dimanche 1 octobre 2017

De l’article 102 de la Constitution en particulier et du rôle de l’institution militaire en général

Par Ali Mebroukine Professeur d’université Comme nous l’avons relevé il y a quelques jours, mais trop brièvement (El Watan du 23 septembre), le Conseil constitutionnel ne peut pas s’autosaisir pour constater l’état d’empêchement du président de la République. Il doit être préalablement saisi par une des quatre autorités mentionnées à l’article 187 alinéa 1 de la Constitution : le président de la République, le président du Conseil de la nation, le président de l’Assemblée nationale ou le Premier ministre, sinon alternativement par 50 députés de l’APN ou 30 membres du Conseil de la nation. Le procès instruit contre l’institution présidée par Mourad Medelci à laquelle il est fait grief de ne pas prendre acte de l’état d’empêchement du président de la République pour cause de maladie grave et durable, n’a pas sa raison d’être. Si le Conseil constitutionnel prenait sur lui de s’autosaisir, il ferait obstacle à la mise en œuvre de l’article 102 qui subordonne le constat d’empêchement à son approbation par les 2/3 au moins des membres du Parlement (APN et Conseil de la nation).  On ne peut donc décemment dénoncer la violation d’une règle de droit qui n’est pas consacrée. Dans la Constitution française, le Conseil constitutionnel est pareillement habilité à constater l’état d’empêchement du président de la République pour cause de maladie, disparition, captivité, mais il doit être au préalable saisi par le gouvernement (article 7 alinéa 4 de la Constitution de 1958, révisée en 2008). Ceci dit, même si la Constitution avait prévu l’autosaisine du Conseil constitutionnel pour le cas précis régi par l’article 102, le modus operandi de la démarche du Conseil constitutionnel n’est pas précisé (constation de l’état d’empêchement «par tous moyens appropriés» reste une formulation très vague, d’autant que le Conseil constitutionnel n’a pas autorité scientifique sur un collège de médecins habilités à délivrer un certificat médical incontestable). Enfin, la circonstance que le Conseil constitutionnel doive statuer à l’unanimité, introduit une incertitude majeure quant à l’adhésion au constat de l’état d’empêchement des quatre membres du Conseil sur 12 qui sont désignés par le président de la République (dont le président et le vice-président du Conseil constitutionnel). LA PLACE ET LE RÔLE DE L’INSTITUTION MILITAIRE S’agissant du rôle de l’institution militaire, il est utile de rappeler que le président de la République est le «chef suprême des forces armées de la République» (article 91.1). Même dans le cadre de l’état d’urgence où les corps de sécurité sont mobilisés, le président de la République est seul habilité «à prendre des mesures exceptionnelles que commande la sauvegarde de l’indépendance de la nation et des institutions de la République» (article 107, alinéa 3). Le président de la République est donc la clé de voûte de toutes les institutions de la République. Ceci dit, prise en tant qu’entité autonome, la place de l’institution militaire est clairement définie dans le préambule de la Constitution qui lui confie la mission de préservation du pays contre toute menace extérieure, la protection des citoyens, des institutions et des biens et la lutte contre le terrorisme. La professionnalisation de l’armée est appréhendée du point de vue de la sauvegarde de l’indépendance nationale, de l’unité et de l’intégrité territoriale ainsi que la protection de l’espace terrestre, aérien et maritime. Un seul article «juridicise» ces différentes missions ; il s’agit de l’article 28 de la constitution. Il en résulte que les appels adressés ici ou là à l’institution militaire pour qu’elle hâte le processus de succession du président de la République ne peuvent se recommander d’aucun fondement juridique. On ne peut à la fois condamner l’éviction du GPRA par l’Etat-major général(EMG) en 1962, le «coup d’Etat» du 19 juin 1965, l’interruption du processus électoral, le 11 janvier 1992, la mise entre parenthèses de la Constitution du 23 février 1989 jusqu’à l’adoption de la Constitution du 28 novembre 1996, enfin les pressions exercées sur le président Zeroual pour qu’il démissionne (le 11 septembre 1998) et solliciter, en 2017, cette même institution pour qu’elle débarque un président de la République élu et qui est constitutionnellement son chef. Si la Constitution comporte des failles, ce n’est pas à l’institution militaire d’y pallier, que ce soit par la force ou seulement par une invite adressée au président de la République pour qu’il consente à démissionner. L’ARMÉE ALGÉRIENNE GARANTE DE LA SÉCURITE DU PAYS Aujourd’hui, l’ANP est mobilisée, tout au long des frontières de l’Algérie, le plus grand pays d’Afrique par la superficie depuis 2011 ; il s’agit de faire pièce aux incursions terroristes en provenance de l’Afrique subsaharienne, aussi bien dans son flanc Est que dans son flanc Ouest. Il faut savoir qu’en Amérique latine, en Amérique centrale, en Afrique, dans le monde arabe et même en Asie, certaines armées se trouvent dans l’incapacité absolue d’assurer la protection du territoire national et de garantir la sécurité des personnes et de leurs biens. Le territoire algérien est aujourd’hui sanctuarisé, mais au prix de nombreux sacrifices et d’un coût financier énorme. La population algérienne doit à son armée de demeurer à l’abri du terrorisme, du grand banditisme et du crime organisé. Ce rôle serait incompatible avec une éventuelle immixtion de l’armée dans le champ politique, car il priverait celle-ci de toute crédibilité aux yeux des populations, surtout si cette immixtion doit revêtir la forme d’un coup d’Etat, fût-il médical. L’ARMÉE ALGÉRIENNE PROTÈGE LES POPULATIONS Il est évidemment fallacieux d’affirmer ou de laisser entendre que l’armée pourrait intervenir demain, en cas de troubles à l’ordre public ayant leur cause dans une dégradation de la situation économique et sociale, pour réprimer les populations (Cf. Ali Benouari, Liberté du 13 septembre 2017). Ni le président de la République, ni le chef d’état-major, ni le commandant de la Gendarmerie nationale, ni le DGSN ne donneront d’instructions aux forces de sécurité pour briser une contestation sociale, fût-elle de vaste ampleur (du reste cette dernière hypothèse est hautement invraisemblable). Et, quoi qu’il en soit, l’armée n’interviendra jamais pour des opérations de maintien de l’ordre. C’est la raison pour laquelle chacun gagnerait à laisser l’institution militaire en dehors du débat politique, a fortiori lorsque l’état d’empêchement du président de la République est déjà encadré par la Constitution et que l’article 102 y afférent ne mentionne nulle part un quelconque rôle de l’armée pour sa mise en œuvre. L’ARMÉE ALGÉRIENNE N’EST PAS CHARGÉE D’INSTAURER LA DÉMOCRATIE Il est encore plus choquant que certaines formations politiques qui ont élaboré aux Sommets de Mazafran I puis de Mazafran II la fameuse plateforme de Zéralda, destinée à créer une alternative démocratique, appellent l’armée à la rescousse pour qu’elle se résolve, enfin, à installer la démocratie en Algérie. Est-ce le rôle de l’institution militaire dont les missions sont clairement définies, par ailleurs, d’œuvrer à l’instauration de la démocratie ? N’est-ce pas aux partis politiques qui sollicitent les suffrages populaires, à chaque échéance électorale, de faire éclore des traditions démocratiques. N’est-il pas spécieux de leur part d’invoquer la manipulation des urnes, alors que le taux d’abstention aux élections, et ce, depuis les législatives de mai 2007 (il y a plus de 10 ans), illustre la formidable désaffection de l’opinion publique à l’égard de l’ensemble de la classe politique (opposition comprise). Ce n’est pas à l’institution militaire de se substituer ni aux partis ni à la société civile sur lesquelles l’opprobre est jetée par les populations de manière systématique et depuis longtemps. Le degré de communication de ces formations avec la population est voisin de zéro, leur électorat est insignifiant, et alors même qu’il était déjà malade, en avril 2014, le président de la République sortant bénéficiait encore d’un soutien populaire, ce qui lui a permis de remporter le scrutin. De la même manière, comment comprendre certaines formations politiques qui n’ont eu de cesse que de nous expliquer qu’il était vain d’aller voter aux législatives du 4 mai dernier, dans la mesure où les dés étaient pipés et le résultat connu, s’apprêter à présenter des candidats aux élections locales du 23 novembre. De diabolique et machiavélique, l’administration serait devenue, en six mois, un modèle de vertu et de transparence. Notre classe politique est immature et son absence de culture démocratique abyssale. Elle est incapable d’assurer la représentation politique des Algériens. Ces derniers ne sont pas dupes et leur apparente indolence ne doit pas faire illusion. Aussi bien, la sagesse politique commande-t-elle à toutes les formations politiques de l’opposition de ne plus s’adresser à l’institution militaire qui a déjà fort à faire sur d’autres théâtres, pour lui demander, tel un incapable protégé par la loi, de jouer le rôle de curateur. Seule l’armée, telle que l’avait voulue Houari Boumediène, reste une institution soudée, homogène, imperméable aux forces centrifuges, qui ne gagnera rien à se mêler aux jeux glauques des politiciens mais doit se focaliser sur la défense de l’intégrité du territoire et la protection des populations. NE PAS CÉDER AU PESSIMISME Même si la situation économique et sociale de l’Algérie est préoccupante, il est indispensable de donner à nos enfants des raisons d’espérer. Le meilleur moyen de les déstabiliser consiste à agiter l’épouvantail de l’hyperinflation et celui de la cessation de paiement à terme. Il semble exclu que l’Algérie puisse connaître un jour une inflation à trois chiffres (notre pays n’est ni le Venezuela ni le Zimbabwe). Nous connaîtrons certainement, en 2018, une inflation ouverte ; certains biens et services, par rapport à l’indice des prix à la consommation, atteindront une hausse comprise entre 18 et 25%. Mais, plus encore que l’inflation, c’est le chômage qui va frapper une partie des actifs, notamment ceux qui sont employés dans le secteur informel dont le périmètre est appelé à se réduire dans les années qui viennent en raison de la diminution des importations. Mais, à partir de 2020, l’offre de pétrole sera inférieure à la demande, selon les prévisions de l’AIE, en conséquence du désinvestissement des compagnies dans l’amont pétrolier depuis 2014, ce qui devrait entraîner une remontée significative des prix du pétrole (80 dollars le baril, estiment certains experts). Enfin, il ne faut pas perdre de vue que les énergies renouvelables (EnR) ne vont pas prendre le relais des énergies fossiles avant 2040-2050. 70% du sous-sol algérien sont encore inexplorés et les bassins de Timimoune et Reggane recèlent de très importantes réserves de pétrole et de gaz. Dans l’hypothèse d’une augmentation des prix du pétrole et d’un amendement de la loi sur les hydrocarbures, de sorte que celle-ci devienne plus attractive pour les partenaires étrangers, l’Algérie est parfaitement capable de se remettre sur pied. A condition que toutes les leçons de nos défaillances depuis 1962 soient enfin tirées.           

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