- Après quatre ans et demi de procédures judiciaires, vous avez décidé de vous retirer de la défense de l’ex-PDG de la CNAN, Ali Boumbar. Pourquoi ? Le retrait d’une affaire judiciaire n’est toujours pas facile. Pour certains, cela peut ressembler à une sorte d’abandon du client. Effectivement, notre rôle en tant qu’avocat n’est pas de se déconstituer. Notre rôle est de défendre les droits des citoyens, de plaider leur cause et de préserver leurs intérêts. Mais lorsque notre présence à côté de notre client ne sert absolument à rien, lorsque les droits de la défense sont piétinés et réprimés, lorsque la défense ne s’exerce plus ou lorsqu’il n’y a plus les conditions nécessaires pour exercer ce droit fondamental, nous ne pouvons que nous retirer. Rester, c’est cautionner ce déni de justice. Rester, c’est accepter que notre client demeure en prison sans être jugé. - Mais vous avez attendu toutes ces années pour vous retirer... Nous avons suivi toutes les procédures. Nous avons usé et épuisé toutes les voies de recours pour obtenir tout au moins sa remise en liberté en attendant son jugement. Mais nous nous sommes confrontés à l’obstination de l’appareil judiciaire qui le maintient en prison. Nous avons introduit 28 demandes de mise en liberté provisoire, elles ont toutes été rejetées. Que pouvons-nous faire devant une telle situation qui relève de l’absurde ? Nous étions confrontés à une situation intenable. Tel le rocher de Sisyphe(1) nous étions condamnés à renouveler des demandes de mise en liberté continuellement rejetées. Ali Boumbar a été jugé deux fois sans qu’aucune décision de condamnation ou de relaxe soit prononcée. Deux suppléments d’information ont été ordonnés — preuve que le dossier est vide — et notre client est toujours en détention. Pour quelle raison Ali Boumbar doit-il supporter les implications de ces deux compléments d’information en restant en prison ? Eu égard à ces considérations, nous avons estimé que notre présence aux côtés de notre mandant n’est plus nécessaire, n’a plus sa raison d’être. - Comment expliquez-vous cette «obstination» de la justice à garder en prison votre client ? Le cas Ali Boumbar est, pour moi, la représentation la plus fidèle du dysfonctionnement de la justice. Boumbar a été incarcéré le 12 mars 2012. Il a été mis en détention provisoire en dépit de toutes les garanties qu’il présentait de rester à la disposition de la justice. Il en est à sa cinquième année en prison. Je ne comprends pas pourquoi il est en détention alors qu’aucune charge sérieuse ne pèse sur lui. La problématique de la détention provisoire en Algérie renvoie à une perception selon laquelle le juge, en incarcérant le prévenu, ne risque pas d’être questionné sur cette décision. C’est en mettant l’auteur du trouble en liberté qu’il risque d’avoir à rendre des comptes. Par ailleurs, la justice reste marquée par les réflexes et automatismes hérités de la justice sous le parti unique. Le juge se doit de défendre les intérêts de la Révolution, confondus avec ceux de l’Etat. Dès que les deniers publics sont en jeu, la mise en détention devient la règle. C’est pour ces raisons que la détention provisoire ne tient pas compte des impératifs de la présomption d’innocence et des exigences du principe fondamental que la liberté est la règle et la détention l’exception. - La durée de la détention provisoire est limitée par la loi… Effectivement, la détention provisoire est une mesure exceptionnelle qui est limitée par la loi. Sa durée ne doit pas excéder les quatre mois. Elle est renouvelée une seule fois pour les infractions délictuelles. Le juge y recourt lorsque la peine est égale ou inférieure à 3 ans d’emprisonnement et lorsque cette mesure permet de préserver les preuves et indices, la protection des témoins, prévenir d’autres infractions... En d’autres termes, les mesures de contrainte doivent être strictement limitées aux nécessités de la procédure, proportionnées à la gravité de l’infraction reprochée et ne porter atteinte à la dignité de la personne. - Pourquoi ? Je me le demande, moi aussi. Pourquoi a-t-on recours à la détention provisoire quand il y a d’autres alternatives tel le contrôle judiciaire ? - Vous parlez d’un dysfonctionnement de la justice. A quel niveau se situe-t-il ? Le dysfonctionnement est dans le fait que la justice cherche désespérément des preuves pour juger cette affaire. Ali Boumbar n’est plus en détention provisoire mais en détention de condamnation, tout en étant non encore jugé. Devant une telle situation, il y a de quoi avoir peur, lorsque le droit est absent et la loi ignorée. Le droit est oublié dans cette affaire.
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