dimanche 29 janvier 2017

«Les islamistes convergent idéologiquement et divergent historiquement»

Comment la mouvance de l’islamisme politique a évolué au sortir de la clandestinité ? Il faut rappeler avant tout que l’islamisme politique a connu des transformations profondes depuis son apparition avec les partis et courants au lendemain de l’instauration du multipartisme en Algérie. Les Frères musulmans ont échoué dans leur analyse de la situation née après Octobre 1988. Pour eux, la révolte était une fabrication des tendances de l’intérieur du pouvoir, ils ont donné des consignes à leurs partisans de s’en éloigner. L’attitude négative vis-à-vis des événements d’Octobre les a empêchés d’en tirer profit politiquement. Contrairement au salafisme politique représenté par le trio Ali Benhadj, El Hachemi Sahnouni et Abdelkader Guechi. Cette tendance a pu investir dans ces événements en faisant une alliance avec le courant «Djaz’ariste» représenté par cheikh Ahmed Sahnoun, issu lui-même du courant critique de l’Association des oulémas. Elle va s’imposer comme un nouveau courant au sein de l’islamisme traditionnel, prétendant la représentativité de l’ensemble de la Oumma et non seulement les islamistes. La victoire du FIS va éjecter les Frères musulmans du paysage. Même certaines de leurs figures, comme Abdelkader Hachani, Ali Djeddi et Boukhamkhem, qui étaient sous l’influence de Nahnah ou de Djaballah, vont rejoindre le mouvement salafiste politique et populiste. Le FIS apparaît comme le parti unique dans champ islamiste. Cette nouvelle donne va pousser Cheikh Nahnah à se rapprocher des centres du pouvoir, d’autant que ce dernier avait besoin d’un tel soutien. La période sanglante des années 1990 n’a fait qu’aggraver l’éloignement entre le FIS et les autres courants. Pourtant, Nahnah va jouer un rôle important pendant la décennie noire... La réconciliation entreprise par Bouteflika va enterrer définitivement le FIS et redonner un rôle aux Frères musulmans (Nahnah) en jouant la médiation avec l’Arabie Saoudite pour que les figures du salafisme — El Albani, El Outhaïmi et Abu Bakr El Djazairi — soutiennent la démarche de Bouteflika. Les Frères musulmans constituent un des piliers de l’alliance présidentielle aux côtés du FLN et du RND dirigé par Bouteflika. Mais la fin de cette alliance et l’apparition de la première vague du Printemps arabe et l’émergence des Frères musulmans en Egypte, en Tunisie et en Syrie ont poussé les Frères musulmans algériens à rêver de rééditer le scénario de leurs frères dans ces pays. Pour les fragiliser, on va jouer sur leurs contradictions internes. Le corps alors se retrouve avec plusieurs têtes. A commencer avec Amar Ghoul, encouragé par le pouvoir à créer un nouveau parti alternatif à l’organisation mère, en passant par Menasra et Ahmed Dane. Mais ils vont se rendre compte que divisés ils ne pouvaient pas constituer une organisation pouvant supplanter la structure mère. L’échec des révolutions arabes s’est répercuté négativement sur les Frères musulmans dans le monde arabe et en Algérie. A partir de là est venue la tentative de sauver ce qui pouvait être sauvé en constituant une force symbolique, montrant à nouveau leur disposition à une alliance avec le pouvoir et non pour s’opposer. Au final, ils n’ont pas pu rééditer l’histoire. Ils étaient incapables de succéder au FIS. Les divergences qui traversent la mouvance islamiste sont-elles d’ordre historique ou idéologique ? Il n’existe aucune divergence ou conflit idéologique. Les deux tendances (Djaballah – Soltani-Makri) s’appuient sur la référence qui tire sa substance des textes fondamentaux et l’expérience historique et politique du père fondateur Hassan El Bena et Sayd Qotb et le pragmatisme pratiqué par les chefs des Frères musulmans depuis Hassan El Houdhaibi au guide suprême Omar El Tlemçani, originaire d’Algérie. Il existe un conflit historique entre Djaballah et Nahnah. Il réside d’abord dans le fait que c’est Nahnah qui a été plébiscité pour être le représentant des Frères musulmans en Algérie. L’autre divergence réside dans le fait que Djaballah n’admet pas le leadership de la seconde génération des Frères musulmans (Makri-Soltani). Il se considère toujours comme la figure légitime. Ajouté à cela que la position de Makri-Soltani était en accord avec le pouvoir en s’opposant au FIS et en soutenant l’arrêt du processus électoral. Djaballah, lui, avait une position qui tanguait entre Sant’ Egedio et la tentative de négocier secrètement avec la Présidence (l’axe Belkheir-Smaïn). La deuxième génération est sortie gagnante dans son deal avec le pouvoir, plus que Djaballah qui va connaître des problèmes, malgré les concessions secrètes qu’il fait en s’éloignant de l’axe Sant’Egidio. Le tandem Makri-Soltani a pu obtenir le soutien des Frères musulmans après la mort de Nahnah pendant que Djaballah a perdu même le soutien des forces financières et politiques du Golfe, ce qui va l’affaiblir considérablement dans le monde arabe, surtout chez les sponsors des Frères musulmans dans le Golfe. Saisissant l’échec de Soltani dans sa tactique au début des révolutions arabes, il essaie de tirer profit, mais il est déjà trop tard. Il va alors tenter de se rapprocher du pouvoir pour négocier sa place à nouveau en créant une alliance pour empêcher celle de Soltani-Mokri de devenir plus forte. Une alliance qui a pour but de soutenir le clan présidentiel dans un intérêt mutuel. Le pouvoir aura besoin de soutien de la mosaïque islamiste comme une alternative aux forces qui l’ont soutenu pour le quatrième mandat. Quelles sont les caractéristiques des partis islamistes aujourd’hui ? Pour faire court, ils se caractérisent par une tendance au conservatisme au plan sociétal et un néolibéralisme au plan économique. Ils s’éloignent du discours moraliste qui était le leur, marquent et opèrent un virage d’opportunisme politique au nom du pragmatisme. Ils signent un retour à la vieille tactique des Frères musulmans au Moyen-Orient et par les Pagsistes en Algérie sous Boumediène, l’entrisme dans les institutions. On observe également chez eux l’abandon du discours islamo-idéologique au profit d’un discours néo-idéologique sous diverses couvertures à caractère social vague, comme le développement, la justice et la liberté. On peut finalement qualifier ces mouvements islamistes de FLN ablutionné. Avec sa nouvelle génération, ces mouvements sont devenus intéressés préférant l’intérêt matériel à la vertu. Ont-ils une conviction démocratique, ou bien la démocratie reste pour eux un moyen pour parvenir à l’instauration d’un Etat théocratique comme le voulait le FIS ? Les islamistes ont échoué à produire un discours savant autour des questions fondamentales, comme la démocratie, la liberté de conscience, la femme, l’identité, l’altérité, les minorités et bien d’autres questions. On ne trouve aucune trace de jurisprudence ou une conceptualisation. Ils continuent à s’appuyer sur des discours temporaires dominés par la tactique et dépourvus de toute authenticité intellectuelle comparativement aux Turcs ou aux Iraniens. En réalité, c’est la problématique de l’islam sunnite arabe. Leur rapport et leurs attitudes vis-à-vis des questions fondamentales demeurent opportunistes, tacticiennes sans horizon stratégique. Ils ont échoué à produire des élites alternatives aux élites traditionnelles dans le Monde arabe et en Algérie.

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