L’affaissement d’un tronçon de la chaussée sur la route de à Ben Aknoun a soulevé toutes les interrogations, notamment celles des experts. Le débat sur l’état des réseaux d’évacuation des eaux et routier refait surface. «Les travaux effectués suite à l’effondrement de la chaussée sur l’axe routier qui relie Dar El Beïda à Zéralda au niveau de Ben Aknoun ont été bâclés.» Abdelhamid Boudaoud, président du Collège national des experts architectes (Cnea), joint par téléphone, s’interroge sur la procédure utilisée : «Ceux qui ont effectué ces travaux ont-ils extrait toute l’eau qui se trouvait à l’intérieur du trou ? Ont-ils laissé sécher la terre? Ont-ils lancé l’étude géotechnique et attendu ses résultats avant de faire quoi que ce soit ? Car ce n’est qu’après qu’ils pourront savoir quoi faire exactement. Après le damage de la terre, ont-ils attendu un mois avant de poser le bitume ? Comment peuvent-ils dire qu’ils ont définitivement réglé un problème aussi complexe en moins de 48h ? Ce tronçon risque de s’effondrer à nouveau. Ce n’est pas tout, car on risque de revivre la même chose un peu partout en Algérie à cause de nos réseaux d’assainissement vétustes, comme c’était le cas de Ben Aknoun ou de Bab El Oued en 2001.» Le président du Cnea ainsi que d’autres experts ne sont pas les seuls à se poser la question. Sur les réseaux sociaux, les internautes avaient fait de même en demandant «comment l’Algérie a pu faire mieux que le Japon qui avait connu un effondrement de terre plus important que celui de Ben Aknoun, mais qui n’avait réussi à le résoudre qu’après deux jours de dur labour ?» Pour répondre à la question, les facebookers algériens n’avaient trouvé comme explication que d’illustrer satiriquement le wali d’Alger, Abdelkader Zoukh, comme «un Asiatique aux yeux bridés avec un bandeau japonais autour du front» pour dire probablement que s’il «avait réussi le pari en un temps record, c’est parce qu’il est lui aussi japonais». Normes Bloqués pendant deux jours, les automobilistes qui s’impatientaient n’attendaient que la réouverture de la route. Entre-temps, les spécialistes, eux, se disputaient à propos des termes à utiliser. Certains confortaient la thèse des autorités et affirmaient que «c’était un affaissement». D’autres contrecarraient et assuraient que «c’était un effondrement». Interrogés sur ce sujet, le président du Cnea ainsi que l’ingénieur en management des projets hydrauliques et de construction s’accordent à appuyer plutôt la deuxième supposition. Quant aux autorités, comme l’avaient expliqué à maintes reprises les différents responsables de la wilaya d’Alger, ils n’avaient qu’un seul objectif : intervenir efficacement, régler le problème et rendre à nouveau la route au usagers. Mais en réalité, beaucoup, y compris les experts eux-mêmes, se demandent si les travaux effectués ont été réalisés dans les normes ou non. «La question que l’on doit se poser est la suivante : où est partie la terre qui s’est effondrée ? se demande encore le président du Cnea, Abdelhamid Boudaoud. «Cette dernière était imbibée des eaux pluviales et par celles du réseau d’assainissement qui avait causé l’incident et avait été engloutie par le trou. Cela veut dire qu’il existait des cavités. De ce point de vue, les autorités devaient consulter d’abord les géologues qui sont les seuls à pouvoir dire ce qu’il fallait faire exactement. Il fallait aussi procéder à une étude géotechnique pour connaître la carte de santé du sol, et enfin prendre une entreprise balèze dans le domaine pour régler réellement le problème.» Géolocalisation Mais si les experts montrent une certaine réticence quant au travail réalisé par la wilaya d’Alger, les différentes directions de cette dernière affirment qu’elles ne sont pas de cet avis. Elles assurent que le problème «a été bel et bien pris en charge et réglé définitivement». «Il s’agissait d’un vieux collecteur d’eaux usées qui était à 10 mètres de profondeur. Il s’est effondré suite aux fortes pluies qui se sont abattues dernièrement sur la capitale», indique Abderrahmane Rahmani, directeur des travaux publics à la wilaya d’Alger, joint par téléphone. «Chacun explique les choses à sa manière, mais ça ne reste que des suppositions, se défend Smaïn Amirocuhe, directeur des ressources en eau de la wilaya d’Alger, joint par téléphone. Nous avons fait tout un diagnostic à l’aide d’un système de géolocalisation par radar afin de voir la profondeur du trou, mais aussi pour connaître les causes et la manière avec laquelle il avait évolué.» Et d’ajouter : «Nous avons dévié le collecteur principal des eaux usées avant de remblayer le trou. Il n’y a plus d’arrivée des eaux à cet endroit. Néanmoins, nous aussi nous souhaitons connaître les raisons de l’affaissement. Nous ne pouvons rien dire pour l’instant car l’enquête technique est en cours.» Sur ce point, l’ingénieur Faouzi Maalem, qui rejoint la thèse du président du Cnea, Abdelhamid Boudaoud, ne cache plus lui aussi ses réticences quant «au temps accordé pour l’achèvement de l’opération de remblayage». «Un confortement du site s’impose après la réparation des conduites des différents réseaux. Le sol mis en place ne peut être stable quand la consolidation des sols du terrain est réalisée en un temps relativement très court par rapport au temps nécessaire pour atteindre l’état d’un sol consolidé.» Et d’ajouter : «Dans ce cas précisément, je conseille à mes confrères de réfléchir sur le comportement du périmètre voisin de ce point. Car si on conforte les parois en apportant des matériaux différents avec une densité différente et une résistance beaucoup plus supérieure au cisaillement et aux efforts de compression du voisinage, l’ensemble devient hétérogène et d’autres instabilités pourraient surgir aux alentours de cet endroit.» 4000 km Le débat sur cette question prendra certainement du temps entre experts et institutions étatiques, mais les deux parties s’accordent aujourd’hui sur le constat fait sur la situation des réseaux d’assainissement en Algérie décrite notamment par les premiers comme «dangereuse». Selon Abdelhamid Boudaoud, ce qui s’est passé à Ben Aknoun ou à Bab El Oued n’est pas fortuit. Selon lui, «c’est le résultat d’un laisser-aller des autorités». «Nous avons un réseau d’assainissement de 4000 km. Il n’est pas en très bon état. Il y a de tout, du vieux, du moins vieux et du neuf. Il y a des réseaux qui datent de l’époque coloniale et même de l’époque ottomane comme La Casbah», confie le directeur des ressources en eau de la wilaya d’Alger. Rencontré il y a quelques mois dans son bureau, le directeur général de la Société des eaux et de l’assainissement d’Alger (Seaal), Jean-Marc Jahn, qui se charge depuis 2006 de l’entretien des réseaux de l’eau potable et de l’assainissement, avait reconnu lui aussi «la difficulté de la mission avec des réseaux aussi vétustes, notamment ceux abandonnés, sans entretien durant la décennie noire». Pour le président du CNEA, «il est plus qu’urgent d’analyser le patrimoine immobilier et surtout les réseaux d’assainissement, d’adduction d’eau potable (AEP), des PTT et ceux de l’électricité. Le comble, c’est que les autorités osent trouver quand même des excuses pour se justifier. Certains responsables ne s’empêchent pas de dire que ces réseaux datent de l’époque coloniale. Me concernant, je n’ai qu’une seule question à leur poser : qu’avons-nous fait donc depuis l’indépendance ? Rien ?», s’emporte Abdelhamid Boudaoud. Casbah Même constat défendu par Faouzi Maalem : «Les réseaux d’assainissement d’Alger et ceux de plusieurs villes algériennes sont très vieux, les autres sont devenus inadéquats si nous parlons matériaux et capacité. Nous constatons, chaque année, l’émergence de nouvelles cités et villes avec les mêmes anciens collecteurs principaux, ce qui engendre une pression importante sur les réseaux secondaires. S’ajoutent à tout cela la mauvaise mise en œuvre et les études incapables d’apporter des solutions techniques définitives aux problèmes d’assainissement des eaux usées et de pluie.» Et d’ajouter : «Concernant La Casbah, le problème empire et de plus en plus délicat. Il y a longtemps, cette cité antique était peuplée rationnellement, mais depuis l’évolution de la croissance démographique et la crise de logement qu’a connue l’Algérie, La Casbah est menacée de disparition. Son réseau des eaux usées et plus que vieux et le nombre de fuites et problèmes d’incapacité de débit du réseau pourraient produire l’effondrement des fondations des maisons et bâtisses.» Pour Abdelhamid Boudaoud, l’Etat «n’a jamais tiré les leçons sur tout ce qui s’est passé précédemment». Selon lui, «plusieurs autres quartiers, notamment d’Alger, se trouvent actuellement en danger.» «Ce qui s’est passé à Bab El Oued était une fatalité. De ce point de vue, on ne devrait plus avoir ce genre de problème. Aujourd’hui, nous nous retrouvons, en ne prenant que l’exemple d’Alger, avec plusieurs quartiers menacés par ces systèmes de réseaux d’assainissement. Nous avons Bab El Oued, Sidi M’hamed, Belouizdad, El Madania, Husein Dey, El Harrach et Aïn Benian. Ce sont des quartiers vétustes. Ils sont en train de fonctionner avec les anciens réseaux qui n’avaient été réalisés que pour le nombre de la population de l’époque. Il est vrai que certains continuent à donner encore des résultats, mais il faut prévenir les dégâts avant qu’il ne soit trop tard. Pourquoi ne pas expertiser ces réseaux pour connaître leur carnet de santé ? Beaucoup ont été réalisés pour 20 ou 30 habitants. Actuellement, ils canalisent les eaux usées de 5000 à 6000 habitants.» Bab El Oued Pour les solutions proposées, la wilaya assure que «sa direction des ressources en eau travaille conjointement avec la Seaal afin de régler du mieux qu’elles le peuvent les problèmes liés aux réseaux d’assainissement de l’eau potable et ceux des eaux pluviales». Les experts, eux, proposent autre chose. Faouzi Maalem insiste sur le fait qu’«il faut d’abord travailler en amont en s’appuyant sur des études d’expertise et d’évaluation scientifique». Selon lui, «il faut aussi donner de l’importance aux systèmes de contrôle des travaux et matériaux de construction et investir dans les ressources humaines en formant l’entreprise algérienne et l’ingénieur algérien». Pour Abdelhamid Boudaoud, il suggère à chaque commune algérienne d’avoir la carte géologique des ses réseaux. «Chaque commune doit avoir les cartes de ses zones inondables, des catastrophes naturelles, et celles des catastrophes industrielles. Pourtant, nous avons le Bureau de la recherche géologique et minière créé en 1958 qui est mis à notre disposition. En 2012, le ministre de l’Hydraulique de l’époque avait assuré que toutes les communes algériennes auraient, en une année, la carte de leurs zones inondables. Deux ans plus tard, le ministre qui l’avait remplacé avait annoncé la même chose. Mais rien n’a été fait depuis.» Selon le même interlocuteur, «l’eau acide des eaux usées, dans le cas d’un débordement ou d’un effondrement, risque de se mélanger avec l’eau potable». Selon lui, même s’il dit qu’il ne veut pas effrayer les citoyens, il précise tout de même que «plusieurs quartiers peuvent nager dans l’eau», en faisant allusion à ce qui s’est passé à Ben Aknoun «à cause de tous les réseaux vétustes». «Je propose de recenser tous les points noirs successibles de présenter un danger, revoir les erreurs, les corriger et aller de l’avant. Nous avons en Algérie plus 7000 architectes et 12 000 ingénieurs. Faisons-les travailler. Il faut savoir que nous avons un déficit de 2 millions de travailleurs dans le domaine des travaux publics. Malheureusement, ce ne sont pas les lois qui manquent, nous avons les mêmes qu’en France ou aux Etats-Unis, mais nous avons besoin d’hommes et de femmes qui doivent les appliquer.»
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