Très controversé, le projet de loi électorale a été adopté, jeudi, par la majorité parlementaire en l’absence des députés de trois partis, le Front des forces socialistes (FFS), le Front de la justice et du développement (FJD) et l’alliance de l’Algérie verte (aav) — regroupant les partis islamistes Ennahda, Hamas, El Islah, et El Karama — qui ont boycotté la plénière en signe de protestation. Seuls les députés du Parti des travailleurs (PT) ont résisté durant plus de 5 heures, défendant jusqu’au bout plus d’une trentaine d’amendements qu’ils avaient proposés, mais ce fut peine perdue. La coalition gouvernementale était venue bien décidée à faire passer le projet de loi intégralement, sans toucher à une virgule ou un point. En tout cas, c’est ce qui ressort du déroulement de cette plénière, où des députés de cette alliance qui avaient proposé des amendements, liés plus à la forme qu’au fond, ont tout simplement annoncé leur retrait pour revenir à la mouture initiale. Mieux encore, l’idée de lâcher du lest exprimée publiquement par des députés du FLN, notamment en ce qui concerne l’article 73, l’un des plus décriés qui impose plus de 4% de suffrage au dernier scrutin pour se présenter aux élections, s’est avérée être un leurre. Le ton a été donné dès l’ouverture de la plénière. Déjà par le nombre des présents plus important qu’habituellement. Le décompte effectué par le président de l’aPN, Ould Khelifa, fait état de 255 présents, dont 23 par procuration. Ce qui était largement suffisant pour valider les deux projets de loi relatifs au code électoral et à la création d’une haute instance de surveillance des élections comme une lettre à la poste. Le groupe parlementaire du PT avait opté pour une présence à la plénière «avec l’objectif de défendre les amendements jusqu’au bout et de dénoncer le caractère dangereux du texte sur le multipartisme et la démocratie». Regroupés dans l’aile gauche du président, les députés ont résisté au chahut de leurs collègues de l’aile du centre — où se concentre l’alliance gouvernementale — et aux remarques désobligeantes, pernicieuses et couvertes d’humour d’un président souvent conciliant, pour ne pas dire complaisant, avec les répliques de l’aile du centre. D’emblée, Ramdane Taazibt lance : «Nous regrettons que tous les amendements proposés soient rejetés par la commission. Les partis ne sont pas des ennemis. Ce sont eux qui constituent l’immunité du pays contre toute crise. Si la Libye s’est effondrée, c’est parce que ce pays n’avait ni parti, ni Constitution, ni société civile.» Les propos sont hués subtilement par ceux d’en face. Et M. Taazibt de répondre : «C’est au président de gérer l’Assemblée. Laissez-le faire son travail. Nos amendements transcendent le PT. C’est l’intérêt suprême du pays que nous défendons.» Lui et ses camarades, Nadia Chouiem et Djelloul Djoudi — pour ne citer que ceux-là — se succèdent à la tribune pour plaider l’amendement de l’article 10 relatif au vote des corps constitués afin que les membres de ces derniers s’inscrivent individuellement sur les listes de leurs communes de résidence. Il faut éviter les inscriptions collectives comme en 2012. Chahuté, le carré gauche résiste et défend ses positions Sentant un désintéressement dans l’aile du centre, où les députés sont tantôt accrochés au téléphone, tantôt discutant entre eux ou somnolant, M. Taazibt tente de sensibiliser la salle. «Je jure au nom d’Allah que les élections importent. Ne voyez-vous pas que la situation du pays est très grave. Où se dirige-t-il ?» dit-il avant que le président ne lui réplique : «C’est une déclaration politique…» Impassible, le député continue : «Il faut mettre des garde-fous pour éviter l’utilisation des voix des corps constitués (…). Ceux qui ont élaboré ce projet de loi veulent créer une nouvelle carte politique.» Le président passe au vote et les députés de l’aile du centre lèvent bien haut le bras contre les amendements. Il en sera de même pour la proposition d’annuler l’exclusion, prévue par l’article 15, des représentants des partis et des candidats des commissions de révision et d’élaboration des listes électorales communales. Arrive l’article 73, parmi les plus contestés des dispositions de ce projet de loi et qui a suscité quelque 18 propositions d’amendement (rejetées par la commission juridique) émanant de députés de plusieurs formations, qui, à l’exception des parlementaires du PT, ont fini par les retirer. L’article exige des partis et des candidats qui ont eu moins de 4% des suffrages exprimés lors des dernières élections d’avoir 50 signatures pour chaque siège au niveau local et plus de 400 pour chaque siège de député. Ce que Djelloul Djoudi du PT qualifie «d’exclusion et de purification du champ politique. Pour un meilleur renforcement du pluralisme, il est nécessaire de n’exclure aucune formation politique des rendez-vous électoraux». L’avis est tout simplement rejeté par l’aile du centre, où bon nombre de députés s’oublient même en hissant le bras avant même que le président ne pose la question. La majorité parlementaire est disciplinée et même trop. Elle rejette les 7 propositions d’amendement des articles 74, 76, 78 relatifs à la déclaration de candidature. Mieux encore, le député Mahdjoub Bedda du FLN annonce le retrait de sa proposition d’amendement de l’article 79, en disant : «Je fais partie de la majorité gouvernementale qui exécute le programme du président de la République pour lequel nous sommes ici. J’estime que ma proposition d’amendement n’a plus lieu d’être.» Des éclats de rire fusent de l’aile gauche. M. Bedda voulait juste ajouter une précision de forme : «Que les candidats aux élections locales soient inscrits dans leur circonscription administrative deux ans avant le vote.» La proposition tombe comme toutes les autres qui ont suivi et qui exigent de l’élu local d’avoir un niveau universitaire ou secondaire, ou encore de faire en sorte que la tête de liste de l’Assemblée de wilaya soit déclarée président de l’APW. M. Bedda retire tous les projets d’amendement qu’il a pourtant défendus au nom du FLN. Il n’est pas le seul. D’autres députés de Taj, du FLN et du RND reviennent sur leurs propositions. Ils annoncent leur retrait. La loi électorale et le passeport du Hadj Le député Miloud Ferdi, FLN, réplique à son collègue du PT, Ramdane Taazibt, qui avait dit : «Vous ne pouvez pas prendre comme référence les élections de 2012 pour exiger des candidats aux élections d’avoir plus 4% des suffrages. Le secrétaire général du FLN en personne avait dit qu’il y a eu fraude. Rappelez-vous la délégation de l’Union européenne. Ici, elle a dit que tout s’est bien passé, et une fois en Europe elle a sorti un autre rapport qu’elle utilisait comme moyen de pression sur l’Algérie. De grâce, faisons en sorte de donner une autre image des élections en Algérie.» Miloud Ferdi, avant même d’annoncer le retrait de sa proposition d’amendement de l’article 80, déclare : «Les élections de 2012 ont été transparentes et le FLN a été consacré vainqueur par le peuple. Personne ne peut dire le contraire.» Le président passe aux six propositions d’amendement de l’article 80 qui exclut les fonctionnaires de la commune de se porter candidats aux élections. Le PT propose carrément son abrogation. «C’est un droit constitutionnel et le ministre de l’Intérieur n’avait pas le droit de le supprimer sous prétexte que les collectivités locales ont besoin des services de ce personnel. Demain, les ministères de l’Education, de la Santé ou autres diront qu’ils ont besoin de leur personnel. Que restera-t-il ? Seulement des hommes d’affaires qui n’ont rien à faire. Les fonctionnaires de la commune ont le droit de se faire élire», déclare le député du PT, avant que celui du FLN ne prenne la parole pour retirer les amendements de forme qu’il avait proposés. Mieux encore, ce dernier profite pour demander une faveur à peine voilée. «Que les députés puissent bénéficier d’un passeport pour le hadj (pèlerinage). Les propos suscitent la réaction de Ramdane Taazibt qui lui aussi profite de sa prise de parole pour lancer : «Nous sommes ici en train de parler de la destinée de la nation et certains se permettent de demander des passeports pour le hadj. Où allons-nous comme ça ?» Le président réplique à M. Taazibt en lui demandant d’éviter «les polémiques stériles». Les propositions d’amendement des articles 81, 83, 86 et 91 relatifs aux fonctionnaires exclus des élections sont toutes rejetées, à l’exception d’une qui ajoute à la liste des onze postes celui de consul. L’unique rajout accepté par la commission et la majorité parlementaire. Le rejet ou le retrait d’une vingtaine d’amendements par les députés de l’alliance gouvernementale touche les articles 92, 93, 94 et 98. Les députés du PT continuent, quant à eux, de défendre leurs propositions. Ramdane Taazibt plaide pour l’introduction d’une nouvelle disposition pour lutter contre ce qu’il appelle le «nomadisme et la transhumance politique» en remplacement de l’article 105, pour prévoir le retrait de mandat aux élus lorsqu’ils démissionnent ou change de parti après leur élection. L’amendement est rejeté avec ferveur par l’aile du centre. Les amendements des articles 152, 153 et 154, avant que les articles 156, 166 et 171, proposés par un député FLN, absent au débat, tombent l’un après l’autre. Même scénario pour les articles 196, 223 et 224. Le président passe au vote de la loi. Les «contre» du carré gauche lèvent la main. Ils sont hués par le carré du centre qui dresse le bras pour dire «oui» au texte initial. Debout, les députés de l’alliance gouvernementale se laissent aller dans les ovations. La loi organique portant régime électoral passe comme une lettre à la poste. Le président tire le projet de loi portant création de la haute instance de surveillance des élections. Djelloul Djoudi fait remarquer au président que la salle a commencé à se vider. Il exige le décompte des députés. Le président déclare : «J’ai compté 244. Ils sont tous là. Ils ont juste bougé, comme vous le faites.» Les députés du FLN se ruent dehors et rappellent leurs collègues pour que le quorum soit atteint. Le projet de loi ne comporte que deux amendements. L’un du FLN a été retiré, et l’autre du PT rejeté. Le texte passe sous les applaudissements des députés du carré du centre, tous debout, comme pour répondre à leurs collègues de l’aile gauche qui viennent de voter contre. Très à l’aise et à aucun moment perturbé par les critiques les plus acerbes des députés du PT, le ministre de l’Intérieur, Noureddine Bedoui, se félicite de l’adoption du texte qui, pour lui, «va renforcer la démocratie».
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