Effroyable, bouleversant et poignant. C’est le récit glaçant d’un homme à qui on a infligé un horrible destin. Broyé par la machine judiciaire et brisé par l’implacable univers carcéral duquel il s’en est sorti miraculeusement au terme de six années de détention. Lui, c’est l’ancien président-directeur général de la Cnan à l’époque, et dont la vie a brusquement basculé au lendemain du naufrage du bateau le Béchar, le 13 novembre 2004 au port d’Alger. Une vie qu’il raconte dans son livre qui est sorti cette semaine aux éditions Koukou sous le titre Naufrage judiciaire : Les dessous de l’affaire Cnan. Pour ce haut cadre dirigeant, son accusation, puis sa condamnation obéissaient à des règlements de comptes et qu’il est «le bouc émissaire» tout désigné avec d’autres cadres gestionnaires de la compagnie maritime. Treize années après le naufrage de Béchar, la patron de la Cnan nous revient avec un récit tragique qui commence de l’instruction du dossier qui l’a conduit lui et ses amis cadres vers l’enfer carcéral. D’abord, il pousse un cri de colère contre la machine judiciaire qu’il qualifie de «machine à broyer». «La juge en charge du naufrage du Béchar fut d’un cynisme effroyable. Elle a prononcé, sans état d’âme, une condamnation à 15 ans de prison, après une conduite scandaleuse du procès. Avant elle, le procureur de la République, le juge d’instruction et les magistrats de la chambre d’accusation n’avaient pas hésité, tels de ‘‘froids tueurs à gages’’, à participer à une parodie de justice, bien que me sachant innocent des accusations portées contre moi. Ces magistrats-mercenaires ont transformé l’institution judiciaire en vulgaire instrument de coercition contre les citoyens», écrit Ali Koudil. Un coup de gueule qui en dit long sur la souffrance que l’ancien patron de la Cnan a enduré. Après une brillante carrière couronnée de succès dans les différents postes qu’il a occupés, lui qui a réussi avec brio à redresser la Cnan et la placer au rang des compagnies performantes dans le bassin méditerranéen, il est envoyé en taule. «La récompense de Sinimar.» Dans son livre, il raconte avec force détails les différents épisodes d’une affaire retentissante et qui a défrayé la chronique. Dans chaque page, c’est l’expression de l’impuissance d’un homme face à la puissance froide de l’appareil judiciaire. Après l’angoisse du procès, la condamnation, puis vient le cauchemar de la prison. De Serkadji à Berrouaghia, en passant par El Harrach, le calvaire de ce haut cadre ne fait que s’aggraver. Lui qui a fréquenté la haute administration du pays se retrouve par la force des choses à côtoyer les détenus de droit commun dans les pénitenciers à la réputation démoniaque. Le livre raconte et scrute l’univers carcéral déshumanisé. Ali Koudil nous raconte comment il a failli craquer face à une terrible pression psychologique. A un moment, il a même songé au suicide pour écourter cette souffrance et surtout celle de sa famille. Et sans nul doute c’est sa famille qui l’a maintenu en vie. Notamment sa fille Sonia qui a fait preuve d’un courage extraordinaire et qui a su à chaque fois qu’elle rendait visite à son père lui apporter de l’espoir dans ses couffins. Sa fille s’est battue sans relâche dès les premiers instants de l’affaire jusqu’à la libération de son papa. Avec la vaillance qu’elle tient des montagnes d’Agouni Fourou, Sonia fait face pendant des années à une épreuve psychologique intenable. Le livre de Ali Koudil est, à ce titre, le témoignage d’un drame humain dont on ne se rend pas compte. Seules les familles des détenus en savent quelque chose. Elles en sont brisées et pour toujours. C’est l’aspect le plus dur dans la vie carcérale de Ali Koudil. Lui et sa famille ont été obligés de ne pas mettre au courant sa maman — malade — de peur de la faire souffrir davantage. Il fallait la préserver. On a dû lui inventer une histoire : «Ali se trouve à l’étranger et il ne peut pas rentrer en Algérie.» Elle disparaît sans qu’il puisse assister à son enterrement. Une terrible tragédie. Et la descente aux enfers ne s’arrête pas de sitôt. C’est avec un cœur déjà brisé que Ali Koudil apprend en prison que son fils — Arselane — adolescent se fait arrêter pour une banale affaire. Le ciel lui est tombé sur la tête. Il ne manquait que ça pour que cela devienne une tragédie grecque. Et encore une fois c’est sa fille — un modèle de courage — qui réussit à lui maintenir la tête hors de l’eau. Sorti de prison au bout de six ans, Ali Koudil doit faire face à une autre affaire liée à une supposée «mauvaise gestion de la Cnan» ! C’est le sort qui s’acharne contre lui. Il se retrouve une seconde fois derrière les barreaux sous le régime de mandat de dépôt. Il a fallu une grande bataille pour qu’il puisse retrouver sa liberté. Cette liberté si fragile que le lecteur découvrira à la lecture de ce livre. En le lisant, on est vite saisi d’une angoisse étouffante. C’est digne d’un roman tragique. C’est un livre qui nous montre combien notre réalité dépasse la fiction.
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