Près de 12 000 femmes se plaignent de violences chaque année en Algérie. Coups, brimades, viols… Dans 50% des cas, elles les subissent au sein même de leur famille. Face à ce fléau, les lois ont montré leurs limites, la police est jugée passive, et le manque d’infrastructures d’accueil et de mécanismes de soutien pèsent lourd. En cette période de campagne pour les législatives,qui bat son plein, la question est pourtant quasiment absente du «débat» électoral. Dans un rapport publié hier, l’ONG Human Rights Watch passe au crible les différents facteurs qui empêchent la lutte contre cette violence et propose une série de recommandations pour protéger les victimes. Intitulé : «Ton destin est de rester avec lui : la réponse de l’Etat aux violences domestiques en Algérie», le rapport a été présenté par Ahmed Benchemsi, directeur de la communication et du plaidoyer pour la région MENA pour Human Rights Watch (HRW), qui animait une conférence de presse hier à Alger. «Des avancées ont été réalisées sur la question, mais des failles persistent, nous souhaitons que le sujet sois remis sur le devant de la scène.» Des chercheurs de l’ONG ont enquêté pendant plus d’une année en Algérie, pour répertorier des cas de violences physiques et psychologiques. Ils ont rencontré des militants associatifs, des psychologues qui activent dans des foyers d’accueil, et surtout des femmes victimes de violences. Parmi elles, Selwa, 39 ans, mère de deux enfants, battue par son mari des années durant. En silence, elle a encaissé les coups et subi l’escalade de la violence jusqu’au jour où le déchaînement de son mari a failli lui coûter la vie. Elle a raconté les affres et les souffrances endurées. En septembre 2011, son mari l’a déshabillée et suspendue à une poutre du plafond pour la battre avec un balai avant de lui lacérer la poitrine avec des ciseaux. Selwa a été secourue par sa belle-sœur, qui l’a aidée à s’enfuir. Après avoir reçu des soins de première urgence à l’hôpital, elle a vite été acheminée vers un commissariat, où elle a porté plainte contre son mari. Une plainte restée sans suite. Grâce à l’aide juridique de l’ONG qui gère le foyer dans lequel elle s’est réfugiée, une autre plainte a été déposée auprès du procureur. Cette seconde plainte a abouti à la condamnation de son mari : payement d’une amende et six mois de prison avec sursis. Sa demande de divorce pour violences physiques, introduite en 2012, a pourtant été refusée par le tribunal, qui lui a ordonné de revenir au domicile conjugal. Une année plus tard, sa seconde demande a finalement été acceptée. Son mari a été sommé de lui payer une pension alimentaire qu’il ne lui a jamais versée. Le tribunal l’a condamné à six mois de prison ferme, mais elle soutient qu’il n’a jamais été arrêté par la police. Il serait aujourd’hui en fuite. L’histoire de Selwa a été recueillie à Annaba en avril 2016, et figure en présentation du rapport. Elle résume, à elle seule, les pires failles du système, qui, loin de protéger les femmes, conforte les violences domestiques qu’elles subissent. Recommandations Evoquant les avancées et les limites de la loi n°15-19 criminalisant la violence à l’égard des femmes, adoptée en décembre 2015, Ahmed Benchemsi a raconté le calvaire vécu par Selwa et d’autres victimes pour dévoiler la souffrance et dénoncer les failles qui mettent en danger de nombreuses femmes et jeunes filles. Première faille évoquée dans le rapport, la possibilité pour le coupable des violences d’échapper aux poursuites judiciaires si la victime accepte de pardonner. Autres failles présentées dans le rapport, la définition des violences domestiques, qui ne mentionne pas explicitement le viol conjugal, ainsi que le mode d’évaluation des invalidités physiques pour déterminer le niveau de sentence, reposant exclusivement sur les directives des médecins légistes, qui produisent des rapports médicaux suite à des examens qui ne prennent pas en compte les maltraitances répétitives subies pendant de longues périodes. Le rapport pointe du doigt l’absence de clause sur les ordonnances de protection, qui permettraient aux femmes d’être protégées de nouveaux abus. Enfin, l’inaction de la police est sévèrement relevée. Les enquêteurs de l’ONG dénoncent «l’attitude dédaigneuse des services de police envers les victimes», très souvent encouragées à abandonner les poursuites et à pardonner. Parmi les recommandations du rapport, la modification de la loi n°15-19, l’adoption d’une législation complète incriminant entièrement la violence domestique, établir une base de données nationale concernant toutes les formes de violences faites aux femmes et établir un protocole d’intervention de la police… 8000 femmes victimes de violences ont déposé une plainte auprès de la police nationale en 2016. Combien d’autres plaintes n’ont pas été prises en charge par les services de sécurité, connus pour minimiser les violences conjugales et pour encourager les femmes à ne pas porter plainte contre leurs maris ? Combien d’autres, encore, subissent en silence, par peur des représailles, sans même oser sourciller ?
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