lundi 28 mars 2016

Reconnaîtra-t-on un jour le «maghribi» ?

Les éditions Frantz Fanon viennent de rééditer un ouvrage ambitieux et polémique qui défend cette thèse qui n’a pas que des défenseurs parmi les pairs du linguiste : Le maghribi, alias ed-derija, la langue consensuelle du Maghreb.  Son auteur, Abdou Elimam, s’en tient aux mêmes conclusions dans cette réédition. «Ce livre est une troisième réédition d’un ouvrage connu il y a une vingtaine d’années. En le relisant, je ne changerais pas une virgule, parce qu’on est loin du compte dans ces questions», signale l’auteur, accompagné, hier, à sa vente-dédicace à la librairie El Ijtihad de son sémillant éditeur, Amar Ingrachen. L’ambition du linguiste est de «retrouver les traces de la langue parlée il y a entre 2000 à 3000 ans sur ce continent, et de découvrir que la langue qui se parlait il y a quelques dizaines de siècles, à quelques variantes près, celle que nous continuons à parler aujourd’hui, est la deridja (le maghribi)». S’appuyant sur un corpus punique, Elimam défend la parenté linguistique entre cette langue sémitique et la langue locale, le maghribi : 60% de substrat, avec des variations et parfois des changements de sens. Interrogeant les fondements anthropologiques et historiques des parlers locaux au Maghreb, l’auteur signale que la langue punique, utilisée par des Aguellid numides, cohabitait avec le libyque (berbère). L’auteur estime que la langue arabe classique n’est apparue qu’entre les XIIe et Xe siècles, et a été «normée» tardivement pour permettre la compréhension du Coran, texte qui lui est antérieur. Elimam s’en prend à ceux qui méprisent leur «identité linguistique» et la minorent au profit d’une langue arabe désincarnée. «Ces langues maternelles ont traversé le temps, les colonisations, les idéologies linguistiques diverses. Elles sont toujours vivaces parce que les langues ne se parlent pas toutes seules. Les langues, la science et le savoir sont portés par des humains qui les diffusent. Quelqu’un qui ignore sa langue s’ignore lui-même», soutient-il, en expliquant son choix du mot «maghribi» par l’appellation donnée par des locuteurs et spécialistes reconnus au parler des Nord-Africains. L’auteur estime qu’il y a des malentendus qu’il faut lever et surtout un effort de travail et d’interrogation concernant la langue arable classique et son usage. «La norme arabe a été élaborée après le Coran. Cette norme va essayer de se développer surtout pour les besoins de la lecture du Coran. Par contre, les langues maternelles, y compris dans la péninsule arabique, ont continué à fonctionner à tel point que jusqu’à aujourd’hui, nulle part au monde il n’y a de locuteurs natifs de la langue arabe classique ou de l’arabe coranique», précise-t-il. S’agissant de l’acquisition de la langue, Elimam s’appuie sur les recherches modernes en neurosciences et défend ardemment l’usage des langues maternelles (deridja et amazigh) à l’école : «Tous les humains sont dotés d’un appareil biologique et génétique logé dans le cerveau, qui permet d’accéder au langage. C’est l’environnement social qui fait qu’on passe à telle langue ou telle autre (…). L’enfant qui vient est prédisposé en matière de langage. En clair, si on veut arabiser, la meilleure façon est de commencer par la langue maternelle durant les quatre à cinq premières années, ensuite, on peut introduire la langue de son choix.» Se félicitant de l’officialisation de tamazight, le linguiste estime que l’Algérien aura tout à gagner en reconnaissant cette autre part d’identité : le «maghribi». «On a déjà ouvert une brèche avec tamazight, j’espère qu’on ira plus loin, parce que le jour où on s’assumera avec nos langues maternelles, on sera à 100% indépendants», conclut-il.  

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