- Les partis politiques en course pour les législatives du 4 mai prétendent tous avoir un programme politique qu’ils comptent appliquer s’ils obtiennent un nombre de sièges important. Concrètement est-ce faisable ? Appliquer un programme politique à l’orée d’une élection-disputée, c’est se situer, sans aucun doute, dans un contexte parlementaire. Est-ce le cas en Algérie ? Répondre à cette question, c’est, préalablement, soulever l’aporie qui gît au sein du système constitutionnel algérien. Dès sa conception, la Constitution algérienne de 1996 portait la marque d’une double ambiguïté juridique : d’une part, elle avait reconduit l’amorce, en filigrane, d’une logique parlementaire, introduite à la faveur de la Constitution de 1989, néanmoins restée inachevée et, d’autre part, sa logique profonde portait l’empreinte d’un présidentialisme qui sera renforcé par la révision de novembre 2008. Certes, les textes organiques (loi électorale, loi sur les partis politiques
) ont intégré des notions issues d’une logique parlementaire : élections-disputées, pluralisme partisan, majorité parlementaire, programmes politiques,
etc. Il s’en est suivi que les partis politiques se sont engouffrés dans cette logique qui veut qu’une majorité parlementaire, élue par le peuple, porte ses chefs au pouvoir pour appliquer son programme politique. Or, cette idée est évocatrice d’une fonction gouvernementale. - Est-elle en opposition avec la Constitution ? Oui, elle est en négation totale avec la logique et les mécanismes mis en place par la Constitution révisée de 1996. C’est tout d’abord méconnaître la constance d’un système institutionnel algérien, depuis 1962, qui ressort d’une logique fortement présidentialiste, et dont l’orthodoxie repose sur un Exécutif monocéphale : un seul chef, en même temps chef de l’Etat et gouvernant effectif. C’est aussi occulter les mécanismes institués par le texte constitutionnel, qui donnent compétence exclusive au Président pour nommer et révoquer le Premier ministre, la majorité parlementaire consultée seulement, et qui excluent, par ailleurs, tout partage du pouvoir de nomination du Premier ministre et son équipe ministérielle. Et ce, contrairement au régime parlementaire, où la nomination par le chef de l’Etat reste formelle et où, en pratique, le cabinet ministériel, émanation de la majorité, est chargé de mettre en œuvre son programme politique. Or, logiquement, chez nous, le gouvernement qui dépend, sur le plan organique du président de la République et qui ne dispose pas d’une légitimité électorale, ne peut prétendre jouir de la sérénité et de l’indépendance nécessaires pour la mise en place d’une fonction gouvernementale. Sans omettre le fait, qu’aucune disposition ne vient conférer, de façon expresse, au Premier ministre, le pouvoir de «déterminer et de conduire la politique de la nation», à l’instar de son homologue français. Bien au contraire, une des intentions évidentes de la révision constitutionnelle de 2008 a consisté à lever toute équivoque quant à un éventuel programme politique du Premier ministre, puisqu’il est dit clairement : «Le Premier ministre arrête son plan d’action en vue de son exécution.» - Si le Premier ministre n’est «conçu» que comme un simple exécutant, qui dispose, alors, de la paternité du programme politique ? Bien que le texte de la révision continue à passer sous silence cette question, il se déduit, a contrario de la logique implacable de la présidentialisation du régime, que la détermination de la politique de la nation ne peut être que du ressort du président de la République, gouvernant effectif. Par conséquent, la jonction de ces facteurs aboutit à ruiner toute idée de pouvoir propre du gouvernement. Et il est clair que le programme en question ne peut être celui d’un Premier ministre et de sa majorité parlementaire, mais bien celui du président de la République, lequel, lui, a été élu sur la base d’un programme politique. - Mais beaucoup de partis politiques savent pertinemment qu’ils n’auront pas la majorité parlementaire, pourquoi ? Cela résulte du choix du mode de scrutin, appelé représentation proportionnelle, combiné à un seuil d’éligibilité, qui permet d’attribuer aux partis un nombre de sièges au prorata des suffrages qu’ils ont obtenus. Ce mode de scrutin, qui assure une représentation parlementaire de chaque parti en fonction de son poids électoral, est conforme à la justice électorale au détriment de l’efficacité. Il engendre un champ politique très fragmenté (à peu près une cinquantaine de partis politiques ont été agréés, actuellement). Par conséquent, aucun parti politique ne peut prétendre remporter la majorité aux élections législatives du fait du mode de scrutin choisi qui encourage l’éclatement exacerbé du paysage politique. Même si, souvent, des coalitions se réalisent au moment de la formation du gouvernement, elles ne peuvent prétendre déterminer la politique de la nation par le biais d’un programme politique, du fait de la logique présidentialiste. - De votre point de vue, quel est exactement le rôle du parlementaire ? Parler du rôle du parlementaire, c’est revenir au modèle de la représentation nationale, consacré par la Constitution. Le mandat national récuse au nom de l’universalisme toute représentation d’intérêts particuliers et impose que le représentant représente la nation toute entière. Donc, il se construit sur une séparation entre la société civile comme lieu du particulier et le politique comme lieu de l’universel, c’est-à-dire qu’il ne se fonde pas sur la ressemblance mais suppose, au contraire, un principe de distinction entre gouvernants et gouvernés. Progressivement, ce modèle français subira une mutation sous l’effet de l’avènement du peuple sur la scène politique. Désormais, au Parlement il est demandé de prendre en compte les aspirations réelles du peuple, de le représenter dans sa diversité. Donc, voter, c’est non seulement sélectionner un candidat pour être élu à l’Assemblée, mais également, exprimer une préférence pour quelqu’un dont les idées sont proches. A cet égard, la loi relative au membre du Parlement de 2001, a tenté de refléter cette évolution universelle en assignant au parlementaire de prendre en charge les revendications des citoyens, et en les portant devant les institutions en mesure de les traduire en réponses politiques. - Justement, le Parlement algérien joue-t-il ce rôle de médiateur ? Un système politique est jugé sur sa capacité à résoudre les problèmes qui secouent la société, grâce aux canaux institutionnels en mesure de médiatiser toute contestation citoyenne. Il est clair que ce rôle se retrouve dans les démocraties parlementaires actuelles, qui fait du parlementaire, à la fois le médiateur et le porte-parole des préoccupations de ses électeurs et des besoins de leurs circonscriptions. Il tend à exercer un rôle d’intermédiaire entre ses électeurs et l’administration publique afin d’aider à corriger quelque injustice dont peuvent être victimes les citoyens face à la bureaucratie. Mais au-delà des services personnels qu’il peut rendre à ses propres électeurs, lorsqu’il intervient auprès d’une institution publique pour obtenir une information ou appuyer une démarche, ce rôle tend à jeter des passerelles entre le citoyen et l’administration. Chez nous, au-delà du discours rhétorique de la loi de 2001, qui assigne des missions ambitieuses au membre du Parlement, celui-ci dispose-t-il de possibilités réelles pour transmettre les revendications des citoyens ? De plus, ce texte évoque des rencontres entre le membre du Parlement et les citoyens, a-t-il prévu un lieu pour ces rencontres ? D’une part, les moyens juridiques qui lui sont accordés restent limités aux questions écrites ou orales. Souvent, le député se présente comme le défenseur attitré de son douar, ou même d’électeurs particuliers à travers les nombreuses questions adressées aux membres du gouvernement. Cette démarche est la plus connue des parlementaires qui savent, non seulement, l’exploiter, mais surtout, quels sont les bénéfices électoraux qu’ils peuvent en soutirer. D’autre part, la plupart des élus ne disposent pas de permanences pour prévoir des audiences et recevoir les doléances des citoyens.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire