La problématique de l’immigration a pris de l’importance en ce XXIe siècle, favorisée par des facteurs aggravants, comme le réchauffement climatique, les conflits et les crises économiques qui ont induit dans leur sillage l’épineux phénomène de l’immigration clandestine et celui des réfugiés. A cela s’ajoute une immigration choisie, toujours en vigueur, par les pays d’accueil, vidant les pays du Sud de leurs «cerveaux». Il y a dans la migration africaine une grande partie de personnes hautement qualifiées. Selon des statistiques de l’OCDE, l’Organisation de coopération et de développement économiques, «entre 1990 et 2000, le taux d’immigrants hautement qualifiés originaires de pays africains résidant dans les pays de l’OCDE a augmenté de 90%». Une étude dirigée en 2015 par Musette Mohamed Saïb, directeur de recherche au Cread, nous apprend que 268 000 migrants algériens qualifiés se trouvent à l’étranger, dont 75% en France, le reste au Canada (11%) et au Royaume-Uni (4%). Selon cette étude, l’immigration algérienne qualifiée est beaucoup moins intéressée par les destinations Espagne et Italie. En tout, pas moins de 5 millions de migrants nord-africains se trouvent à l’étranger, en Europe pour l’écrasante majorité. Ce sont là des chiffres puisés dans les statistiques des pays industrialisés, dont ceux de l’ONU, présentés par Musette Mohamed Saïb lors d’un colloque international organisé mardi et mercredi derniers par la faculté des sciences économiques, commerciales et des sciences de gestion de l’université de Béjaïa, sous le thème «Immigration qualifiée et développement des pays d’origine : enjeux et réalités». L’immigration qualifiée est assimilée à la fuite des cerveaux, «un concept volontairement provocateur, surtout pour les pays d’accueil», estime Musette Saïb. Selon des chiffres du Département onusien des affaires économiques et sociales (Undesa), l’Afrique a compté en 2012 quelque 20 millions de migrants, soit 8,5% de la migration mondiale. L’Afrique du Sud, la Côte d’Ivoire et le Nigeria sont les pays qui attirent le plus de migrants africains. Contrairement aux idées répandues, les flux migratoires ne se font pas plus vers le Nord. C’est ce que nous donnent à voir des statistiques présentées par Musette Saïb. «Migration scientifique» Au moins 30 millions d’Africains sont aujourd’hui des immigrés dans le monde et la moitié d’entre eux ont changé de pays mais pas de continent, puisque 52% ont migré à l’intérieur de l’Afrique. Ils ne sont que 26% à prendre la destination de l’Europe et 14% celle de l’Asie. Les obstacles instaurés par les politiques de l’immigration choisie pourraient expliquer cette tendance africano-africaine. 800 000 migrants maghrébins «de haut niveau» d’instruction sont dans les pays de l’OCDE, dont 40% en France. Au Maghreb, l’Algérie est le pays qui a enregistré le plus grand taux de croissance de cette «migration scientifique» dont font partie les médecins. Il y a trois ans, près de 17 000 médecins maghrébins ont émargé à l’Ordre des médecins français. Selon l’étude menée sous la direction de Musette Saïb, plus de 10 000 médecins algériens exercent en France. Les médecins nord-africains sont de plus en plus nombreux à quitter leur pays vers, notamment, la France et le Canada. Si la perte est lourde pour les trois pays nord-africains, elle l’est encore plus pour le Maroc, que l’OMS a classé comme l’un des pays manquant cruellement de personnel médical. Le chercheur du Cread relève que parmi les praticiens de la santé, ce sont les psychiatres qui émigrent le plus, et de loin les psychiatres algériens sont les plus nombreux parmi nos «cerveaux médicaux» qui fuient. Puis arrivent les radiologues, les ophtalmologues, ensuite les anesthésistes qui sont, toutefois, moins attirés par l’émigration par rapport à leurs confrères tunisiens et marocains, et encore moins les spécialistes en obstétrique, en gynécologie et en chirurgie générale. Si certains de nos médecins partis ont obtenu leurs diplômes dans les pays d’accueil, la grande majorité (73%) sont des diplômés de l’université algérienne. La fuite des cerveaux se reflète dans le manque de spécialistes dans nos hôpitaux ou dans le secteur médical de façon générale. L’immigration a induit la constitution progressive de diasporas à travers le monde et qui sont aujourd’hui des sujets d’intérêt, notamment pour les envois de fonds vers le pays d’origine, l’image de l’émigré ayant été associée à la devise. Impact sévère Selon Pascal Reyntjens, chef de mission de l’Organisation onusienne pour les migrations (IOM), pour l’Algérie, «les revenus versés par les diasporas aux familles et aux amis dans les pays en développement dépassent les 441 milliards de dinars, soit trois fois le volume des flux d’aide internationale». Selon lui, certains pays accordent une attention particulière «au volume des envois de fonds dans les circuits de distribution formels et informels». Cet intérêt traduit l’importance des diasporas qui sont considérées aujourd’hui comme «des acteurs importants du développement pour de nombreux pays d’émigration». L’Etat algérien a créé en 2012 une direction générale de «la communauté algérienne établie à l’étranger» dépendant du ministère des Affaires étrangères. Mais les chiffres manquent cependant pour quantifier la diaspora algérienne et son apport, direct ou indirect, dans le développement de l’économie nationale. Des chercheurs ont fini par insister «sur le fait que la diaspora ne devrait pas être abordée uniquement sur la question des envois de fonds», mais qu’il y a lieu de penser aussi aux «fonds sociaux». La nouvelle perception a induit le concept de la «migration scientifique» vue «comme une ressource potentielle qui peut être mobilisée pour contribuer au développement économique, technologique, scientifique et social du pays». En relevant ceci, Musette Mohamed Saïb souligne que ces migrations ne sont pas sans un «impact sévère» sur les pays. Les données recueillies sur la catégorie des médecins en sont une illustration, de quoi alerter sur une hémorragie qui fait fuir les «cerveaux médicaux» de l’Afrique. 65 000 médecins africains se sont installés à l’étranger, ce qui représente, comme le note Musette, un cinquième du corps médical en Afrique. La fuite touche gravement des pays comme l’Afrique du Sud, l’Ouganda et le Nigeria qui voient leur système de santé affaibli. La moitié des médecins sont partis sous la contrainte de «l’ajustement structurel» subi par leurs pays. Une autre étude a révélé que «l’immigration médicale» s’est aggravée entre 1990 et 2004. Selon l’OMS, sur les 57 pays dans le monde à pâtir de la «pénurie de médecins», 36 sont de l’Afrique subsaharienne.
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