Le ministre de l’Intérieur, Noureddine Bedoui, a appelé les walis à être plus offensifs en matière de développement local à travers la relance de l’investissement local. Est-ce que les walis ont les prérogatives nécessaires pour prendre de telles mesures ? La réponse est à chercher d’abord dans les textes qui régissent cette fonction et les mécanismes mis en place pour exécuter la mission qui leur est confiée. Le ministre de l’Intérieur veut probablement faire quelque chose, mais son action est vouée à l’échec si les autres ministres du gouvernement sont absents. Comment voulez-vous booster l’investissement local sans que le ministre de l’Industrie, par exemple, ne s’implique pas ? Il va de soi que le wali dépend directement du ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales. Pourquoi irait-il s’adresser à d’autres ministres ? Quand on parle d’investissement local, le premier concerné est le ministre de l’Industrie, et quand on veut booster l’agriculture, c’est celui de l’Agriculture qui réagit. Cela est valable pour chaque secteur d’activité. Les walis ne peuvent pas être liés uniquement au ministère de l’Intérieur. Ce sont des walis de la République et non d’un ministère. Moi-même, j’ai demandé à des walis en activité, qui sont des amis, s’ils ont les prérogatives pour prendre des mesures concrètes allant dans le sens du développement de l’investissement, et tous m’ont répondu que non. Ils n’ont pas le pouvoir de transférer une terre non agricole au domaine du foncier industriel, ni procéder à des expropriations. Ils doivent passer par le ministre de l’Agriculture, et c’est lui qui appose sa signature. Mieux encore, ils n’ont même pas de pouvoirs décisionnels pour viabiliser le foncier industriel. Les crédits afférents à cette viabilisation sont gérés au niveau central par le ministère de l’Industrie. Ce sont là les véritables problèmes auxquels sont confrontés les walis et qui réduisent sérieusement leur marge de manœuvre. Les déclarations de Noureddine Bedoui me rappellent la situation des années 1990, lorsque Meziane Cherif, alors ministre de l’Intérieur, nous avait demandé de faire état des potentialités de chacune des wilayas. Il nous avait réunis à l’hôtel El Aurassi et nous avons discuté durant des heures ; mais après, rien. En réalité, l’Exécutif ne se tourne vers les walis qu’en temps de crise. Après, on les oublie… Qu’est-ce qui fait que les walis sont privés de prérogatives ? Les textes les en privent-ils ou est-ce les pratiques du gouvernement ? Les deux en même temps. Vous avez d’abord la réglementation qui limite sensiblement leur pouvoir décisionnel, mais aussi les pratiques qui les privent de toute initiative personnelle. Vous savez qu’un wali ne peut même pas intervenir pour installer une ligne téléphonique ou le réseau internet. Il doit passer par Algérie Télécom, qui ne peut bouger qu’après l’aval de la ministre de la Poste et des TIC. En fait, on demande aux walis de faire des choses qui dépassent leur pouvoir. Leur rôle se limite à faire des propositions et à les envoyer aux ministères concernés. La grande problématique, c’est qu’on les considère comme des subordonnés de l’Intérieur alors qu’ils sont les représentants du gouvernement au niveau local et qu’ils reçoivent les directives de tous les ministères. Le ministre de l’Intérieur insiste sur deux points : la relance économique par l’encouragement de l’investissement et le recouvrement de la fiscalité locale. Or, ces deux secteurs ne relèvent pas des prérogatives des walis. Le premier point concerne le ministère de l’Industrie, alors que le second dépend du ministère des Finances et les responsables de ces deux départements n’étaient pas présents à la réunion entre Bedoui et les walis. C’est vrai qu’il y a des activités qui peuvent être très rentables au niveau local, comme les parkings payants, mais il faut les réglementer et cela ne relève pas des prérogatives des walis. Voulez-vous dire que le wali n’a aucun pouvoir décisionnel ? Mais bien sûr ! Ce n’est qu’un exécutant des actions du gouvernement. Le ministre dit qu’il faut une actualisation des loyers des biens immobiliers et commerciaux, mais il ne dit pas qui doit le faire. Ce n’est certainement pas le wali. Cela ne relève pas de ses pouvoirs. De plus, ce n’est pas facile de le faire. Il y a des locataires qui résident au même endroit depuis plus de 40 ans et auxquels vous ne pouvez pas dire du jour au lendemain que vous avez décidé de passer d’un loyer de 800 DA à celui de 20 000 ou 25 000 DA, même si ce montant est celui du marché. Il faut donc une réglementation dans le cadre d’une action gouvernementale. En fait, le wali est presque un spectateur. S’il peut prendre une décision, cela relève de sa personnalité ou alors du soutien qu’il peut avoir auprès d’une partie ou d’une autre. Que voulez-vous dire par soutien d’une partie ou d’une autre ? Avant, on disait que tel wali a un tel général derrière lui, mais maintenant certains walis s’appuient sur des hommes d’affaires qui ont des liens avec l’Exécutif. C’est une réalité que tout le monde connaît. Selon vous, cette situation est-elle voulue ou est-ce le fruit du système de fonctionnement de l’administration algérienne ? Les deux en même temps. Nous savons tous que la gestion de l’administration est centralisée et qu’il est difficile de changer cette situation. Le ministre de l’Intérieur veut que cela change, mais comment ? Dans les années 1980, les walis avaient sous leur coupe des divisionnaires, chacun chargé d’un secteur d’activité et qui avaient de larges prérogatives. Ils avaient carte blanche pour décider sur place sans en référer aux ministres, qui étaient là pour aider à l’exécution de leurs missions. Aucun des cadres de l’Exécutif ne dépend du wali. En 2015, le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, s’est réuni avec les walis pour parler justement du développement local en ces temps de crise. Beaucoup de choses ont été dites. Mais, plus d’une année après, qu’en est-il advenu ? Tout le monde sait que les walis ont été dépossédés de leurs prérogatives à cause des luttes de clans. Celui qui commande un wali peut avoir sous son contrôle tous les projets liés au développement local. Il y a quelques jours, le ministre de l’Agriculture annonçait l’installation d’une commission au sein de son département pour étudier les dossiers d’investissement dans le secteur. Est-ce qu’un opérateur d’Illizi ou de Tamanrasset va venir jusqu’à Alger déposer son dossier et attendre pendant des jours la réponse ? Le rôle du gouvernement n’est pas de gérer, mais de planifier et de programmer la politique de développement du pays. C’est aux walis de gérer… Comment est-ce possible ? Il faut laisser toutes les prérogatives aux walis et en contrepartie leur faire signer un contrat de performance avec des objectifs à atteindre. La meilleure chose que le ministre de l’Intérieur, qui a lui-même été wali, ou encore le Premier ministre, également ancien wali, peuvent faire, c’est d’accorder aux walis un statut et un pouvoir qui leur permettent de mener à bien leurs missions. Il ne faut pas les laisser à la merci de ceux qui les nomment et les dégomment ou les aident à être à ces postes. Lors du dernier mouvement, il y a eu, et tout le monde le sait, des walis mis sur la liste par des hommes d’affaires, tout comme d’ailleurs des ministres, étant donné que le monde des affaires a désormais un pied dans la politique. On ne peut pas parler de relance économique au niveau local s’il n’y a pas de décisions politiques concrètes pour mettre à exécution les solutions à la crise. Où sont passées les mesures préconisées lors de la réunion entre les walis et Sellal d’il y a plus d’une année ? Il faut libérer les walis et leur donner les pouvoirs qui leur permettent d’être actifs et non pas spectateurs. Tout le monde sait que la grande problématique réside dans le fait que les walis sont dépourvus de pouvoir. Il ne faut donc pas s’attendre à grand-chose des réunions avec les walis. Le ministre de l’Intérieur ne peut rien faire tout simplement parce que les membres du gouvernement ne semblent pas le suivre dans sa démarche.
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