mardi 2 août 2016

Menace sur le système de protection sociale

Lors de son intervention au Forum d’El Moudjahid, le directeur général de la Caisse nationale des assurés sociaux (Cnas), Hassan Tidjani Heddam, s’est montré très optimiste quant à la situation de la Caisse, sans toutefois présenter les arguments, notamment les chiffres qui corroborent un tel constat. Pourtant, les rapports sur la campagne de recouvrement des cotisations et le courrier adressé récemment aux directeurs d’agence sur les activités de recouvrement laissent transparaître une tout autre réalité peu reluisante. Pour ne citer que cette lettre datée du mois d’avril 2015 et adressée aux dirigeants des agences, le directeur général rappelle la situation évoquée lors des regroupements du mois de mars consacrés justement au recouvrement et dont les résultats sont qualifiés d’«en deçà des objectifs assignés», reprochant à «la quasi-majorité» des agences de ne pas s’impliquer dans «la réalisation de la feuille de route». En fait, sur les 48 agences se trouvant sur le territoire national, «21 n’ont pas réalisé les recettes prévisionnelles arrêtées pour l’année 2015, dont 13 ont cumulé un manque sur l’exercice de 2014 ; 42 n’ont pas respecté le délai de clôture de la comptabilité, et 9 seulement ont enregistré une baisse des créances détenues sur l’administration et 16 ont fait baisser les créances détenues par le secteur économique, etc». Devant un tel constat, M. Tidjani Heddam a interpellé ses cadres dirigeants, exigeant d’eux «plus d’investissement personnel» et «davantage de mobilisation à l’effet d’améliorer les résultats». Le tableau récapitulatif de l’évaluation du recouvrement par agence est très révélateur. Il est loin d’être conforme à l’optimisme exprimé par le directeur général, dimanche dernier. Essentiel pour la protection de l’équilibre financier de la Caisse, mais aussi de la Caisse nationale des retraites (Cnr), et de la Caisse nationale de l’allocation chômage (Cnac), le recouvrement des cotisations par la Cnas peine à atteindre les niveaux escomptés. Le travail informel fait perdre à la Cnas 500 milliards de dinars Si l’on se réfère au  bilan de 2014 (dont nous détenons une copie), l’on se rend compte que les résultats obtenus sont très maigres, surtout lorsque l’on sait que le nombre des salariés du secteur de l’informel et du secteur privé formel (non déclarés à la Cnas) dépasse, selon les statistiques de l’Ons, les 5 millions. Si l’on prend pour référence le bilan de 2014, où il est fait état d’un montant global de recouvrement de 1000 milliards de dinars, le manque à gagner engendré par cette manne de salariat informel est estimé à 500 milliards de dinars, soit près de 50% du montant des cotisations actuelles. Sur les 5 millions de salariés qui sont dans l’informel, la Cnas n’a pu en ramener vers le formel que 16 280, et ce, en dépit de l’offre attractive qui consiste à s’acquitter d’une cotisation mensuelle symbolique de 2160 DA, soit 12% du Smig. Le système de collecte des cotisations semble être défaillant, et les 5 millions de salariés non déclarés risquent à terme, dans le cas où la situation n’est pas corrigée, d’être privés de retraite. Une telle situation pourrait avoir un impact désastreux sur la CNR. Celle-ci, faut-il le préciser, fait face à une rude épreuve. En  2014, ses dépenses ont dépassé ses recettes, entraînant un énorme déséquilibre financier, et durant l’année 2015 la situation n’a cessé de se dégrader, poussant les pouvoirs publics à faire des années 2015 et 2016 celles du recouvrement. Lancée en pleine période des congés, cette opération, limitée dans le temps, a été mal préparée et ses résultats financiers très faibles par rapport aux attentes. Pour bon nombre de spécialistes, c’est un échec. «Le montant des cotisations récupérées était égal à celui du montant des pénalités annulées au profit des employeurs privés indélicats», notent nos interlocuteurs. Au 30 juin 2016, le constat était toujours le même. Les mauvais payeurs se comptent aussi bien dans le secteur privé que dans le secteur public, notamment les IAP (Institutions et administrations publiques), et ce, même si c’est dans de moindres proportions. Le bilan des recouvrements dont nous détenons une copie le montre bien. Au 31 décembre 2014, la CNAS comptabilisait plus de 330 000 employeurs, dont 307 000 du secteur privé, 10 000 du secteur public économique,  près de 8000 de l’administration, et 1100 des sociétés étrangères. A la même date, les salariés cotisants étaient au nombre de 6 millions. Parmi eux, 1,17 million pour le secteur public économique,  1,76 million pour le privé, 2 millions pour l’administration, et près d’un million pour les assurés dits des catégories particulières (emploi des jeunes principalement dont les cotisations sont à la charge du budget de l’Etat, mais n’étant couverts que pour le risque «assurance maladie», donc exclus du droit à la retraite !) Ces chiffres nous permettent de constater de nombreuses défaillances en matière de collecte des déclarations des assurés par les employeurs, tous secteurs confondus. Essentielles pour la Cnas, les déclarations annuelles des salariés sont très faibles. En 2014, elles n’ont pas dépassé les 215 000, au lieu des 300 000 attendues. Les administrations et les collectivités locales ayant enregistré un taux désastreux d’à peine 50%, ont suscité l’intervention du Premier ministre à travers une instruction envoyée aux responsables des institutions et administrations publiques, mais en vain. Interrogé sur cette question, M. Tidjani Heddam a été très évasif, tout en reconnaissant à demi-mot le fait que les administrations publiques se trouvent parmi les mauvais payeurs. Selon lui, «cela relève plus de retard que de refus». Pour ce qui est des baisses du taux de cotisation pour les employeurs dans le cadre du dispositif d’encouragement et d’appui à la promotion de l’emploi, il est fait état dans les bilans de 100 000 employeurs du secteur privé qui en ont bénéficié, pour à peine 250 000 salariés au 31 décembre 2014. L’Administration publique parmi les mauvais payeurs… Là aussi l’Etat apparaît comme mauvais payeur. En effet, le différentiel entre le taux réel des cotisations et celui consenti devant être versé à la Cnas par le Trésor public est loin d’être totalement versé. Le même bilan fait ressortir une situation de recouvrement assez faible. Ainsi, les états facturés par la Caisse se soldent par un montant de 964 milliards de dinars (933 milliards de dinars en 2013). Sur cette somme, 850 milliards de dinars le sont au titre des cotisations de 2014, et près de 110 milliards de dinars pour les cotisations (en retard) d’avant. Le secteur économique (public et privé) vient en première position, avec 411 milliards de dinars et l’administration avec plus de 500 milliards de dinars. La Cnas a encaissé 953 milliards de dinars en 2014, contre 920 milliards de dinars en 2013. Sur ces 953 milliards, 825 le sont au titre des cotisations dues pour l’année 2014, et près de 130 milliards pour les années avant 2014. Comparativement à 2013, l’encaissement pour le secteur privé a connu une augmentation de l’ordre de 8% en 2014. Nous remarquons un basculement d’une frange des privés dans la case des «bons payeurs» pour bénéficier de la baisse du taux des charges sociales. Pour l’administration, l’encaissement ne cesse de baisser. En 2014, l’encaissement a chuté de 1% l’année précédente. Pour ce qui est de la répartition des encaissements des cotisations entre les caisses de la sécurité sociale, le bilan fait ressortir des chiffres que le directeur général s’est refusé à divulguer à la presse. Ainsi, la Cnas a encaissé 440 milliards de dinars, la Cnr 463 milliards, la Cnac 39 milliards, et les autres fonds  (Fnpos, Oprebatph, Cacobatph), 9,2 milliards de dinars. Pour ce qui est des créances, elles représentent, faut-il le préciser,  le montant des cotisations non versées à la caisse par les employeurs au 31 décembre 2014. A cette date, la somme globale était supérieure à 250 milliards de dinars, alors qu’en 2013 le montant a été arrêté à 237 milliards de dinars. Il représente aussi 25% de celui des cotisations de 2014. D’année en année, il ne cesse d’augmenter. Sur ce montant de 250 milliards de dinars, le manque à gagner est d’au moins 125 milliards de dinars pour la seule Cnr qui connaît une situation financière extrêmement difficile. A titre d’exemple, pour la seule agence Cnas de la wilaya d’Alger les créances ont atteint 36,4 milliards de dinars, soit 15% du montant global des créances. Mieux encore : sur les 250 milliards de créances, 60 milliards le sont pour l’administration, 18 milliards au titre du Trésor public (Etat mauvais payeur), et plus de 85 milliards de dinars détenus par les secteurs public et privé et les catégories particulières (emploi de jeunes, principalement dont les cotisations sont à la charge de l’Etat, etc.). D’autre part, durant l’année 2014, la Cnas n’a enregistré aucun payement du différentiel des cotisations patronales des investisseurs, alors que l’Agence nationale du développement de l’investissement (ANDI)  a reconnu un montant de 3,2 milliards de dinars qui a fait l’objet d’un contentieux. Il en est de même pour la quote-part du Fnpos (financement du logement social) d’un montant de 22 milliards de dinars non versé au 31 décembre 2014. Autant de défaillances dans le système de recouvrement de la caisse qui font qu’aujourd’hui la Cnas vit une situation des plus difficiles.

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