samedi 23 avril 2016

Relations Algéro-françaises : Crise réelle ou diversion ?

De «l’alacrité» de François Hollande en juin 2015 qui témoigne des liens solides entre les deux gouvernements au tweet de Manuel Valls d’avril 2016 provoquant une levée de boucliers en Algérie, les relations algéro-françaises passent brusquement de la sérénité à une nervosité palpable. Du moins du côté d’Alger. Paris semble déjà passer à autre chose. De la période la plus heureuse à la plus houleuse. L’hystérie qui s’est emparée des partis politiques au pouvoir, des organisations syndico-patronales et de certains ministres ne connaît pas de répit. Elle franchit une nouvelle étape. Jeudi passé, c’était au tour du Conseil de la nation (Sénat) de reprendre le flambeau «patriotique» pour dénoncer «une campagne orchestrée contre l’Algérie à travers le comportement répréhensible du Premier ministre français». Une bronca. A l’unisson, tous les porte-parole du pouvoir — à l’exception remarquée de Amar Saadani — dénoncent «un complot qui vise à déstabiliser l’Algérie» en remettant au goût du jour la vieille rhétorique nationaliste de type soviétique. Chacun y va de son discours pour démontrer que le «tweet assassin» du Premier ministre français est un «coup prémédité pour porter atteinte aux institutions du pays» : d’El Hadi Ould Ali — qui semble découvrir la question palestinienne et celle du Sahara occidental — qui estime que le soutien indéfectible de l’Algérie serait à l’origine de «la campagne contre l’Algérie» à Abdelmadjid Tebboune qui accuse le puissant groupe Bouygues qui n’aurait pas obtenu le marché de la construction de la Grande Mosquée. Une véritable surenchère. Un concours de patriotisme. Cette manifestation générale d’hostilité relève-t-elle d’une sérieuse dégradation dans les relations bilatérales ou participe-t-elle d’une opération de diversion ? De toute évidence, cette «mobilisation nationale» a installé une ambiance de crispation sans pour autant aller jusqu’à provoquer une réelle crise entre Alger et Paris, du moins pour l’instant. Mais il est difficile d’imaginer, à l’avenir, Manuel Valls s’offrir une nouvelle  balade à la Grande-Poste. «Cet épisode rappelle celui provoqué par la fameuse loi de 23 février 2005 pourtant sur les bienfaits de la colonisation qui avait suscité une vive polémique de part et d’autre vite estompée», compare un ancien ministre. Dans le fond, dirigeants algériens et français sont convaincus de la nécessité de maintenir les relations politiques hors de portée des querelles de conjoncture. La densité et la complexité des relations entre l’Algérie et la France ne peuvent s’encombrer de polémiques. «Pour la France, l’Algérie relève de la politique intérieure et l’inverse est vrai aussi», assure-t-on de part et d’autre. S’il est vrai que les relations entre les deux rives de la Méditerranée n’ont jamais atteint les dimensions stratégiques souhaitées, la réalité de la coopération — qui couvre pratiquement tous les domaines, y compris militaire —, la nature du dialogue politique et la confiance réinstaurée depuis l’arrivée de François Hollande au pouvoir ont permis un rapprochement sans précédent dans les relations entre les deux pays. La visite d’Etat du président français en décembre 2012, ponctuée par la Déclaration d’amitié et de coopération, devait être le point de départ d’une nouvelle ère. Émotion algérienne, pragmatisme français Avec comme point d’orgue la mise en place du Comité intergouvernemental de haut niveau qui se réunit annuellement. Il est supposé impulser la dynamique des relations, diversifier les zones de rapprochement et surtout hisser à un niveau supérieur les liens d’amitié. Mais force est de constater que l’ambition des sommets algéro-français s’est limitée à la réalisation de projets économiques. «De tout temps, nous avons eu une politique de court terme par rapport à l’Algérie», juge un diplomate français. De Paris, la relation avec l’Algérie est vue souvent sous l’angle des affaires. A Alger, l’émotion mémorielle prend régulièrement le pas sur une vision stratégique, de surcroît inexistante. «Notre rapport à la France n’est pas clairement défini, pendant que le gouvernement français sait bien ce qu’il veut obtenir de l’Algérie, le nôtre pèche par un manque d’agenda clair vis-à-vis du partenaire français», estime un ancien haut fonctionnaire des Affaires étrangères. Il est certain que le tweet du Premier ministre français publiant une photo parmi la vingtaine de clichés pris par le photographe de l’AFP a sérieusement agacé la Présidence. Mais le fait est-il suffisamment grave pour susciter une telle vague d’indignation et l’invocation du sacro-saint principe d’atteinte à la souveraineté ? Au demeurant, si l’on juge réellement le geste de Manuel Valls comme participant d’une volonté de nuire, pourquoi ne pas faire passer la protestation officielle et vigoureuse par les canaux  réservés à cet effet ? Sonner la «mobilisation nationale» ne vise-t-elle pas simplement à jouer encore la partition de l’agression extérieure pour détourner une opinion qui, jusque-là, s’était particulièrement intéressée à l’état de santé réel du Président ? Ce faisant, toute interrogation légitime sur le sujet serait suspectée de connivence. Ahmed Ouyahia l’a ouvertement déclaré. Ces coups de sang servent également à couvrir l’autre actualité, encombrante pour le pouvoir. L’on ne se demande plus, en effet, si des comptes ont été réclamés au ministre de l’Industrie Abdessalem Bouchouareb concernant l’affaire Panama Papers ? Encore moins ce qui se cache réellement derrière la passion subite de Chakib Khelil pour les vertus spirituelles des zaouïas. Quoi de mieux pour ressouder les rangs des familles au pouvoir, gagnées par le doute, que l’invention d’un ennemi extérieur ? De toute évidence, les nombreuses interventions publiques des défenseurs du «Président agressé» ont donné lieu plus à une cacophonie nationale qu’à un message ferme à l’adresse de Paris. «Les Français nous connaissent bien et savent que tout ce vacarme est destiné à la consommation interne», commente un opposant, qui refuse d’être entraîné dans ce qui s’apparente à une opération de diversion savamment orchestrée.

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