Annoncée pour morte avant même que les gendarmes ne confirment l’identification des ossements, voilà que les circonstances de la mort de la petite Nihal Si Mohand alimentent les écrits des uns et des autres. Chacun va chercher au fond de son imagination l’histoire qui accroche le plus ses lecteurs ou téléspectateurs, sans se soucier de la douleur de la famille et en foulant aux pieds les règles les plus élémentaires de l’éthique. Ainsi, certains journaux vont même jusqu’à clôturer l’enquête sur la mort de Nihal, à la place des services de la gendarmerie ou du juge d’instruction. Sur leurs manchettes, ils affirment que Nihal a été assassinée, ou encore enlevée puis tuée par ses ravisseurs. D’autres vont même jusqu’à identifier son bourreau, révélant son nom et sa photo, en brodant une histoire digne de Psychose d’Hitchcock. Pourtant, sur le terrain, les experts de la Gendarmerie nationale peinent à reconstituer le puzzle de cette affaire, qui a mobilisé plus de 2500 hommes depuis plus d’une dizaine de jours. C’est sur un vaste terrain de 4 hectares, que de nombreux ossements — un peu plus d’un tiers — du corps de la petite Nihal ont été retrouvés éparpillés et les médecins légistes s’accordent à dire qu’ils ne peuvent expliquer les circonstances de la mort et encore moins révéler s’il y a eu assassinat ou non. Certes, Nihal est morte, certainement de la manière la plus violente vu les conditions dans lesquelles ses ossements ont été récupérés. Cependant, à ce stade de l’enquête, personne ne peut affirmer si elle a fait l’objet d’un enlèvement suivi d’assassinat avant d’être la proie d’une meute d’animaux sauvages. L’énigme de cette affaire, faut-il le préciser, est la présence de cette petite fille dans un endroit aussi lointain de son domicile familial. A-t-elle marché jusqu’à épuisement avant d’être attaquée ? A-t-elle été conduite à cet endroit par une personne pour y être tuée puis abandonnée ? Autant de questions dont les réponses ne peuvent être données que par une enquête des services de sécurité, très poussée et certainement de longue haleine. Personne n’a le droit d’attiser la douleur de la famille, déjà terriblement affectée par cette tragédie, et qui jusque-là a été très digne. Cette manipulation médiatique n’est pas isolée. Il y a un peu plus d’une année, la mort tragique du jeune Ramzy Mostefaoui, âgé de 11 ans, au quartier d’El Biar, à Alger, avait suscité un tapage médiatique et les chaînes de TV privées s’empressaient de s’illustrer par des «histoires» plus traumatisantes les unes que les autres jusqu’à valider le scénario d’un crime commis par un quinquagénaire qui aurait tabassé à mort sa victime. Pointé du doigt, jugé et condamné par les mêmes chaînes, «l’auteur présumé» est jeté à la vindicte populaire, au point de susciter des marches de protestation organisées par le voisinage. Les manchettes des quotidiens et les ouvertures des journaux télévisés maintenaient la pression sur l’auteur présumé de ce qu’ils présentaient comme un assassinat, jusqu’à ce que les résultats de l’autopsie ont révélé la vérité. En fait, Ramzy n’a subi aucune violence. Sa mort a été provoquée par une overdose de médicaments qu’il prenait. Bien sûr, le juge du tribunal de Bir Mourad Raïs s’est limité à cette conclusion. Il n’a pas jugé utile de poursuivre l’enquête pour déterminer dans quelles circonstances Ramzy a pu ingurgiter autant de comprimés. La course au «scoop» fait souvent oublier le principe même du métier de journaliste, qui est de donner une information crédible aux citoyens. Malheureusement, cela n’a pas été le cas. La famille de la petite Nihal, qui vivait l’horreur depuis le 21 juillet, s’est retrouvée obligée de sortir de son silence pour exiger des uns et des autres «plus de retenue et de réserve» parce que le sort de sa fille «ne peut être une affaire de commerce» mais «de compassion et de justice». De tels messages sont très lourds de sens, surtout lorsqu’ils émanent d’un père qui, à ce moment-là, n’avait pas de nouvelles de la prunelle de ses yeux. Maintenant que le décès est confirmé, cette même presse trouve un autre «fonds de commerce» en créant des histoires à retenir le souffle pour faire perdurer la douleur de la famille de Nihal et parasiter l’enquête judiciaire, seule habilitée à faire éclater la vérité. Plus grave, certaines chaînes vont violer la loi et l’éthique en utilisant les images d’enfants, déjà traumatisés par cette affaire, pleurant la disparition de Nihal devant les caméras, sans que les pouvoirs publics, notamment l’autorité de l’audiovisuel, ne réagissent.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire