jeudi 14 juin 2018

«Nos produits agricoles sont bio ou semi-bio»

Président de la Chambre d’agriculture de Ghardaïa et membre du Conseil national de l’agriculture, Rabah Ouled-Hadar évoque, dans l’entretien qu’il nous a accordé, la polémique née du recours abusif des pesticides et des engrais par les cultivateurs. Pour lui, l’agriculture traverse une période charnière et connaît une extension des terres, notamment au sud du pays où, selon lui, on produit 37% des fruits et légumes présents sur le marché. Il assure les consommateurs en leur disant que les produits qu’ils mangent «sont bio ou semi-bio» parce qu’ils sont «cultivés sur des terres non polluées et irriguées par des eaux naturelles de la nappe albienne». Entretien réalisé par Salima Tlemçani Une polémique tourne actuellement autour du recours abusif aux pesticides et aux engrais par les agriculteurs. Est-ce le cas ? En tant que professionnels, nous avons toujours dénoncé l’utilisation abusive des pesticides et des engrais. Le recours à ces produits doit être rationnel et bien contrôlé. Certains agriculteurs qui ne sont pas formés ou ont des connaissances modestes de l’agriculture doivent être informés. Ces produits comportent des étiquettes où sont inscrites toutes les informations relatives à leur utilisation. Il suffit de les vulgariser pour qu’elles soient accessibles à tous. Les agriculteurs doivent faire appel aux professionnels pour améliorer leur rendement avec des techniques plus modernes. Sachez que le secteur de l’agriculture appartient à 99% au privé et compte 1,2 million d’agriculteurs et 2 millions de praticiens. Cela donne un peu plus de 3 millions d’intervenants dans le secteur qu’il est difficile de former, d’informer et de mettre à niveau. L’agriculture n’a pris son envol que ces dernières années, en raison de l’importance donnée à la production agricole, notamment les fruits, les légumes, les viandes et le lait. Des efforts considérables ont été consentis par les professionnels qui ont relevé le défi de la mise en valeur des terres au sud du pays. Ils ont réussi de façon remarquable à travers l’extension des surfaces agricoles. Aujourd’hui, 23% de la production agricole nationale provient du Sud, particulièrement des wilayas d’El Oued, Biskra, Ghardaïa qui produisent 37% de nos légumes. Justement, en évoquant ces légumes mais aussi ces fruits, certains experts ont mis en garde contre ces produits dont la taille est anormalement importante en raison de leur «dopage» par des engrais. Partagez-vous cette inquiétude ? Il faut savoir que la taille dépend de la variété de la semence et de l’espèce ; chacune peut avoir son calibrage particulier. Peut-être les agriculteurs ont-ils importé des variétés de semences de  légumes ou de fruits de grande taille. N’y a-t-il pas surutilisation des engrais ? Cela pourrait être vrai pour le Nord, parce que le sol est lourd et laisse difficilement les produits chimiques disparaître. Tandis qu’au Sud, le sol est sablonneux, il agit comme un filtre. Tous les produits sont évacués. Au Sud, on utilise l’irrigation intensive, ce qui n’est pas le cas au Nord. Avec les fréquences de cette irrigation, il y a ce qu’on appelle un drainage naturel de l’excès d’engrais. Il faut dire que le sol saharien est certes exposé aux aléas climatiques, mais il ne favorise pas les contaminations. Il est vierge et stérile et nécessite un apport en engrais. Son irrigation se fait par une eau albienne qui se trouve entre 300 et 1500 mètres de profondeur, faisant d’elle une eau pure. Ce drainage naturel dégage tous les excès de produits chimiques. Qu’en est-il du recours par les agriculteurs à la fiente de volaille comme engrais ? N’est-ce pas dangereux pour la santé ? Là vous avez entièrement raison. Il y a des régions, comme El Oued par exemple, qui abusent de l’utilisation des déchets organiques de volailles dopées aux antibiotiques et aux hormones qui peuvent être toxiques s’ils dépassent le taux de 5%. Comment savoir si ce taux n’est pas dépassé ? Cela passe par des analyses et des contrôles. Moi-même j’ai déjà analysé certains produits et j’ai constaté une contamination au phosphate, aux antibiotiques et aux hormones. Si le taux est de 5%, cela ne pose pas de problème. La norme arrêtée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), est entre 5 et 10%. Mais même avec cette dose assez basse, nous les orientons vers le compostage. Les déchets doivent être compostés avant leur utilisation pour éviter toute contamination et toute mauvaise utilisation. Pour ce qui est des fruits, je peux vous dire que la production de pastèque à El Ménéa, par exemple, atteint un million de quintaux par an et elle est distribuée dans les 48 wilayas du pays. Elle est irriguée avec une eau minérale naturelle de Ménéa, puisée à partir de l’albien. La pastèque est cultivée sur un terrain vierge, le premier à être mis en valeur par des privés. L’utilisation d’engrais ou de semences hybrides a permis de booster la production de ce fruit ces quatre dernières années. Un million de quintaux sont consommés par 15 millions de consommateurs et à aucun moment nous n’avons entendu parler d’une quelconque intoxication. Les seuls cas enregistrés proviennent du Nord et sont dus à l’irrigation avec des eaux usées. Est-ce le cas pour la fraise dont la taille était exceptionnelle, sachant que ce fruit se mange intégralement ? La culture de la fraise a connu le même cheminement. Les agriculteurs ont misé sur de nouvelles semences et des engrais pour avoir des tailles plus grandes. Mais il faut juste qu’ils respectent la durée de récolte, qui est de 15 jours. Un délai suffisant pour que les produits disparaissent du fruit. Il faut savoir que 37% de la production nationale de fruits et légumes provient de trois ou quatre wilayas du sud du pays. Mais s’il y a des tentatives de quelques indus agriculteurs, cela ne doit pas jeter le discrédit sur l’ensemble des professionnels qui font des efforts exceptionnels. N’oublions pas que pour des raisons de rentabilité et de qualité, nous avons besoin de traiter les plants par les pesticides qui ont de tout temps été utilisés. Le problème qui se pose n’est pas leur utilisation, mais leur dosage. Je ne pense pas que les agriculteurs savent qu’en dopant leurs plantes, ils influent sur leur santé. Ils n’ont pas intérêt à ce que leur production soit compromise. Qu’en est-il de ces pesticides utilisés en Algérie et qui sont interdits eu Europe et ailleurs dans le monde ? Normalement, chaque produit chimique qui entre au pays doit être analysé par une commission spéciale d’homologation au niveau de l’Institut national de protection de végétaux (INPV) qui dépend du ministère de l’Agriculture. Comment ce contrôle peut-il être fait sur des produits qui circulent de manière informelle ? C’est vrai. Il en existe et pour y faire face, il faut que nos hommes d’affaires et nos chimistes s’orientent vers l’industrie chimique pour produire les pesticides et répondre à la demande nationale. Il y a des sociétés publiques qui le font mais leurs productions sont en deçà des besoins. Ne faut-il pas plutôt des laboratoires de contrôle, comme plaidé par le président de l’Association des exportateurs algériens ? J’ai toujours plaidé pour des laboratoires régionaux qui doivent être à la disposition des commerçants, des agriculteurs, des exportateurs, de l’Association de protection des consommateurs et de tous les professionnels. Pourquoi ne pas encourager le privé et les grandes entreprises à investir ce créneau très porteur ? Cette démarche a été abordée lors des Assises de l’agriculture et elle a été recommandée par une grande majorité des participants. Savez-vous que pour toute certification d’exportation, nous sommes obligés d’aller jusqu’en Tunisie puisque l’agrément est donné par Ecoser, un bureau international qui a des représentants en Tunisie, au Maroc, en Egypte et pas en Algérie ? Pourquoi ne pas avoir un bureau à Alger ? Il y a un manque flagrant de laboratoires qu’il est temps de combler. Nous avons 50 à 60 000 chimistes expérimentés et quelque 200 000 biologistes qui pourraient être d’un apport considérable. La ressource humaine existe. Il reste uniquement les moyens matériels qu’il faudra mettre en place. Vous insistez sur le contrôle des produits à l’export, mais qu’en est-il du contrôle de toute cette production agricole mise sur le marché ? On ne doit pas jouer avec la santé des citoyens. Les fruits et légumes destinés à la consommation doivent être contrôlés. C’est l’affaire des professionnels et interprofessionnels. Il ne faut pas être pessimiste pour la qualité de nos produits qui sont majoritairement bio ou semi-bio. Au Sud, la terre et l’eau ne sont pas polluées. Les agriculteurs sont obligés d’utiliser des engrais parce qu’ils cultivent un sol aride. Il faut juste contrôler les doses et respecter les délais de traitement. Certains pensent que l’agriculture algérienne reste très traditionnelle. Etes-vous d’accord ? Nous avons 3 millions d’agriculteurs, mais seulement 2 à 3% sont formés. L’agriculture a toujours été un métier pour ceux qui n’ont pas de métier ! C’était comme une échappatoire au chômage. Aujourd’hui, nous traversons une période charnière parce que la relance de ce secteur date des années 2000 et les résultats commencent à arriver. Pour le Sud, croyez-moi, les changements sont radicaux. Il n’y a qu’à voir le trafic des gros transporteurs sur la RN1 qui traverse tout le pays d’Alger à Tamanrasset ; cette route est empruntée quotidiennement par 1200 camions qui transportent les produits agricoles. Ce qui est énorme. Il ne faut pas discréditer tout ce qui a été fait et consenti à cause de quelques cas d’exportations non réussies. Il ne faut pas faire peur aux consommateurs. Il est juste temps de penser à améliorer la formation des agriculteurs, les accompagner et les aider à se mettre à niveau. Pour l’instant, l’exportation n’est pas notre priorité. Ce qui est important, c’est de répondre à la demande locale et d’arriver à l’autosuffisance en fruits et légumes. Nous avons des exportations occasionnelles et non pas contractuelles. C’est l’excès de production qui est exporté, pour l’instant. C’est rentable parce que cela aide à la mise à niveau et au transfert de savoir-faire. Exporter des dattes infestées de vers ne porte-t-il pas préjudice à l’image de marque de nos produits ? L’Algérie exporte la datte depuis longtemps. Les quantités refoulées sont dérisoires par rapport à celles qui ont été vendues. De plus, si ces dattes sont infestées de vers, cela prouve qu’elles n’ont pas été traitées aux pesticides. Les vers sont des ennemis naturels qui attaquent les meilleures dattes. Certes, ils influent sur leur qualité, mais cela ne veut pas dire qu’elles ne sont pas saines. Il faut donc que les esprits se calment et que tous — commerce, agriculture, intérieur et professionnels du secteur — s’impliquent pour élaborer une cartographie de la production agricole et mettre en place une sorte de cellule de veille, dans l’intérêt général des agriculteurs et des consommateurs.

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