L’arrestation manu militari, vendredi dernier à Oran, du journaliste et militant des droits de l’homme Saïd Boudour et du lanceur d’alerte Nourredine Tounsi, et leur transfert, séance tenante, vers un commissariat de la capitale, a fait couler beaucoup d’encre. Retour sur une affaire sordide qui renseigne à quel point la liberté de la presse, en Algérie, peut être malmenée, et les journalistes en voir de toutes les couleurs. Vendredi dernier, vers 1h, la police se rend au domicile de Saïd Boudour. Ce dernier n’y était pas. On demande aux membres de sa famille de lui dire de se présenter, dès le matin, au 1er étage du commissariat central. Il ne s’y rend pas, préférant temporiser. Au bureau d’Oran de la Ligue algérienne des droits de l’homme, une réunion d’urgence est organisée en début d’après-midi. Vers 19h30, en sortant du bureau de la LADDH, Saïd Boudour est attendu par une demi-douzaine d’éléments de la police judiciaire qui l’embarquent aussitôt. Au même moment, dans un barrage non loin d’El Hamri, le lanceur d’alerte et ancien employé du port d’Oran, Nourredine Tounsi, est lui aussi interpellé. Les deux hommes sont conduits directement à Alger, au niveau du commissariat de Bab Ezzouar. Tout porte à croire que leur arrestation est liée à l’affaire de la saisie de 701 kilos de cocaïne qui a éclaté au grand jour le 29 mai, mais rien ne confirme cela. Une chose est sûre : la décision de leur arrestation émane d’une notification d’Alger, et ce sont bien les membres de la police d’Alger qui se sont déplacés jusqu’à Oran pour procéder à leur interpellation. Le soir même, l’information est diffusée sur les réseaux sociaux, et un élan de solidarité s’improvise aussitôt. Une question se pose : pour quelle raison la police a cru bon d’arrêter, de façon si cavalière, un journaliste et un lanceur d’alerte ? Pour essayer d’avoir des éléments de réponse, nous nous sommes déplacés, hier, au siège du bureau de la LADDH d’Oran, où nous avons été reçu par Ghalem Bouha et Salim Mecheri, deux militants chevronnés des droits de l’homme. Selon eux, qui parlent au nom du bureau d’Oran de la LADDH, une journée avant l’arrestation de Saïd Boudour et Nourredine Tounsi, les autorités ont fermé le journal électronique Algérie-Direct et ont embarqué, à Alger, le journaliste de cet organe électronique ainsi que l’éditeur du site ( depuis hier, le site est de nouveau accessible, nldr). Leur arrestation, affirme la LADDH d’Oran, fait suite à un article de ce journal électronique rapportant que 44 des 701 kilos de cocaïne saisis au port d’Oran ont été dérobés et qu’il n’en reste, de ce fait, que 657 kilos. «Saïd Boudour, qu’on a eu au téléphone, nous a déclaré que Algérie-Direct l’avait accusé, auprès de la police, de leur avoir donné cette information, ce qu’il nie absolument», déclarent ces militants de la LADDH d’Oran. D’où le fait qu’on l’ait arrêté. Quant à Nourredine Tounsi, les raisons de son arrestation restent pour le moins floues, «sauf à lier cette affaire aux alertes lancées par Tounsi Nourredine sur la gestion du port d’Oran et reprises par Saïd Boudour qui viennent de prendre une autre dimension avec l’affaire dite de la cocaïne toujours au même port». C’est en tout cas ce que précise Kaddour Chouicha dans un communiqué de la LADDH paru samedi dernier. Mais là n’est pas tout : le bureau d’Oran de la Ligue des droits de l’homme, qui est en contact téléphonique avec Saïd Boudour, déclare que ce dernier a été convoqué de sa cellule par des policiers, avant-hier (samedi), qui lui ont posé des questions sur les migrants subsahariens (un sujet qu’il a eu à traiter dans maints reportages), ainsi que sur son activité au sein du syndicat des éditeurs de la presse électronique. Alors qu’ils devaient être présentés hier au tribunal de Sidi M’hamed, leur présentation devant le procureur a été reportée à aujourd’hui. Deux collectifs d’avocats se sont composés pour les défendre : le premier mené par Me Bouchachi, et le second par Me Badi. De leur côté, dans un communiqué rendu public hier, les éditeurs de la presse électronique demandent la libération immédiate de Saïd Boudour et de Nourredine Tounsi : «Les membres éditeurs du collectif du SAEPE (en cours de constitution) dénoncent cette arrestation brutale, illégale et exigent la mise en liberté immédiate de Saïd Boudour. Rien ne justifie un tel retour aux pratiques d’un autre âge avec les professionnels de la presse.» En outre, ce collectif exprime son inquiétude face au sort réservé au journaliste du site Algérie-Direct ainsi que son éditeur.
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