mardi 9 août 2016

Chantage idéologique et absence de débat lucide

La tragique disparition de la petite Nihal a traumatisé l’opinion publique. Jamais un drame n’aura suscité un tel choc émotionnel, mais surtout une vague de colère et d’indignation générale. C’est tout le pays qui a été secoué par la mort effroyable d’une fillette au doux regard. Durant toute la période qu’ont duré les recherches pour la retrouver — dans la région d’Aït Touddert (Tizi Ouzou) — de nombreux Algériens n’ont cessé d’envoyer des messages de compassion et de solidarité aux parents. Mais à mesure que s’amenuisait l’espoir de retrouver Nihal saine et sauve, l’exaspération s’est accrue. Submergée par une émotion somme toute légitime, l’hystérie a pris le dessus au sein de l’opinion. Un déchaînement de passion qui a vite débouché sur des envies folles de vengeance et d’appel au meurtre. Alors que les circonstances de la disparition et de la mort de la fillette ne sont pas encore élucidées, des voix montent dans l’opinion pour «exiger» le rétablissement de la peine de mort. Cela devient un rituel à chaque crime abominable commis notamment contre des mineurs. Certes, les rapts d’enfants se sont multipliés de manière inquiétante ces dernières années, mettant au jour les failles dans la protection de l’enfance. Mais la récupération idéologique de la détresse des familles est flagrante. Si certaines voix parmi celles qui sont favorables à la loi du talion sont poussées par une «colère» face à la violence qui touche de plus en plus des personnes fragiles, d’autres s’appuient, en revanche, sur un argument idéologique qui tire souvent son origine de l’interprétation rigoriste de la religion. Cette seconde catégorie surfe sur une vague d’indignation nationale pour avancer d’un pas en réitérant sa revendication concernant le retour à une pratique barbare. Profitant d’un contexte qui lui serait «favorable», elle fait monter les enchères et tente un passage en force. Sans débat serein et dépassionné, une partie de l’opinion valide la thèse selon laquelle l’application de la peine de mort serait un sérieux rempart contre le crime. Ce châtiment est-il véritablement dissuasif ? Pas si sûr. Dans des pays comme l’Arabie Saoudite où la chronique est rythmée par les exécutions des personnes condamnées, ou aux Etats-Unis qui appliquent encore cette peine infamante, le crime n’a pas reculé. Un châtiment inhumain Il est vrai que l’abolition ou le maintien de la peine capitale divise profondément l’opinion en Algérie qui applique déjà un moratoire depuis 1993. C’est d’autant plus complexe que le débat sur cette question ne peut être engagé dans un contexte où l’émotion et la colère prennent le dessus sur la raison. Abolitionniste convaincu, le président de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADDH), Noureddine Benissad, estime qu’il «faut savoir raison garder et ne pas céder aux réactions sous la colère provoquée par un crime aussi abominable soit-il». A l’opposé des voix qui réclament et de manière incessante l’application de la peine de mort, l’avocat plaide pour un vrai débat de fond, serein et responsable. Défendant l’abolition de la peine de mort, il s’appuie sur un argumentaire solide et difficile à contester tant du point de vue philosophique que de celui du droit. «On ne peut pas répondre à un crime aussi abominable soit-il en ôtant la vie à celui qui l’a commis.» Le défenseur des droits de l’homme rappelle que dans les pays où la peine de mort est appliquée le crime ne recule pas. «Les statistiques nous montrent que dans les Etats qui continuent à appliquer la peine de mort, non seulement le crime n’a pas baissé, mais il prend des proportions encore plus importantes, pendant que les pays où cette loi est abolie, le crime a connu une baisse», précise-t-il. Sur le plan du droit, Me Benissad rappelle que l’Algérie «est régie par des lois positives, qu’elle a pris des engagements internationaux et que le moratoire devrait aboutir à terme à l’abolition». L’avocat ne se laisse pas intimider par ceux qui hurlent à chaque crime enregistré pour faire pression sur la justice afin d’imposer le rétablissement de la peine de mort. «On ne les a pas entendu parler de la peine de mort quand il s’agissait des crimes commis lors des massacres qu’a connus le pays durant la période du terrorisme», rappelle-t-il. D’autres abolitionnistes ajoutent également le risque d’erreurs judiciaires qui peuvent conduire des innocents à la potence. Il n’est pas inutile de rappeler à ce propos les soupçons qui pèsent sur l’indépendance de la justice algérienne. En somme, partout dans le monde la tendance abolitionniste est dominante : 140 Etats ont aboli la peine capitale en droit et en application. En Algérie, le débat sur ce sujet est quasi absent depuis l’entrée en vigueur du moratoire. A l’exception de quelques associations, pour certains avocats et personnalités connues l’abolition de la peine de mort ne figure pas parmi les préoccupations de la classe politique. Et souvent par manque d’audace. Il est vrai qu’au plan électoral, défendre l’abolition n’est pas «rentable». Faut-il alors rappeler que souvent les abolitionnistes ont défendu et gagné la bataille de la fin de la peine de mort contre une opinion publique majoritaire, parce que la peine de mort est politiquement inefficace et moralement inhumaine.

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