L’historien Ali Guenoun, de l’université Paris 1, a livré sa version des faits sur ces événements lors d’une conférence qu’a abrité, avant-hier, le Crasc d’Oran. Crise berbériste», «crise antiberbériste», «revendication amazighe», «diversité culturelle»… les formulations se multiplient et s’entrechoquent pour désigner une grave crise identitaire qui a éclaté au sein du parti indépendantiste PPA-MLTD en 1949. C’est la première fois qu’un conflit identitaire éclate au sein du Mouvement national. 67 ans après, cet épisode reste encore entouré de beaucoup de zones d’ombres, car très peu d’écrits ont traité ce sujet. L’historien Ali Guenoun, de l’université Paris 1, a livré sa version des faits sur ces événements lors d’une conférence qu’a abrité, avant-hier, le Crasc d’Oran, intitulée «Un élément conflictuel au sein du PPA/MTLD : la question identitaire». Un sujet qui a fait l’objet de sa thèse de doctorat, soutenue en 2015 à l’université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne. C’est le premier travail académique historiographique traitant de cette crise qui a duré plus d’une année et a touché des centaines de militants en Algérie et en France. Un sujet resté longtemps tabou. De prime abord, Ali Guenoun tient à préciser qu’il «n’aime pas utiliser le qualificatif de crise berbériste ou de crise antiberbériste» mais préfère parler de «conflit politique entre la direction et l’opposition au sein du PPA/MTLD qui a débouché sur un conflit identitaire». «Il y avait un problème de leadership notamment au sein de la fédération de France. Ces militants opposants se défendaient de la qualification de berbéristes qu’ils refusaient d’assumer. Ils affirmaient que l’Algérie n’est ni arabe ni berbère mais algérienne», indique le conférencier. Pour lui, la question identitaire n’a pas été, à cette époque, formulée clairement comme étant une revendication amazighe. Selon M. Guenoun, c’est plutôt la formule «Algérie algérienne» et les langues et les cultures populaires qui sont revendiquées. Le conférencier rappelle le contexte de l’époque, marqué par «un discours nationaliste radical algérien calqué du modèle jacobin colonial qui n’admettait pas les tendances régionales et la pluralité linguistique. Un contexte où les différences culturelles étaient perçues comme une menace». «Après la Seconde Guerre mondiale, une nouvelle génération de lycéens et d’étudiants émerge dans le Mouvement national autour de Ouali Bennaï, chef du PPA/MTLD en Kabylie. Elle est porteuse de nouveaux questionnements sur le fonctionnement du parti mais aussi sur la dimension identitaire de la nation algérienne», relate le conférencier. «Après Mai 1945, un pôle régional s’est formé de jeunes étudiants et lycéens kabyles autour de Ouali Bennaï. Une élite moderniste et républicaine qui remettait en cause l’exclusivité de l’identité arabo-islamique qui découle de la définition badissienne. Mais ce groupe est perçu comme ‘‘un danger kabyle’’ par la direction du parti», note Ali Guenoun. «En mars 1949, le conseil fédéral du MTLD en France, à l’initiative de son chef Rachid Ali Yahia (21 ans), fait voter une motion (par 28 voix contre 32) revendiquant une Algérie algérienne par opposition à l’orientation panarabiste de la direction du parti», relate l’historien. «Ces opposants reprochent aux membres de la direction du PPA/MTLD, qu’ils qualifient de dictateurs, d’avoir trahi le programme du parti», indique le conférencier. «En juillet 1949, après le refus du dialogue à propos de la définition identitaire de la nation algérienne, sur l’initiative de Amar Ould Hamouda, membre du comité central de ce parti, des lycéens et des étudiants militants du PPA/MTLD — Mebrouk Belhocine, Yahia Henine, Sadek Hadjerès et Saïd Oubouzar — rédigent une brochure intitulée : L’Algérie libre vivra, signée avec un pseudonyme, Idir El Watani», rapporte M. Guenoun. «Le texte revendique, entre autres, la diversité culturelle, la laïcité, un Etat algérien uni et indivisible, en soulignant la nécessité de développer les langues et les cultures populaires.» «Un mémorandum a été élaboré, en décembre 1949, par le bureau politique du PPA/MTLD, à la demande de Messali Hadj qui devait se rendre à l’ONU», confirme le conférencier. Ce mémorandum soutient que l’Algérie est arabe. La direction du parti fait ainsi la sourde oreille à la revendication identitaire. Pis, en posant le problème de la diversité culturelle, en s’élevant contre l’exclusion, les intellectuels partisans de l’Algérie algérienne ont été réprimés. «La direction du parti n’admet pas la diversité et les différences culturelles sont perçues comme une menace à l’union du peuple et de la nation», explique l’orateur, qui souligne que ce conflit a éclaté «sur fond de malaise vécu notamment au sein de la Fédération de France du à la cooptation d’une part et la marginalisation de certains militants dans la nomination aux postes de responsabilité au sein du PPA/MTLD d’autre part». «La direction du parti a accusé les opposants d’être des renégats et des comploteurs qui font le jeu de l’impérialisme et les a traités d’inconscients», affirme Ali Guenoun. «L’inquisition et la violence verbale font rage. Pire, à partir de juillet 1949, il y a eu recours à l’élimination physique par les armes à feu. C’est la chasse aux partisans de l’Algérie algérienne. Mebrouk Belhoucine et Saïd Oubouzar ont été bastonnés à Alger. Ali Ferhat a été blessé par des balles tirées par Krim Belkacem», atteste Ali Guenoun. «Sollicité par plusieurs délégations de militants du parti, tant en Algérie qu’en France, pour leur livrer des explications à cette répression et pour débattre de cette crise et trouver une solution, Messali n’a voulu recevoir personne, se contentant de les renvoyer aux autres responsables du parti. Tout débat était exclu», relate le conférencier. «Selon un témoignage de Ramdane Bouchbouda, chef du parti en Oranie, en réaction à cette répression et aux exclusions massives des militants partisans de l’Algérie algérienne, beaucoup de militants ont, par solidarité, quitté le parti et plusieurs sections du PPA/MTLD implantées en Kabylie, dans l’Algérois et en Oranie ont décidé de bloquer les cotisations des militants», rapporte l’historien. Bien plus tard, Ouali Bennaï, M’barek Aït Menguellet et Amar Ould Hamouda sont lâchement assassinés pour avoir revendiqué la diversité culturelle et identitaire. La purge tourne à la purification.
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