Journaliste d’investigation, Claudio Gatti a été un des premiers à faire éclater le scandale dans la presse italienne (Il Sole 24 Ore) et américaine (The New York Times). Spécialisé dans la corruption internationale dans les secteurs de l’énergie et de la défense, primé pour ses travaux (prix italien Saint Vincent et le Premiolino), Claudio Gatti revient dans cet entretien sur l’affaire Saipem et le retour en Algérie de l’ancien ministre de l’Energie, Chakib Khelil. «Si sa relation avec ceux qui sont actuellement aux commandes de l’Algérie est redevenue bonne, dit-il, il serait logique pour Khelil d’attendre dans son pays la fin du procès à Milan.» Acquitté dans un premier temps pour manque de preuves, Paolo Scaroni, l’ex-patron d’ENI, a vu son non-lieu annulé par la Cour suprême. Pensez-vous qu’une telle décision donnera lieu à un tout autre procès, à une toute autre justice dans l’affaire Saipem ? La décision prise par le juge de ne pas poursuivre Scaroni était viciée, à mon avis. Le fait que la Cour suprême le reconnaisse (par l’annulation du non-lieu) confirme, en tout cas et dans les faits, que les juges disposent d’éléments indiquant que Scaroni devrait être jugé pour son rôle dans l’affaire et que la procédure devrait examiner attentivement la responsabilité au sommet, à la fois dans l’ENI et en Algérie. L’affaire Saipem ne sera dès lors plus «italo-italienne» ? Paolo Scaroni , à en croire les aveux du patron des opérations de Saipem, Pietro Varone, a, à plusieurs reprises, rencontré Chakib Khelil, l’ancien ministre algérien de l’Energie, en compagnie du «facilitateur» Farid Bedjaoui. Des rencontres qui ont donné lieu à la signature de plusieurs gros contrats objet de délit de corruption ? Je n’ai aucun doute que Saipem était au courant que l’argent versé aux sociétés contrôlées par Bedjaoui allait bénéficier à des acteurs-clés dans l’industrie pétrolière de l’Algérie. Les informations publiées par la presse italienne font état de pots-de-vin payés par Saipem à des «fonctionnaires et des dirigeants algériens». Hormis les noms déjà sur la place publique, la justice italienne dispose-t-elle d’autres noms de responsables algériens qui ne sont pas cités publiquement ? I don’t think so. Difficile à dire, mais je ne pense pas. Farid Bedjaoui s’est fait représenter au procès par son avocat. La justice italienne, ayant émis un mandat d’arrêt contre lui, a-t-elle pu le pister ? Certaines sources prétendent qu’il est aux Emirats arabes unis… Je crois savoir que la Guardia di Finances (la brigade financière) n’a pas été, encore, en mesure de le localiser avec certitude. L’affaire Saipem, vous en connaissez un bon bout. Vous avez commencé à travailler dessus en 2010 déjà. Pietro Varone (directeur des opérations de Saipem), l’homme qui «gérait les relations avec les Algériens», passe pour une cheville ouvrière dans le système de corruption mis en place. Pouvez-vous nous en dire plus sur le personnage et quel rôle a-t-il joué ? Pietro Varone a joué un rôle opérationnel clé dans Saipem et, en étant conscient de la grande quantité d’argent que Saipem donnait aux responsables algériens corrompus, il a réussi à en tirer lui-même un avantage personnel. Dans mon expérience d’enquêteur sur la corruption d’agents publics étrangers par les entreprises italiennes, cela est malheureusement arrivé fréquemment. Mais Varone n’avait pas ce pouvoir de décider de payer 200 millions de dollars à Pearl Partners, ce sont les gens qui sont à la tête de la société qui ont pris ces décisions. Comment les contrats d’agence passés entre Saipem et la Pearl Partners LTD, la société de Farid Bedjaoui, servaient-ils en fait à canaliser les commissions et rétrocommissions, soit 197 millions d’euros de 2005 à 2008 ? A mon avis, le seul service que Pearl Partners LTD et Bedjaoui pouvaient fournir à Saipem était d’«ouvrir des portes en Algérie». Mais quand 200 millions de dollars sont dépensés juste pour «ouvrir des portes», encore à mon avis, cela signifie que la plupart de l’argent était destiné à être transmis le long des décideurs-clés en Algérie. Pensez-vous que le retour en Algérie de l’ancien ministre de l’Energie peut être lié à la reprise du procès Saipem à Milan ? Est-ce une manière de le protéger d’une éventuelle extradition vers l’Italie dans le cas d’une mise en accusation par les juges de Milan ? Vu les rapports denses, le volume d’échanges entre les deux pays, la raison d’Etat, en Algérie ou en Italie, peut-elle prendre le dessus lors de ce procès ? Si la relation de Khelil avec ceux qui sont aux commandes de l’Algérie est redevenue bonne, il serait logique pour lui d’attendre dans son pays la fin du procès à Milan. Le pouvoir judiciaire en Italie est indépendant du gouvernement. L’affaire Abou Omar (condamnation en février 2013 d’une vingtaine d’agents de la CIA poursuivis pour détention et transfert secret vers l’Egypte de Abou Omar, ndlr) a prouvé que le tribunal de Milan peut prendre des décisions qui sont politiquement gênantes.
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