notant que Bedjaoui et ses associés ont choisi les règles du secret pour «assurer l’anonymat aux actionnaires» et brouiller les pistes des bénéficiaires. En sus d’échanger des numéros de téléphone secrets, l’argent des commissions est aussi réparti entre 16 comptes bancaires établis à Dubaï, en Algérie, à Singapour, Londres, Hong Kong, en Suisse et au Liban. Farid Bedjaoui menait, grâce à l’argent du contribuable détourné, une vie de prince. «La police canadienne a saisi les actifs de Bedjaoui à Montréal et les autorités françaises ont fait une descente dans son appartement situé sur une avenue bordée d’arbres à Paris, et ont saisi des tableaux de Warhol, Miro et Dali, ainsi que son yacht de 43 mètres.» Les autorités américaines ont elles aussi examiné trois demeures situées à New York d’une valeur de plus de 50 millions de dollars achetées par Bedjaoui Farid, dont une copropriété sur Fifth Avenue acquise pour 28,5 millions de dollars. Les enquêteurs italiens, qui ont demandé au ministère de la Justice américain des registres de propriété et des informations sur l’origine des fonds utilisés pour acheter des biens immobiliers à Rockville, Potomac et Maryland, ont reçu, entre autres, des documents attestant qu’une société sise à Delaware, spécialisée dans le transfert d’actifs, a émis 26 millions de dollars de la banque new-yorkaise Mellon à JP Morgan Chase afin de compléter l’achat de la copropriété de Central Park. «L’investissement du produit de la corruption dans l’immobilier aux Etats-Unis est un modus operandi typique du groupe criminel imputable à Bedjaoui», notent les enquêteurs italiens. Le cabinet Mossack Fonseca, qui nie être au courant des affaires judiciaires liées à la source de l’argent de Bedjaoui avant septembre 2013, a continué à gérer les actifs d’une des sociétés du neveu du ministre jusqu’en novembre 2015.
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