Le Sud est en train de changer à une vitesse qui dépasse celle du développement initié par les décideurs L’université Kasdi Merbah de Ouargla vient de mettre en place une formation doctorale en anthropologie qui compte, entre autres axes de recherche, les mouvements sociaux dans les villes du Sahara algérien. Abdelkader Khelifa donne son point de vue sur la colère qui gronde au Sud. - Comment expliquez-vous la mobilisation citoyenne contre la hausse des factures d’électricité et des prix en général dans certaines villes du sud du pays ? Pourquoi le Sud justement ? Premièrement, je tiens à souligner que nous manquons d’éléments pour analyser ce mouvement. Est-ce le début d’un nouveau cycle de contestation sociale sous la pression des nouvelles conditions imposées par la crise financière, ou bien une continuité du mouvement que connaît le Sud depuis quelques années ? On peut toutefois en faire une lecture préliminaire à la lumière de la continuité du mouvement des chômeurs par exemple. Et pour revenir à votre question, pourquoi le Sud ? C’est justement dans cette région que le paradoxe est visible. Entre les innombrables ressources, les richesses du pays et le manque ou le retard du développement. L’écart est frappant, les habitants du Sud en ont de plus en plus conscience, les jeunes du Sud en particulier. - Qualifieriez-vous cela de prise de conscience citoyenne ? Qu’en est-il des soupçons de manipulation ? Cela dépend de ce qu’on veut dire par conscience. Cette «conscience» prend plutôt la forme d’un sentiment de marginalisation qui devient insoutenable dans le monde où nous vivons aujourd’hui, dans le contexte technologique actuel où manquer de tout sans comprendre pourquoi est lourd à supporter. Cette contestation est positive dans la mesure où la revendication est le langage social d’une société vivante, qui veut un nouveau consensus entre l’Etat et le peuple, entre le national et le local. Ce n’est pas une coïncidence, il y a un processus sous-jacent qu’il faut comprendre et je ne crois pas à la thèse de la manipulation. Ce sont des réactions spontanées qui subissent des tentatives de manipulation après coup et je pense qu’il y aura de plus en de protestations dans les semaines à venir. - Comment expliquez-vous donc la persistance de ces mouvements qui prennent des tournures différentes et touchent de nouvelles régions à chaque fois ? Je crois que les mouvements sociaux du Sud s’inscrivent dans un contexte national, quoique la région ait sa spécificité géostratégique, historique et sociologique... Le Sud est en train de changer rapidement à une vitesse qui dépasse largement celle du développement initié par les décideurs. En fait que demandent ces citoyens en colère ? Tout simplement une gestion à la hauteur de la position stratégique de leur région. Cette revendication est clairement exprimée par les jeunes notamment. Ce qui leur manque, c’est un encadrement, une élite capable d’orienter leurs aspirations afin de capitaliser ces années de lutte et concrétiser leurs objectifs. - Pensez-vous que ces mouvements sociaux ont de l’avenir ? Partout dans le monde, les mouvements sociaux ont toujours eu de l’avenir. Ils matérialisent le dialogue entre la société et l’Etat, même quand ils prennent les tournures les plus violentes. A chaque société ses méthodes et ses consensus. Les revendications du Sud sont de vrais messages à l’Etat central pour revoir ses politiques de développement et de gouvernance locale car les vrais enjeux, c’est le pouvoir local, l’accès au développement, le foncier, l’emploi, la position sociale individuelle et celle des groupes sociaux. Les anciens ksour sahariens et les petites villes historiques locales sont maintenant des métropoles à perspectives mondiales, l’image de l’homme du Sud devant sa kheima préparant du thé tellement consacrée par nos médias n’est plus d’actualité, c’est pour que cette image change que les jeunes revendiquent leur droit à la citoyenneté.
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