samedi 25 février 2017

«On ne comprend pas ce retour au mariage précoce»

Le Ciddef vient de terminer une enquête sur le mariage précoce. Quel constat faites-vous ? Nous avons élaboré un plaidoyer contre le mariage des mineures, car nous nous sommes rendu compte que depuis quelques années ce dernier refait surface. Aux différentes enquêtes réalisées, notamment l’enquête MICS 4, il apparaît qu’environ 0,1% de femmes âgées de 15 à 19 ans se sont mariées avant l’âge de 15 ans, et que 2,5% de femmes âgées de 20 à 24 se sont mariées avant l’âge de 18 ans. S’agit-il de mariages d’enfants autorisés, telle que la loi le prévoit pour une raison d’intérêt ou en cas de nécessité (art.7 du Code de la famille) ou alors de mariages arrangés pour couvrir des agressions sexuelles ou des viols (art. 326 du code pénal) ? Il peut s’agir aussi d’un retour au mariage des filles avant l’âge de 15 ans comme le voulait la coutume en Algérie jusqu’à ce que l’ordonnance de 1959 fixe l’âge du mariage à 15 ans, rehaussé à 18 ans pour la fille en 1984 et à 21 ans pour le garçon, pour enfin l’aligner en 2005 sur l’âge de la majorité civile à 19 ans pour la fille et le garçon. Ces questions sont légitimes, car on ne comprend pas ce retour au mariage précoce dans un pays qui a investi dans l’éducation des filles et qui a atteint la parité en termes de scolarisation pour les deux sexes et dont l’âge moyen au mariage est de 29 ans pour la femme et 31 ans pour l’homme. Nous avons examiné les ordonnances du juge accordant une dispense d’âge pour découvrir la moyenne d’âge acceptée pour accorder l’autorisation et la différence d’âge entre la jeune fille et son prétendant. Souvent, la fille est âgée de 14 ans, 15 ans, et l’homme âgé de 30 ans et plus. Par ailleurs, ces ordonnances ne comportent pas le motif de la dispense d’âge, il n’apparaît que la mention : «Nous nous sommes assuré du consentement de la concernée». Il faut comprendre qu’il s’agit de la mineure qui accepte le mariage de son plein gré et non pas par contrainte imposée par le tuteur afin qu’elle s’unisse à la personne citée dans l’ordonnance. Le Code de la famille interdit le mariage célébré par contrainte. Le père n’a pas le droit de contraindre sa fille mineure au mariage. Pourquoi la loi a-t-elle laissé une brèche pour autoriser le mariage avant l’âge légal ? La loi a laissé cette ouverture d’autorisation de mariage des mineures au cas où la fille présenterait des signes de grossesse, c’est la nécessité. Concernant la raison d’intérêt, celle-ci trouve sa réponse dans l’article 326 du code pénal qui règle les situations d’enlèvement d’enfant au cas où les parents exigent du ravisseur qu’il épouse leur fille mineure. Il faut replacer cet article dans son histoire et contexte. Le code pénal algérien est une reprise du code pénal français qui a incriminé le rapt de séduction existant alors en France des filles mineures causant ainsi un dommage aux parents. De la prison, la sanction a évolué vers une réparation du dommage causé aux parents. Le rapt de séduction n’existe pas en Algérie, l’article a été étendu aux cas de violations sexuelles ou viol sur mineure, les parents demandant à ce que l’agresseur épouse leur fille. Le Maroc et la Tunisie ont la même disposition dans le code pénal. A la suite du suicide de Amina, une petite fille contrainte d’épouser son violeur, le Parlement marocain a abrogé la disposition. En Tunisie, le Parlement est saisi pour abroger la même disposition litigieuse. En Algérie, nous avons demandé à ce que l’article 326 soit abrogé. Pensez-vous que les juges peuvent aller à l’encontre de la volonté des familles lorsque celles-ci décident de marier la mineure, notamment quand celle-ci est enceinte ? Le juge applique la loi, cette dernière admet cette possibilité, donc il ne peut pas aller à l’encontre de la volonté des parents lorsqu’ils proposent au ravisseur d’épouser leur fille mineure. Souvent, c’est le juge lui-même qui le propose pour, dit-il, «protéger la fille et éviter l’opprobre qui serait jetée sur elle dans une société conservatrice». Lorsque la fille est enceinte, la question ne se pose même pas, le mariage est proposé. Mais il faut que l’on sache que l’enfant né de ce mariage sera bien rattaché au père violeur, mais ne sera pas considéré comme un enfant légitime. Une des conditions validant le mariage, la ‘‘Fatiha’’, n’existe pas. Le violeur échappe ainsi à la sanction pénale alors que la victime mineure est traumatisée par deux fois : par le viol et par le mariage imposé pour sauver l’honneur de la famille. La deuxième victime est l’enfant à naître. Sommes-nous devant un phénomène en expansion où en régression ? Pour dire si c’est un phénomène qui est en expansion ou en régression, il faut faire une étude au niveau national. Il serait important que le ministère de la Justice nous donne les statistiques du nombre de mariages des mineurs autorisés par les tribunaux et corroborer ces chiffres avec ceux des registres d’état civil de toutes les communes du pays. Ainsi, les résultats nous permettront de qualifier ces situations en phénomène ou pas. C’est facile à faire, il faut tout simplement le vouloir.

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