Des moudjahidine et moudjahidate de la première heure, héros d’hier, citoyens d’aujourd’hui, nous font partager leurs désillusions et parlent de leur vécu présent. Ils racontent et se racontent à travers la table ronde organisée par El watan Week-end à Béjaïa. Round-up. - Aselat Mokhtar : La famille révolutionnaire ne s’attendait pas à cela «80% des moudjahidine sont des illettrés, la vie a été dure avec eux après l’indépendance». Celui qui parle est un moudjahid qui a aujourd’hui 84 ans. Lorsque la guerre de Libération nationale a éclaté, Aselat Mokhtar, dit Si Meziane, était engagé dans le 12e contingent de l’armée française. La formation qu’il y rapportera, à son retour au pays en mars 1955, est une sorte de butin de guerre qui a servi pour l’ALN. Il s’est développé en lui aussi un sentiment de nationalisme. Un stage de parachutisme devait les amener, lui et ses compagnons algériens, en Tunisie. Dans la tête du groupe, un plan a été échafaudé pour fuir une fois sur le sol tunisien, avant que le stage ne soit annulé pour les appelés, dont l’origine algérienne a dû avoir fonctionné comme une alerte chez les militaires français quelques mois après les événements sanglants de Mai 1945. En novembre 1955, une année après le déclenchement de la guerre, Si Meziane est désigné comme chef des moussebiline dans son village d’Iâloulene, dans le douar d’Imezayen. Et commence alors l’activité armée avec une première opération ciblant l’usine de liège «Matas» à laquelle on avait mis le feu. Si Meziane se souvient encore de la bouteille de 5 litres remplie d’essence, de la dose d’engagement nationaliste et des dégâts que l’opération avait occasionnés : 500 millions de francs français. L’attaque de la gendarmerie, pensée en commun avec des responsables de l’ALN dans le douar, allait être exécutée par la seule vaillance de Si Meziane qui conclut l’opération avec une bombe artisanale. Du terrain des moussebiline, Si Meziane s’est retrouvé dans le bataillon de choc de la Wilaya III qui a activé, onze mois durant, dans les Aurès où l’opération «Etincelles» avait fait des dégâts. De retour dans la Wilaya III, le bataillon de 360 éléments, accroché à Ath Wavane, s’est divisé en deux compagnies de 120 éléments. Si Meziane avait était l’adjoint du chef de la première compagnie qui s’est dirigée vers Ath Idjer pour se retrouver à Akfadou, lieu du PC de la Wilaya III. Parmi ses hauts faits d’armes, Si Meziane avait initié une embuscade au niveau du pont de Sfaïh, sur la RN 12, à Assif El Hammam. Le président du douar était ciblé en tant que collaborateur de l’armée française qui l’escortait sur cette route. 72 soldats et 4 pièces mitrailleuses étaient déployés sur les lieux. En face, 33 chars blindés escortaient le collaborateur. L’embuscade, qui n’a fait qu’un seul blessé parmi les hommes de Si Meziane, avait permis de récupérer 18 armes et a valu à la compagnie les félicitations des responsables du Nidham. 63 ans après le 1er Novembre 1954, Si Meziane garde la même fierté de son engagement pour la lutte armée. Mais cela ne l’empêche pas de se désoler pour les lendemains désenchanteurs pour une partie des moudjahidine. «Ceux qui ont fait des études ont tous été embauchés dans l’administration, ont été députés ou fait des affaires, les illettrés, eux, ont cherché du travail, ils n’avaient pas de métier, leurs maisons étaient détruites, leurs parents morts», nous dit-il. «On leur a alors préparé ce avec quoi on a altéré l’image du moudjahid en leur proposant des bars», se désole-t-il. Il constate qu’à ce jour, il y a des moudjahidine qui ne sont pas logés. «C’est pour vous dire qu’on ne leur a pas rendu le bien qu’ils méritent. On a cru qu’en combattant l’ennemi nous étions des hommes et que nous nous retrouverons dans la paix et que nous profiterons pleinement de l’indépendance. Rien», se désole encore Si Meziane. «Le peuple se plaint auprès de nous, mais nous le gouvernement ne nous écoute pas. La famille révolutionnaire ne s’attendait pas à cela», conclut sous-officier du redoutable bataillon de choc. - Cherif Hamici : Je souhaite que nos intellectuels qui sont à l’étranger rentrent Huit personnes de sa famille, dont cinq frères, sont tombées au champ d’honneur. Cherif Hamici, 83 ans, le rappelle à chaque occasion qui lui est donnée pour témoigner de son parcours révolutionnaire. Engagé dans les rangs de l’ALN en novembre 1955 en tant que moussebel dans son village Fettala, à Tifra, il a cumulé des années de guerre dans les maquis de la Wilaya III jusqu’à mériter une médaille militaire qu’il tient, en octobre 1958, des mains de son chef militaire, Amirouche Aït Hamouda lui-même. En la confiant au Musée du moudjahid de Béjaïa, il contribue à l’entretien de la mémoire collective autour d’une guerre qui a marqué l’histoire des révolutions dans le monde. Devant les couleurs nationales, Cherif Hamici se montre submergé par la fierté. «Quand je vois aujourd’hui notre drapeau flotter dans les pays, j’ai de la joie et de la fierté dans le cœur», nous dit-il. Le baptême du feu de Si Cherif a été à Lambert, dans sa région natale, en 1956. Il a descendu «deux Sénégalais» en faction dans le poste de la caserne militaire un jour de neige. L’action lui a valu son adhésion à l’ALN. En tant que soldat, il a pris part à de nombreuses actions, dont celle d’un dépôt de liège aux environs de Tikbal. Lors de plusieurs opérations, Si Cherif a pu récupérer des armes sur les corps des militaires français abattus. Quelle est la bataille qui est restée gravée le plus dans sa mémoire ? Son âge avancé n’a rien effacé, toutes lui sont restées en souvenir. Parmi elles, l’embuscade de Azazga où on avait brûlé un blindé, récupéré des Mag 50, mitraillettes, carabines américaines, et 36 000 cartouches. Des forces coloniales étalées dans le défilement de 35 blindés on en a fait une bouchée. Dans une autre embuscade qui s’est transformée en un accrochage d’une journée, à Iaâzouzène, à Tizi Ouzou, on a aussi récupéré pas mal d’armes. Si Cherif et ses camarades ont dû évacuer les lieux par la mer, pour sortir du côté de Beni Ksila. Le nombre d’armes récupérées a valu à Si Cherif la médaille de Bravoure au même titre que 21 de ses camarades de lutte qui étaient sous la coupe de Amirouche. L’annonce de la mort du Lion du Djurdjura par des tracts jetés d’un avion militaire a galvanisé les troupes. «Nous étions prêts à mourir», confie Si Cherif. «C’était lui qui nous préparait du café à Akfadou», témoigne-t-il. En 1958, Si Cherif a été dans le groupe qui avait la surveillance de trois Pères blancs de la même famille, capturés à Beni Mansour et acheminés vers le PC d’Akfadou. «Nous les avons bien traités sur ordre de Amirouche et nous les avons libérés trois mois plus tard en leur confiant une lettre», témoigne-t-il. Leur détention avait déclenché un grand ratissage de l’armée française. Le même traitement avait été réservé à un journaliste américain qui avait fini, au bout d’une année de captivité, par apprendre le kabyle, se souvient Si Cherif. Notre moudjahid célèbre le 63e anniversaire du 1er Novembre avec les souvenirs d’une guerre atroce et la fierté d’un devoir accompli. «Nous avons libéré le pays pour nos enfants et nos petits-enfants. Notre pays a tous les moyens aujourd’hui, il est debout même s’il y a des insuffisances», déclare-t-il. «Si nous produisons, notre pays se développera encore. A la nouvelle génération de prendre le relais. Je souhaite que nos intellectuels qui sont à l’étranger rentrent, et inchallah ceux qui nous gouvernent les laisseront travailler pour ce pays pour lequel a coulé le sang des chouhada», conclut Si Cherif. - Na Zina Mebarki : Ceux qui n’ont pas pu faire des études, je jure qu’ils sont dans une misère noire Elle tire de son portefeuille une vieille photo qui la montre dans sa tenue de combat, le regard fier, avec ses compagnons de lutte dans les maquis de la Wilaya III. Mebarki Zina, N’Djima de son nom de guerre, a été l’une des trois femmes soldat de l’ALN dans la zone où elle a pris les armes. 63 ans après le déclenchement de la guerre de Libération, Na Zina est désillusionnée, elle en a gros sur le cœur. «Nous nous sommes sacrifiés pour que vive le peuple algérien sans inégalités, ce n’est malheureusement pas le cas, autant pour les moudjahidine que pour tout le peuple. Certains ont dévoré l’Algérie, alors que d’autres sont restés affamés», dénonce-t-elle. «Nous au moins nous avons travaillé pour ce pays, nous ne le laissons pas à la déroute, mais ceux-là ont pris l’argent et ont abandonné l’Algérie dans ses routes, dans ses déchets…. Les responsables ne courent que pour leurs poches, pourvu qu’ils vivent, qu’ils soient logés sans se soucier des autres», explose-t-elle. Na Zina étouffe presque d’un sentiment d’injustice, et elle a un message aux gouvernants : «Je m’adresse aux responsables de l’Algérie : ayez peur de Dieu pour ce peuple. Vous avez ruiné ce pays et il ne le mérite pas. Les femmes ont aidé l’Algérie quand les caisses étaient vides. On n’a rien vu. Aujourd’hui, qui aidera l’Algérie dans sa construction ? Il n’y a malheureusement que ceux qui la trahissent, la volent.» Mais qui est cette moudjahida écrasée par la désillusion ? Dans son village des Ath Mbarek, à Tala Hamza, Na Zina a grandi dans la proximité de l’activité clandestine des moudjahidine. Au déclenchement du 1er Novembre, elle était encore fillette, mais avec la conscience d’une femme. Lorsque son frère préparait des cocktails Molotov pour renverser un train et donner les premiers coups de la guerre de Libération, la petite Zina se sentait impliquée. «Ma sœur me demandait d’entrer à la maison. Il y avait une telle joie quand on entendait les premiers coups de feu !» nous confie-t-elle. Elle avait participé au soutien des siens qui alimentaient et soutenaient le village de Azrou N’Bechar jusqu’au jour où l’armée française s’en est rendu compte et a poussé à l’exode toute la population. A 14 ans, elle quitte son village pour la ville de Béjaïa. Dans la tête de la petite Zina, le projet de monter au maquis prenait forme jusqu’à la pousser à le faire en 1957. Toutes jeunes, entre 14 et 18 ans, elle, une des ses cousines et sa voisine passent à l’acte, submergées par le sentiment nationaliste. Na Zina rejoint avec ses deux compagnes son frère à Ighil Ouyazit, dans la périphérie de la ville de Béjaïa, qui les invite à rentrer chez elles. Déterminées, elles rejoignent le maquis malgré tout. Mebarki Zina, Belaïd Djida et Terbeh Malika constitueront les premières djoundiate de leur zone dans la Wilaya III. Amirouche la «connaissait bien», elle en garde le souvenir de quelqu’un qui, un tantinet plaisantin, leur signifiait un jour pouvoir les emmener au maquis «dans son sac à dos». Sa première tenue militaire, Na Zina la doit à un tailleur d’El Kseur, un certain Mahmoud. La toute première arme également ne s’oublie pas, «la 8», qu’on lui avait confiée avec des grenades. Quand Na Zina parle des armes, on croirait à une maîtrise parfaite d’un chef militaire. Après un an à Ighil Ouyazit, qui a été une zone de transit, elle se retrouve dans la forêt de Djebira, puis plus loin, à Ijermounene, à Kherrata. L’époque était celle des affres de l’opération «Jumelles» qui avait rendu difficiles les déplacements des moudjahidine de l’ALN. Djida, la voisine, a été blessée dans l’un des accrochages avec l’ennemi, donnant preuve de l’implication entière de la femme dans les combats de l’armée de libération. La contribution des Algériennes prenait d’autres formes. Na Zina se souvient qu’à Bouandas, du côté de Sétif, les femmes ont permis de réunir près d’un quintal d’argent qui a servi à la confection des insignes pour l’ALN. C’est ce même élan qu’elles concrétiseront à l’indépendance avec le fameux Soundouq ettadhamoun. A l’approche de l’indépendance, des goumiers, témoigne-t-elle, se sont rendus collaboratifs en leur fournissant des habits, des renseignements et même des cartouches. Aujourd’hui, Na Zina si elle célèbre fidèlement l’anniversaire du 1er Novembre, elle ne le fait pas dans la gaieté. «Je connais des moudjahidine employés comme bergers», nous dit-elle. «Je connais le cas de quelqu’un qui a cherché du travail de Djebira jusqu’à Sétif, il ne l’a pas trouvé», ajoute-t-elle toute déçue. «On a combattu par amour du pays, et nous n’avons rien demandé. Ma pension, c’est jusqu’en 1980 que je l’ai eue», témoigne-t-elle. Ce qui fait mal à Na Zina, c’est que l’on dise que les moudjahidine ont les gros budgets de l’Etat. «On dit que les moudjahidine ont tout pris, c’est archi-faux. Certains ont pris, d’autres n’ont rien. Ceux qui n’ont pas pu faire des études, je jure qu’ils sont dans une misère noire», dit Na Zina qui, à 75 ans, n’a pas fini de rêver d’une Algérie meilleure. - Abderahmane Sekouchi : Amirouche nous avait demandé… Abderahmane Sekouchi a connu la misère, dès son jeune, pendant la colonisation française. Il a été cireur dans la rue, vendeur de journaux, de casse-croûte dans la ville de Béjaïa. Au maquis, la vie ne sourit pas non plus, à l’indépendance aussi. «Nous avons souffert pour ce pays, nous souffrirons encore s’il le faut pour lui. J’ai nettoyé des toilettes, j’ai balayé, mais j’en suis fier parce que c’est pour mon pays», nous répond-il. En avril dernier, Abderahmane Sekouchi a bouclé sa 76e année avec le même nationalisme qu’il montre dans ses propos, dans ses yeux et sa mine fière. «Nous avons fait le maquis pour notre pays, et nos parents nous ont devancés en cela. On y a laissé beaucoup des nôtres, certains nous les avons enterrés, d’autres ont été dévorés par les chacals. Nous leur avons fait le serment de continuer le combat», nous déclare-t-il. De son village natal de Toughezratin, à Tinebdar, Abderahmane Sekouchi a gagné la ville bougiote qui lui a servi de transit pour rejoindre le maquis de l’ALN à 16 ans à peine, en 1956. A 14 ans déjà, l’envie de monter au maquis le brûlait au point de harceler des moudjahidine du village de l’emmener avec eux. Quand il y a été, on lui a remis une grenade qu’il a lancée sur une Jeep dans le quartier Houma Ouvazine, en plein centre-ville de Béjaïa. Il a rejoint les effectifs de l’ALN fusil à l’épaule, un fusil avec lequel il s’est enfui alors qu’il venait d’être enrôlé dans une caserne française. Il avait réussi à fausser compagnie au sergent- chef qui l’accompagnait. L’immersion dans les actions militaires avec les moudjahidine se fait dans la région des Ath Ouaghlis, sur les hauteurs de Sidi Aïch, exactement à Taourirt en novembre 1957. A Fellih, Mzidh, et bien d’autres villages de cette région voisine de l’Akfadou, il a côtoyé des chefs militaires de l’ALN, en étant affecté à Merdj Oubraras, dans la section de «Tarzan», du nom de son chef militaire, dans celle de Ouerdani Mouloud, puis dans la compagnie de la région. Il se souvient de Abderrahmane Mira, qui avait remplacé Amirouche à la mort de celui-ci, et des 35 prisonniers, des «bleus» innocentés, qu’il devait, avec ses compagnons, conduire pour les laver à la rivière pour les besoins de la grâce qu’ils allaient recevoir. «Ce fut la première fois que je voyais Abderrahmane Mira devant moi, avec ses gardes de corps», confie-t-il. La vie dans le maquis lui laisse des souvenirs de conditions dures qui les obligeaient même «à manger du loup jusqu’aux entrailles». Les embuscades et les accrochages ne se comptent pas pour celui qui a connu les geôles du colonisateur pour avoir été condamné d’octobre 1959 à mai 1962, et échappé à la condamnation à mort. Aujourd’hui, notre moudjahid se souvient comme si c’était hier d’une des recommandations de son chef dans la Wilaya III. «Si Amirouche nous avait demandé de garder, à l’indépendance, nos positions dans les postes avancés, pendant deux à trois ans, et ne surtout pas descendre dans les villes avant que l’Etat ne se concrétise, des élections soient tenues et les institutions installées», révèle-t-il.
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