Après les violents affrontements entre migrants et des habitants de Béchar la semaine passée, dans la cité OPGI, saccagée et brûlée, les migrants ont déserté les lieux. L’accusation de tentative de viol sur mineure par des Subsahariens, qui a mis le feu aux poudres, ne tiendrait pas la route. Enquête. «Je suis sortie de la maison afin d’acheter un recharge téléphonique et un sirop à la pharmacie Bounini dans mon quartier du 18 Février. Quand je suis sortie du kiosque pour me diriger vers la pharmacie, j’ai remarqué qu’un migrant me suivait. J’étais obligée de fuir en me précipitant dans la pharmacie. Lui, il est resté pas loin, il attendait que je sorte. A ce moment-là, il était environ 18 heures. Heureusement que dans la pharmacie j’ai trouvé une femme à qui j’ai raconté ce qui m’arrivait. Elle m’a demandé où j’habitais et je suis sortie avec elle. Elle m’a accompagnée jusqu’à la maison. C’est à ce moment-là que le migrant a rebroussé chemin», raconte Romaïssa Saïd avec beaucoup d’hésitation. A neuf ans, elle est désignée par son père Brahim comme «l’élément déclencheur» des violentes émeutes qui ont secoué la ville de Béchar vendredi passé. La cité OPGI où habitaient des migrants a été violemment attaquée suite à une rumeur accusant des Subsahariens de tentative de viol sur une fillette. «Nous les avons poussés à sortir de cette cité, mais ce n’est pas encore fini. Nous allons les exterminer de toute la ville et des chantiers où ils se cachent en ce moment», menace le père de Romaïssa, 55 ans, commerçant. Quand Romaïssa est sollicitée pour répondre à nos questions, il intervient souvent pour lui «rappeler» certains détails de «la tentative de viol qu’elle a évitée à la dernière minute». Dans ses premières déclarations rapportées par la presse, Brahim a indiqué que sa «fille a pris la fuite vers une pharmacie, qui se trouve non loin de la cité OPGI où habitent les migrants». Le père, qui surveillait sa fille quand cette dernière nous livrait son témoignage, ignore que la pharmacie en question est équipée de caméras de surveillance. La pharmacie Bouanini a accepté de nous montrer la vidéo surveillance. Nous l’avons consultée et, effectivement, la fille est rentrée à 18h30. Mais, contrairement à ce qu’elle nous a raconté, il n’y avait pas de femme dans la pharmacie. Elle a donc acheté un sirop et des couches bébé et a quitté la pharmacie seule, sans avoir l’air inquiet ou d’être suivie. Une autre contradiction, Brahim nous a raconté que le mercredi 23 mars, il s’est présenté au commissariat où on aurait refusé de prendre sa déposition. Fausse histoire Selon des sources policières, «il n’a jamais voulu déposer plainte. Il est venu une fois pour nous demander d’intervenir. Nous sommes sortis sur le terrain, mais personne n’a vu la scène et il n’y avait aucune preuve et aucun témoin !» Une autre source sécuritaire affirme que «c’est une fausse histoire, ils veulent juste justifier leur attaque. Un migrant subsaharien ne peut pas tenter de violer une fille algérienne de neuf ans. Ils fréquentent uniquement les filles qui vivent avec eux. D’accord, tous les migrants ne sont pas des saints. Certains d’entre eux à la cité OPGI font dans le trafic de faux billets et de la drogue, mais ils sont minoritaires. Tous les autres travaillent dans le chantier». La cité OPGI est coupée en deux zones : une partie est habitée par des familles algériennes, et une autre par les migrants. Nassim*, 35 ans, habite ici depuis deux ans avec sa femme et ses deux petites filles. Sa femme, Naïma*, la trentaine, témoigne : «Mon mari s’absente parfois plusieurs semaines, car les chantiers où il travaille sont loin. Durant son absence, ni moi ni mes voisines n’avons été embêtées par les migrants ; au contraire, ils sont respectueux. En plus, dans la journée ils sortent tous travailler», raconte-t-elle, son bébé de deux ans dans les bras. La pharmacie Fezazi se trouve à quelques mètres de la cité. Trois des quatre pharmaciens qui travaillent à l’intérieur sont des jeunes filles. L. M. et S. R., deux pharmaciennes voilées, connaissent bien les migrants : «La majorité d’entre eux sont musulmans. Des dizaines d’entre eux défilent dans la pharmacie quotidiennement, mais à aucun moment ils nous ont provoquées.». Le regard fixé au sol, casquette vissée sur la tête, Nassim se rappelle les violences de vendredi dernier. «Après la prière du vendredi, un premier groupe composé d’une dizaine de personnes a attaqué ici en lançant des pierres. Personne n’a compris ce qui se passait. Mais quelques instants plus tard, les assaillants sont devenus 30 fois plus nombreux. Les migrants ont essayé de se défendre, mais en face ils étaient beaucoup plus nombreux. Alors ils se sont repliés.» Nassim vit dans un local qu’il a lui-même aménagé. «Regardez l’Algérie de 2016, c’est la même pièce que j’utilise comme chambre, cuisine et toilettes», se plaint-il. Du côté où habitaient les migrants, c’est la désolation. Maisons saccagées, traces d’incendies… Les assaillants ont même démoli des murs et enlevé portes et fenêtres. Difficile de se faire un chemin au milieu des décombres. «Les agresseurs ont volé beaucoup de choses. En plus des portes et des fenêtres, ils ont même volé les affaires des migrants», raconte Nassim en se demandant : «Pourquoi brûler et saccager, si c’est vraiment des représailles contre un seul migrant qui aurait tenté de violer une fille ?». Mardi, la police de la 7e brigade a mis la main sur une marchandise volée le jour de l’attaque contre les migrants. Selon des sources bien informées, le voleur en question est un vulcanisateur qui travaille dans la même cité. Il a caché la marchandise dans son garage. Espoir Les migrants qui ont quitté la cité durant la nuit du vendredi au samedi n’ont pas perdu l’espoir de retrouver leurs affaires volées. Abdulay Aboubaker, 32 ans, est Camerounais. Il travaille dans le bâtiment depuis son arrivée à Béchar depuis deux ans. «La police m’a évacué de la cité le samedi à cinq heures du matin. On était une trentaine de personnes, les derniers à avoir quitté les lieux. J’ai vu les policiers sortir de nos maisons avec nos affaires et ils les mettaient dans le même endroit. Après mon retour d’Adrar où j’ai passé deux jours, je suis allé voir la police pour savoir où étaient passées nos affaires. En vain. Je porte les mêmes vêtements depuis une semaine», regrette-t-il. Mais la question reste posée : pour quelle raison cette attaque a-t-elle eu lieu ? Deux Gabonais qui ont aussi quitté la cité croient savoir pourquoi la cité de l’OPGI a été attaquée et avancent une piste probable. Sous couvert d’anonymat, ils révèlent qu’«il y a un Algérien qui a conclu une affaire de trafic de faux billets avec un Camerounais. L’Algérien a donné des avances au Camerounais, et ce dernier a pris l’argent et s’est enfui. Il n’est resté à la cité que quelques semaines et il est parti. Pour preuve, si la police se rend sur les lieux, ils vont trouver les produits et le papier avec lequel il fabrique la fausse monnaie», et d’ajouter que «ces escrocs font toujours des essais de fabrication de faux billets devant leurs clients afin de les convaincre et de les mettre en confiance». Pour vérifier cette nouvelle donne, nous sommes retournés à la cité pour essayer de trouver des traces de faux billets. Nassim, notre contact à la cité, vient avec nous. Au bout de quelques minutes de recherche, nous avons trouvé des coupures de papier pour faux billets de la même taille que les billets de 2000 DA et des bouteilles en verre contenant un étrange liquide. Selon les deux gabonais, «le papier est trempé dans ce produit afin de finaliser la fabrication des billets ; généralement, ce sont des billets de 2000 DA», concluent-ils. La présidente d’une association féminine à Béchar pointe du doigt les autorités qui ont laissé la situation pourrir. «Avant l’arrivée des migrants, ces lieux, destinés au départ à encourager les jeunes commerçants et artisanats, étaient des lieux de débauche. Ce sont les migrants qui ont tout nettoyé il y a de cela une année. En plus de cela, on ne peut pas les considérer comme des squatteurs car ils payent un loyer entre 6000 et 8000 DA par mois avec un trimestre d’avance. Et maintenant qu’ils sont partis, que deviendront ces lieux ? Bien sûr… des lieux de débauche et de prostitution comme avant», regrette-t-elle.
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