Il y a un recours abusif à la détention préventive, alors que la loi en fait une mesure d’exception. Justice aux ordres, magistrats obéissant à des instructions venus d’en haut, parodie de justice... Des avocats et des militants des droits de l’homme ont des mots durs pour dénoncer le travail de l’institution judiciaire. Selon maître Salah Debbouz, la justice algérienne n’est ni libre ni indépendante : «La Constitution dit que la justice est indépendante mais d’autres dispositions de ce même texte mettent cette institution sous l’autorité du président de la République, à travers ce Conseil supérieur de la magistrature (CSM) dont il est le président, avec comme adjoint son ministre de la Justice. Le Président peut désigner et muter les présidents de cour et de chambre sans consulter personne. Donc, au final, le pouvoir ou plutôt la fonction judiciaire est sous le contrôle du Président.» Me Debbouz a été mis sous contrôle judiciaire en juillet dernier suite aux événements de Ghardaïa. Pour cette activité, si la loi énonce expressément la protection du justiciable, dans la pratique, il n’y a pas de mécanisme pour garantir les droits des concernés. «Slimane Bouhafs (citoyen de Sétif converti au christianisme, ndlr) a été jugé la nuit. Il est venu à l’audience croyant qu’il allait être écouté. A sa grande surprise, le juge l’a condamné pour la simple raison qu’il est de confession chrétienne», s’indigne l’avocat. Selon Me Fetta Sadat, la situation est «déplorable», car la justice n’est pas indépendante de l’Exécutif. «Le juge obéit aux instructions d’un clan du pouvoir. Il n’y a pas d’Etat de droit sans indépendance de la justice, qui doit travailler en toute sérénité», estime l’avocate, qui précise que les magistrats sont «formatés» par un régime répressif qui dirige le pays. Les avocats estiment que la violation de la loi est illustrée par l’application de la détention préventive. «Il y a un recours abusif à la détention préventive, alors que la loi en fait une mesure d’exception. Selon l’article 59 alinéa 2 de la Constitution, la détention provisoire est une mesure exceptionnelle dont les motifs, la durée et les conditions de prorogation sont définis par la loi. Le code de procédure civile et administrative amendé énonce, dans son article 123, que l’inculpé reste libre au cours de l’information judiciaire. Il est soumis exceptionnellement au contrôle judiciaire et, dans une troisième étape, à la détention provisoire. La réalité est toute autre. A Ghardaïa, plus de 100 personnes ont été arrêtées et sont détenues illégalement suite aux événements de la région. Noureddine Kerrouchi et Nacer Eddine Hadjadj, membre du conseil national du RCD, sont en détention préventive alors que leurs dossiers sont vides», s’étonne Me Sadat, qui affirme que les affaires de droit commun connaissent aussi ces «abus». Pour Me Debbouz, la détention préventive est «très mal appliquée» et les juges du siège valident une situation quand ils prononcent leur jugement. «La détention préventive doit être une mesure exceptionnelle. Elle est normalement d’une durée de quatre mois renouvelable. Il arrive qu’un juge ordonne la détention et parte en congé. Le mis en cause est alors oublié. Dans certaines affaires, l’instruction ne doit pas dépasser les deux mois, la détention provisoire est renouvelée deux à trois fois et plus. Au final, pour éviter des dédommagements, le magistrat valide la détention préventive quand il prononce sa peine», détaille l’activiste. Délégation des pouvoirs aux walis Abdelghani Badi, qui a plaidé dans des affaires politiques, s’indigne contre les «interférences» du juge dans le travail de l’avocat. «Certains juges commentent les plaidoiries des avocats et dans certains cas les contredisent. Cela éloigne le juge de son obligation d’objectivité et de discrétion», précise-t-il, affirmant que le pouvoir judiciaire est «affaibli» au profit de l’Exécutif qui «interfère» dans des affaires — comme celle d’El Khabar dernièrement. L’avocat s’indigne de l’«ineffectivité» des dispositions du code de procédure civile et administrative, ce qui a permis de mettre en détention dans l’affaire KBC des personnes alors que la loi a élargi les cas relatifs à la liberté provisoire lorsque le délit n’est pas grave et que le mis en cause a un domicile connu. Me Debbouz dénonce par ailleurs la «délégation des pouvoirs» aux walis devenus, selon lui, des «sultans». «Les walis se comportent en sultans et agissent selon leur humeur. Le wali de Ghardaïa s’est dit satisfait dans un discours d’avoir été à l’origine de ma mise sous contrôle judiciaire. Le wali d’Alger a interdit le 6 février dernier une réunion privée qui devait se tenir à la Maison des syndicats, en ordonnant aux services de sécurité de nous interpeller. Le wali, qui ne conteste ni le statut des gens ni l’objet de cette réunion, a violé les textes et a ordonné aux services de sécurité d’exécuter une décision contraire à la loi. Il est consternant de constater que les services de sécurité et les juges agissent en violation de la loi qu’ils doivent faire appliquer et faire respecter», s’indigne l’avocat. Autre motif d’indignation pour Me Debbouz : les grèves traitées au mépris de la loi par le tribunal administratif, alors que l’article 500 du code de procédure civile et administrative en confie la tâche à la section sociale des tribunaux.
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