vendredi 22 avril 2016

Conservatoire : Les fausses notes de la wilaya

Fermé brutalement mardi 12 avril, le Conservatoire central d’Alger attend une «rénovation». Les élèves se retrouvent obligés de suivre les cours et de passer leurs examens dans les annexes. Les enseignants en veulent à la wilaya qui ne les a pas prévenus du déménagement. «On est devenus des SDF.» L’hadi Denni, professeur de théâtre au Conservatoire central d’Alger (CCA), place des Martyrs, ne donne plus de cours. «Mardi 12 avril, en plein examen, élèves et professeurs ont été surpris par la présence des agents et des camions de la société Asrout, venus vider le conservatoire de tout le matériel», raconte-il. Cela fait quinze jours que les quelque 500 élèves et 40 professeurs ne se rendent plus au Conservatoire, opérant sous la tutelle de la direction des arts et de la culture de la wilaya d’Alger suite à une décision des autorités. Une mesure prise «sans aviser les concernés», disent les enseignants, alors que la wilaya avance officiellement «une évacuation temporaire pour des travaux de rénovation du bâtiment». «Ils ont déjà essayé de fermer le Conservatoire en 1995, mais ils n’ont pas réussi. Cette fois, ils ont utilisé la force et ils nous ont mis devant le fait accompli. Le directeur lui-même n’a pas été avisé !» soutient Mustapha Bouafia, professeur de musique chaâbie et membre du conseil pédagogique. «On est vexés par la façon dont les choses se sont passées. On leur a demandé pourquoi ne pas attendre la fin des examens et l’année scolaire... Certains élèves ont des examens importants qui viennent conclure de longues années d’études», poursuit-il. En musique chaâbie ou universelle, en théâtre ou en danse, pour décrocher un diplôme au Conservatoire d’Alger, un cursus de deux ans ne suffit pas ; l’étudiant en théâtre s’engage pour au minimum sept années, neuf ans et plus s’il choisit la musique populaire chaâbie et pour la musique universelle, il faut suivre un cursus qui varie entre huit ans et douze ans... «A la fin de leur cursus, les élèves souhaitent sortir par la grande porte et dans des conditions normales. A la veille des examens finaux, on vient leur dire : pas d’examen, allez voir ailleurs ! Ça ne se fait pas», ajoute le professeur de musique. APC de la Casbah «Vous affectez une partie des élèves à Barreaux-Rouges et une autre à Kouba. C’est ce qu’ils nous ont proposé. Mais comment voulez-vous qu’une jeune fille se rende dans cette zone connue pour son insécurité (Barreaux-Rouges) pour y étudier jusqu’à une heure tardive (19h) ? Même avec vos parents, on vous agresse. L’institution est très bien faite et compatible, mais son emplacement n’est pas très rassurant… Sans oublier les parents d’élèves qui vont être embêtés pour accompagner les enfants», argumente Mustapha Bouafia. Par ailleurs, selon les enseignants, le transfert des élèves dans les annexes n’est pas une si bonne idée. «Pour les cours de théâtre, les élèves ont besoin d’une classe spéciale avec une estrade et un minimum de décors et d’équipements. Ça m’étonnerait qu’ils trouvent ce qu’il leur faut dans les nouveaux établissements. Si cette fermeture vise le bien de tout le monde, on sort ; mais il faut qu’on sache où aller et que la destination soit compatible avec notre activité. Il est aussi important d’attendre que les examens soient finis et que les élèves sortants décrochent leur diplôme. Ça a attendu des années, donc ça peut attendre encore quelques jours», lance-t-il. Selon Anis, un élève, «les cours ont repris et les examens se poursuivent depuis une semaine dans les annexes du CCA situées à Kouba et Oued Koriche». Ce dernier, qui a passé, hier, un examen à Oued Koriche, affirme que «le plafond d’une des salles de l’institut présente un risque d’effondrement». Cependant, pour les enseignants, cet argument n’est pas très valable. Pour le professeur de théâtre L’hadi Henni, «quand une partie d’un immeuble menace de tomber en ruines, c’est que tout le bâtiment présente un danger et doit être fermé. Pas seulement une partie. C’est la logique...» Il est à noter que dans l’immeuble du Conservatoire, le rez-de-chaussée, le premier et le deuxième étages et une partie du troisième sont occupés par l’APC de La Casbah. Liquidation Le Conservatoire occupe la deuxième partie du troisième étage, les quatrième et cinquième étages. Mustapha Bouafia renchérit : «Cela fait un bout de temps que le plafond a été ravalé et rénové avec un faux-plafond ; il est tout neuf aujourd’hui. Pourquoi évacuer le Conservatoire alors que l’APC y est toujours ? C’est une anomalie. Ils ont réhabilité toute la partie de l’APC et négligé le reste. On a toujours les escaliers en bois qui datent de 1897.» Surpris par la décision et perdus dans le silence des autorités qui «n’ont pas bien expliqué leur démarche», les professeurs se tournent vers le ministère de la Culture pour demander une «bouée de sauvetage». «C’est maintenant que le ministère de la Culture doit nous aider. Il faut qu’il nous aide parce que c’est un lieu adéquat pour tous les élèves qui habitent la capitale. Le ministère est en train d’utiliser les éléments sortants professionnels du Conservatoire pour les différents festivals», appelle Mustapha Bouafia. Pour sa part, L’hadi Henni propose un «consensus» : «S’ils disent que le plafond est tombé alors qu’il est en réalité restauré, il y a une solution. Au lieu de laisser tous les élèves finir leur année en catastrophe, la wilaya, en collaboration avec le ministère de la Culture, peut trouver un consensus pour alléger ce problème afin que les professeurs et les élèves puissent utiliser les locaux de l’Ecole supérieure de musique.» Depuis cette fermeture «non avisée» et jugée «arbitraire», plusieurs élèves et professeurs se mobilisent contre la liquidation de cet immeuble qui date de 1897 dans lequel on a commencé à travailler en 1902. Ils se sont réunis samedi dernier pour exprimer leur opposition à la décision de la wilaya. Le Conservatoire va-t-il disparaître ? Non. D’après une source de l’établissement Arts et Culture, «le Conservatoire d’Alger a été fermé pour rénovation et le matériel est soigneusement gardé dans un des espaces appartenant à Arts et Culture. L’Institut rouvrira ses portes en septembre prochain mais ne pourra malheureusement pas accueillir le même nombre d’étudiants.»  

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