samedi 28 janvier 2017

Effrayante banalisation de la violence

Hier encore, et plus de 24 heures après l’assassinat de Kamel B., la cité des Logements évolutifs, perchée à la périphérie sud de la ville de Skikda, contenait mal sa colère. Cette cité, que les Skikdis appellent communément «Bit ou kouzina» (une pièce-cuisine) ressemble à un immense ghetto. C’est un semblant de bidonville en dur, où les bâtisses s’entrelacent dans une insupportable proximité. Ces lieux viennent en continuité à El Match, l’un des plus grands bidonvilles de Skikda. Ici, il suffit de tendre l’oreille aux groupes de jeunes et d’enfants, toujours rassemblés devant la demeure de la jeune victime, pour se rendre compte du mal qui ronge leur localité. Même pour exprimer leur compassion, les jeunes amis de Kamel usent d’un vocable à part, dénotant la colère et la violence surtout. «Ils l’ont tué», répètent les jeunes de la cité. «Ils», ce sont quatre autres jeunes, dont le plus jeune a 16 ans, tandis que le plus âgé en a tout juste 18. Kamel avait 17 ans et se préparait, cette année, à passer son BEM. «Dans la matinée de mercredi, Kamel s’était accroché verbalement avec un jeune. Ce dernier est alors allé ramener des copains à lui. Ils lui ont tendu un guet-apens vers 13h, au moment où il allait rejoindre le CEM», rapporte un camarade de classe de la victime. Et après ? «Ils l’ont interpellé. L’un d’eux avait à la main un petit couteau. Ils l’ont d’abord battu, lui infligeant des coups de poing, puis l’un d’eux lui a asséné des coups de couteau à la cuisse. Kamel est alors tombé. Les quatre agresseurs ont aussitôt pris la fuite vers le bidonville d’El Match. Il y avait beaucoup de sang qui coulait de la jambe de Kamel…». Le coup de couteau porté à la victime a atteint l’artère fémorale. Il était mortel et l’hémorragie intense. L’information circula très vite : «On a tué Kamel…». Le CEM Heddam, où est inscrite la victime, se transforma illico presto en chaudron. La peur, la colère et la tristesse s’emparèrent des élèves. Ces derniers ne voulaient pas rester cloîtrés dans cet établissement alors qu’ils étaient choqués par la vision horrible de Kamel baignant dans son sang. Cette colère va crescendo et le lendemain, jeudi, la nouvelle de la mort du jeune Kamel attise les tensions. Des manifestations de colère s’organisent presque fortuitement devant le CEM et devant la demeure de la victime. Des slogans juvéniles sont lâchés ici et là. Des personnes âgées se joignent à ces jeunes. On demande la tête des agresseurs. On s’en prend à l’établissement scolaire. On dénonce surtout l’insécurité qui caractérise ce lotissement devenu subitement un lieu maudit. «Ici, la zetla, les barbituriques et l’alcool s’écoulent en plein jour. On a tout le temps peur pour nos enfants», témoigne un parent. Hier encore, le lotissement Bit ou Kouzina était en effervescence. Les groupes d’adolescents se faisaient et se défaisaient sans discontinuer. Les enfants se retrouvent ainsi mêlés au monde morbide de la mort et de la violence. Chacun y va de son anecdote en souvenir de la victime, mais dans chaque regard, il y avait un vide terrible. Pour revenir aux conditions ayant conduit à la mort de Kamel, on apprendra qu’après son évacuation vers le nouvel hôpital de la ville, tout a été tenté pour le sauver. Malheureusement, l’hémorragie était intense et le frêle corps de la victime s’est vidé de tout son sang. Le docteurr Bouarroudj, directeur de l’hôpital, a accepté de revenir sur les conditions de la prise en charge : «La victime a rapidement été évacuée au bloc opératoire dès son arrivée vers 15h. Ayant déjà perdu beaucoup de sang, son état était vraiment critique. On a d’abord été confronté au fait que le groupe sanguin AB de la victime soit assez rare, mais on est parvenu grâce à un incroyable élan de solidarité aussi bien des policiers que du personnel de l’hôpital à collecter 15 poches de sang. Tout a été mis en œuvre pour sauver le jeune Kamel qui fera un premier arrêt cardiaque, puis un second hier matin à 6h, mais malheureusement il a rendu l’âme.» Les quatre agresseurs, jeunes eux aussi, ont été présentés jeudi devant le juge d’instruction près le tribunal de Skikda, qui a ordonné leur mise en détention préventive pour «homicide volontaire». Le drame d’une jeunesse livrée à elle-même ; une jeunesse qui s’exprime sur les réseaux sociaux avec des mots durs et agressifs. Il suffit de prendre le temps de consulter quelques pages facebook de cette jeunesse pour comprendre le mal qui ronge toute une génération. Certains usent de têtes de mort pour s’identifier, d’autres exhibent l’emblème de Daech et certains s’amusent même à se montrer avec un «cachet» de barbituriques à la bouche. Cela ne gêne personne apparemment et toute la société refuse de regarder, laissant ainsi toute une génération se suicider.  

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