A Oran, les établissements de restauration, qui se comptent par centaines, génèrent énormément d’emplois pour les jeunes et les moins jeunes. Beaucoup, versés dans ce domaine après avoir fait l’Ecole de tourisme à Bou Saâda ou à Tizi Ouzou, s’adonnent au métier de barman, serveur, cafetier, cuisinier, plongeur... Certains exercent ce métier temporairement, histoire de se dépanner quelque temps, alors que d’autres le font leur carrière. En cette veille du 1er mai qui célèbre la Journée mondiale des travailleurs, nous nous sommes plongés dans le monde de la restauration pour vérifier si le métier de serveur nourrit son homme. Mais aussi pour nous rendre compte s’il s’agit d’un «métier ingrat», tant il fait voir, à celui qu’il l’exerce, des vertes et des pas mûres. Il faut noter, aux dires de Mourad C., patron de plusieurs établissements de restauration à Oran-Centre, que ce sont plus de 1000 personnes qui exercent en qualité de serveurs et de barmans dans la wilaya, dont près de 200 rien que dans la commune d’Oran. Ils y officient dans les bars, les bars-restaurants, les restaurants 3 étoiles ou encore dans les hôtels. Combien les rémunère-t-on ? Beaucoup d’entre eux touchent un salaire, non pas mensuel mais hebdomadaire de 7000 à 8000 DA. Certains, plus chanceux ou plus anciens, parviennent à toucher jusqu’à 10 000DA par semaine. Cela bien sûr sans compter les pourboires, qui génèrent un pécule appréciable. «Pour ma part, nous explique encore Mourad C., je préfère payer mes employés au mois et non à la semaine, pour les encourager à épargner un peu leur argent et ne pas être tentés par la dépense. Je leur dis souvent : dans la mesure du possible, essayez de vivre avec l’argent des pourboires et votre paie mensuelle, laissez-en une bonne partie de côté pour vos vieux jours.» Aussi, de prime abord, on constate que le serveur vit plus ou moins dans l’aisance, pour ne pas dire l’opulence. Mais la vérité est toute autre, malheureusement : en dépit des apparences, ces travailleurs ne vivent pas dans le confort et la désinvolture, loin s’en faut. Etre barman à Oran peut être un métier plus qu’ingrat. D’abord, du fait qu’aucune école de tourisme ne soit fonctionnelle dans la wilaya, ces travailleurs viennent d’autres villes du pays, généralement de Béjaïa, Tizi Ouzou ou, dans une moindre mesure, de Bouira. Beaucoup d’entre eux sont de Sidi Aïch, d’autres de Tazmalt, Boghni, Ighli Ali, Draâ Ben Khedda, Mizrana, Haizer, M’chedallah, etc. Mal logés, mal assurés… Le premier problème qui se pose à eux en arrivant à Oran est l’hébergement, car, comme ils le disent, «c’est bien beau d’avoir un job, mais encore faut-il avoir un toit pour dormir». Certains patrons conciliants et soucieux du bien-être de leurs employés les aident quelque peu en leur assurant la prise en charge de 3 mois de location. Mais d’autres serveurs, il faut l’admettre, peinent à se trouver un toit et vont, le plus souvent, habiter des hôtels borgnes pendant de longues semaines. «Moi, je suis de Sidi Aïch, déclare Farid A. Comme je vis ici depuis 1996, je me suis quand même fait une situation et à présent, j’ai mon propre toit. Mais je ne vous cache pas que j’ai dû galérer de nombreuses années.» Farid est un ancien barman qui gère actuellement une cafétéria dans un bourg isolé, loin du centre-ville d’Oran. Si Farid a désormais sa propre demeure, ce n’est pas le cas pour nombre de ses collègues. Ces derniers, pour faire face à la cherté de la location, ont trouvé la parade : ils s’unissent par groupe de quatre pour se lancer dans la colocation. «Quand ils sont quatre à louer un F3, forcément, c’est plus abordable. Ça leur revient à 9000 DA par mois et par personne au lieu de 36 000» nous explique-t-il encore. Farid A. a travaillé pendant près de 20 ans dans un bistrot du centre-ville, avant de plier bagage pour se lancer dans la gestion d’un café. «Ici, je me fais beaucoup moins d’argent qu’avant, mais j’ai gagné un luxe irremplaçable : la tranquillité», nous confie-t-il. Pour lui, travailler dans un bar n’est pas de tout repos, au contraire, le stress est insoutenable : «Sachez que des centaines de millions, voire des milliards de centimes circulent tous les jours dans les bars. Le marché de l’alcool est très juteux. De ce fait, le barman est en permanence sur le qui-vive, en état de stress.» Parfois, dit-il encore, «il ne peut même aller au petit coin se soulager de peur de laisser la caisse sans surveillance». Et puis, l’autre problème est celui des clients qu’il faut gérer : «Croyez-moi, après 20 ans passés à travailler dans un bar, je me targue de connaître la psychologie de la société mieux que personne. Dès qu’un client entre, je le devine, je sais à qui j’ai à faire. S’il s’agit d’un homme qui est là juste pour s’amuser ou s’il est susceptible de me berner en s’en allant sans payer, ou s’il a le vin mauvais...» Selon Farid, le barman, dès qu’il termine son service à minuit, après des heures de stress et de tension, est enclin à aller se désaltérer et se détendre quelque peu, histoire d’oublier sa dure journée de labeur. Il plonge alors corps et âme dans l’Oran by night et dépense, en un tournemain, tous les pourboires qu’il a amassés durant le jour. «S’il est empli de sagesse, un barman peut bien gagner sa vie, mais comme le stress est immense, alors il est attiré par la dépense, ce qui fait qu’au final, il ne s’en sort pas !» Aussi, pour Farid, ce n’est pas tant le salaire qui pose problème au barman, mais «le milieu» dans lequel il se trouve, qui le pousse à être très dépensier. «Dans les cafés, contrairement aux bars, il y a beaucoup moins d’argent, donc beaucoup moins de tension. Certes, le salaire est moindre et les pourboires sont rares, mais à la longue, je m’y retrouve : je suis tous les jours en forme, souriant, je mange mieux qu’avant, et ce n’est que de temps en temps que je prends un verre !» Pour la parenthèse, Farid s’amuse de «l’inexistence» des pourboires dans les cafés : «L’Algérien est contradictoire à ses heures : dans les endroits où la consommation est très coûteuse comme dans les bars, il n’est pas très regardant sur les pourboires, mais dans les cafés, où le prix de la consommation est modique, il devient d’un coup radin et ne donne que difficilement 20 DA de pourboire.» L’autre problème épineux qui s’est longtemps posé pour les barmans est celui de l’assurance sociale. Beaucoup de serveurs et de barmans ont travaillé de longues années, sans être assurés. La situation a quelque peu changé ces dernières années, où les gérants, de peur d’avoir affaire à l’inspection du travail, ont régularisé leurs employés. «De manière générale, nous explique Mourad C., les serveurs et barmans qui travaillent à Oran n’ont pas trop de bile à se faire pour la bonne raison que la concurrence est là : du fait de la multiplication des établissements, le serveur a l’embarras du choix et peut trouver facilement un emploi. Là où, en revanche, les serveurs vivent le martyre, c’est bien dans les wilayas pourvues seulement d’un ou deux établissements de restauration ; malgré la pénibilité, le serveur qui y exerce doit s’accrocher à son poste, car s’il se fait virer, il n’aura nulle part où aller !»
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