vendredi 1 avril 2016

Dans les coulisses de la Grande Mosquée d’Alger

Des équipements capables d’alimenter la moitié de la capitale en énergie, des bâtiments construits pour accueillir des milliers de personnes du monde entier, des techniques jamais utilisées en Afrique : le chantier de ce qui sera la troisième plus grande mosquée du monde ne pouvait être que celui des défis. El Watan Week-end vous emmène dans les entrailles du plus grand projet de l’Algérie contemporaine. Ceux qui empruntent tous les jours la moutonnière le voient depuis quelques mois grimper un peu plus haut, un peu plus vite vers le ciel. La nuit, on y aperçoit même les projecteurs, signe que les équipes travaillent aussi de nuit. Le minaret de la future Grande Mosquée d’Alger, Djamaâ El Djazaïr, fait aujourd’hui presque 100 mètres de haut. Il lui en reste encore 165 pour atteindre sa hauteur finale. La salle de prière attend, quant à elle, sa première coupole, construite en Chine et attendue d’une semaine à l’autre. Plombé par plusieurs mois de retard imputés aux études, le chantier devrait maintenant accélérer. L’Agence nationale de réalisation et de gestion de Djamaâ El Djazaïr (Anargema) et le nouveau bureau d’études français Egis se sont donné dix mois pour finaliser la totalité des plans dont ont besoin les Chinois. Plombé aussi par les critiques qui l’accusent de coûter trop cher, de sous-estimer le risque sismique ou de ne pas être fidèle à l’islam maghrébin, le projet peine à s’imposer pour ce qu’il est : un ouvrage d’envergure internationale, un chantier titanesque aux multiples défis techniques mobilisant des milliers de plans, de personnes, de compétences. El Watan Week-end met fin aux idées reçues. La mosquée risque de s’effondrer au premier séisme Faux. La Grande Mosquée est le premier bâtiment public construit aux normes parasismiques en Algérie. «Et pas n’importe lesquelles, souligne Mohamed Lotfi, ingénieur sur le projet du minaret. L’isolation sismique choisie est semblable à celle utilisée au Japon et aux Etats-Unis. C’est une première en Afrique.» Protéger la mosquée contre les séismes est d’ailleurs, de l’avis de toutes les personnes en charge du projet, le plus gros défi technique du chantier. Comment a-t-il été relevé ? «Sous la salle de prière se trouvent deux sous-sols, poursuit l’ingénieur. Le premier sera un sous-sol technique – on y stockera tous les équipements nécessaires à la ventilation, le système anti-incendie, mais aussi les tapis et tout le matériel nécessaire. Le second, qui ne comprend aucun mur, et s’étend sur 20 000 mètres carrés est réservé dans son intégralité à l’isolation sismique». Sur cette surface, 264 isolateurs (le terme technique est «isolateur de type pendule couplé à des amortisseurs visqueux», plus simplement, ces isolateurs ressemblent à de gros piliers) et 80 amortisseurs (sorte de pipelines hydrauliques) ont été implantés. En cas de secousses, les isolateurs sont capables de se déplacer sur deux axes de 65 cm pour réduire les déformations induites par le séisme. Quant aux amortisseurs, ils absorbent la force horizontale et remettent la structure dans sa position initiale. Ce dispositif, capable d’absorber jusqu’à 70% de la force sismique, divise une secousse par trois. En d’autres termes : si le séisme est de 9 sur l’échelle de Richter, le ressenti sera de 3 pour la mosquée. Le retard pris dans les travaux s’accumule Faux. Le retard, estimé à environ 24 mois, devrait selon le ministère de l’Habitat être «rapidement rattrapé» maintenant que le problème a été identifié. «Ce sont les études qui nous ont bloqués, affirme Mohamed Brahim Guechi, directeur général de l’Anargema. Pour que les travaux avancent, il faut que l’entreprise ait entre les mains un plan visé.» Or, selon les cadres du chantier, «sur les 27 500 plans, fiches techniques et notes de calcul que devait rendre le bureau d’études allemand Krebs und Kiefer, à peine un millier a été remis». Le marché, qui leur a été enlevé pour être donné aux Français d’Egis, qui se sont déjà occupés des études du stade du 5 Juillet, devrait selon l’Anargema permettre d’avancer, en particulier sur les plans les plus importants : ceux touchant à la technique (mécanique, lambris, électricité, chauffage, climatisation…). Pour atteindre cet objectif, 20 experts français et 65 experts algériens ont été mobilisés. Ils sont accompagnés à distance par 25 autres experts français basés à Montreuil. Leur mission : réaliser les études et accompagner les entreprises de réalisation. «En dix mois, tous les plans seront terminés», promet-on à l’Anargema. Concrètement, ce qu’on appelle le gros œuvre, c’est-à-dire le bâti de la salle de prière, du minaret, de l’esplanade, du parking, et des bâtiments sud (centre culturel, bibliothèque, Dar El Coran) devrait être terminé à la fin du premier trimestre 2017. Les équipes du minaret sont passées à une cadence de travail de 24 heures/24. Mais le bâti ne représente encore que 30% de la totalité du chantier. Il restera ensuite à installer les équipements techniques, les revêtements des murs et des sols, s’occuper de la décoration, etc. Le minaret sera trop haut Faux. Le minaret, avec ses 265 mètres de hauteur, sera le plus haut minaret du monde. Mais il existe des tours bien plus grandes, comme Burj al-Arab (321 mètres) ou Burj Khalifa (828 m) à Dubaï, construites sur des sols semblables à celui sur lequel se monte la Grande Mosquée, avec des règles parasismiques aussi très strictes. «Dans toutes les études de génie civil, on utilise des marges de sécurité. Dans le cas du minaret, cette marge de sécurité a été majorée de 1,5, explique Mohamed Lotfi. En cas de séisme, il n’y aura pas d’endroit plus sûr en Algérie que le minaret et la salle de prière.» Soixante barrettes (pieux rectangulaires) sont ancrées à plus de 40 mètres de profondeur. Ils mesurent 7 mètres de long, 1,20 m d’épaisseur, ce qui représente l’équivalent de 450 mètres cubes de béton. Ces pieux ont aussi subi des tests pour voir comment le sol se déforme en cas de secousse. Le revêtement de la mosquée – et donc du minaret –, le travertin, une pierre poreuse, sera aussi testée contre les séismes et le vent.   Elle risque d'attirer les plus radicaux de l’université de Kharrouba Elle est pensée pour promouvoir l’ouverture et le dialogue. Comme l’indique son nom «Djamaâ» (et non pas masdjid), la Grande Mosquée sera «un pôle pour la recherche en sciences humaines et religieuses, un lieu d’échanges et de conseils», explique un des cadres du projet. Tout est pensé en tout cas pour favoriser la connaissance. L’institut Dar El Coran, conçu pour accueillir 300 doctorants en sciences islamiques, comprend amphithéâtre, bibliothèque, salles de lecture... pour les études et des chambres et des suites pour le logement des étudiants amenés à venir de tout le pays et de l’étranger. A côté de l’institut est construite une bibliothèque capable d’accueillir 18 000 personnes. La salle de lecture, sur trois niveaux, est divisée en sections : scientifique et didactique, lettres et jeunesse. Elle disposera d’un million d’ouvrages, d’une audiothèque, d’une filmothèque, d’écrans tactiles pour la consultation d’ouvrages anciens trop fragiles. Enfin, le troisième bâtiment de l’aile sud du site, le centre culturel, est prévu pour accueillir des conférences. La salle principale, d’une capacité de 1500 personnes, peut se partager en deux selon les besoins. Elle abritera aussi des ateliers d’artistes et des salles de réunion. Elle n’est pas maghrébine Elle est un mélange d’architecture contemporaine et maghrébine. Très contemporaine dans son bâti, l’architecture reste tout de même fidèle à des constantes maghrébines. On le voit à la coupole de la salle de prière, de forme ronde et sculptée de moucharabieh. La conception des jardins, géométrique et traditionnelle, entre arbres et fontaines, rappelle l’esprit de l’Alhambra. Le Maghreb sera aussi présent dans les zelliges prévus pour la décoration. Un bureau d’études et une commission de spécialistes ont été mis en place pour que les calligraphies et les sculptures soient fidèles à l’islam maghrébin. Des missions ont également été lancées pour étudier les décorations et les calligraphies dans toutes les mosquées du pays. Le minaret, qui respecte l’élancement traditionnel des minarets maghrébins, est aussi dans sa forme très contemporain. Elle coûtera trop cher Tout est relatif. Critiquée pour son coût – de 109 milliards de dinars à la signature – ce qui a été comparé au coût de 20 hôpitaux, la Grande Mosquée reviendra à la fin sans doute un peu plus cher. Car les entreprises sollicitées, en particulier la CSCEC, demanderont une réévaluation des coûts négociés. «C’est un projet présidentiel, et comme tout projet conçu pour le rayonnement d’un pays, il coûte forcément cher», souligne-t-on au ministère. «Il faut penser aux retombées économiques qu’il engendrera avec le flux de touristes, et à tous les emplois indirects, de l’administration aux commerces (cafés, restaurants, boutiques d’artisanat...) en passant par les lieux culturels comme la cinémathèque.» Le site est prévu pour fonctionner de manière aussi autonome que possible. Les piliers de la salle de prière sont par exemple fabriqués pour récupérer les eaux de pluie qui serviront pour les sanitaires et l’arrosage des jardins. L’institut Dar El Coran est quant à lui équipé de panneaux solaires photovoltaïques. Dans son architecture, la bibliothèque comprend un immense atrium reliant les trois niveaux et se prolongeant sur la terrasse, qui permettra d’éclairer la construction grâce à la lumière naturelle. La mosquée ne profite qu’aux étrangers Faux. Si les études et la maîtrise d’ouvrage ont été confiés aux Français et la construction aux Chinois, la règle de la préférence nationale prévaut, autant que possible, pour le reste. Par exemple : les pétales qui supporteront les toitures des parkings, qui étaient auparavant construites en Allemagne, ont été confiées à Cevico, une filiale de Cévital. Acheminés en pièces détachées, ces pétales sont ensuite assemblés en chapiteau sur le chantier. Autre exemple : le gravier, le sable proviennent des carrières de Bouzegza. Le ciment, des usines Lafarge en Algérie. Quant au marbre qui recouvrira le sol et en partie les murs de la salle de prière, il sera aussi produit en partie en Algérie. «Si importation il y a, on ne fera venir que des blocs qui seront ensuite transformés en Algérie», ajoute Mohamed Lotfi. De plus, la quasi totalité des ingénieurs responsables des différents segments du projet sont de jeunes cadres algériens. «Depuis le démarrage du chantier, des jeunes ingénieurs algériens ont été recrutés pour limiter nos dépendances aux compétences étrangères», explique un cadre de l’Anargema. «Formés aux dernières techniques de construction ici en Algérie, ce chantier gigantesque est pour nous une opportunité inespérée pour compléter notre formation. C’est un formidable début de carrière», témoigne un des ingénieurs du site.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire