samedi 3 septembre 2016

Les vendanges du raisin de cuve sous de mauvais auspices

Les vendanges du raisin de cuve ont commencé sous de mauvais auspices avec des pertes de production estimées par les spécialistes entre 30 et 50%, conséquence de la sécheresse. Pour d’aucuns, de nouveaux arrachages sont en perspective à la fin des vendanges. Si à la direction des services agricoles (DSA), les mêmes statistiques depuis plusieurs années comptabilisent 8337 ha de vignoble de cuve, tout un chacun sait qu’il n’en est rien. On évalue à 6000 ha environ ce qui subsiste des 60 000 ha de vigne de cuve qui existaient jusqu’à la fin des années 1960 à travers la wilaya. C’est dire si le glas de la vitiviniculture, qui n’en finit pas de retentir depuis une décennie, résonne cette année plus fort. C’est avec une semaine de retard que la vendange a commencé par rapport à celle de la campagne 2015. Les dernières fluctuations atmosphériques de la saison avec des pics de chaleur suivis de brusques rafraîchissements ont sérieusement perturbé la montée en maturité du raisin. C’est surtout le Cinsault, le cépage dominant par la superficie qu’il occupe, qui n’a atteint que péniblement une densité équivalent à un potentiel de 12° alcoolique, le seuil minimum. Le Merseguerra, un autre raisin double fin comme le Cinsault, qui fournit lui aussi du volume au vin, était déjà à maturité. Il l’était avec les deux autres cépages, eux exclusivement de cuve, l’Alicante Bouchet et le Grenache, qui constituent avec les premiers l’essentiel de l’encépagement local. En zone précoce, à El Amria, au nord-est de la wilaya, les deux transformateurs privés dont elle est devenue le fief exclusif sont à pied d’œuvre depuis le 20 août. Visite à la cave détenue par feu Ould Kadi, le premier vigneron algérien disparu il y a un mois. La relève est assurée. Ici, on vinifie à l’ancienne, petite entreprise familiale oblige. On ne transforme que les raisins du domaine familial de 60 ha, soit deux à trois remorques par jour en raison du déficit en main-d’œuvre pour la récolte. Chez Grands crus de l’Ouest (GCO), on est comparativement à l’échelle industrielle. La main-d’œuvre se fait rare On se plaint là aussi des faibles quantités livrées faute de vrais vendangeurs. Ceux qui s’engagent chez les viticulteurs le font en groupe de dix à raison de 10 000 DA pour le remplissage d’une seule remorque puis ils quittent aussitôt le champ. Cela fait que sur nombre de champs, la cueillette entamée vers 6h se clôt deux heures plus tard ! En fait, cette question de la main-d’œuvre se pose avec acuité également pour toutes les cultures pérennes, en particulier l’oléiculture. Chez GCO, pour la vinification,  afin de ne pas être pénalisé par l’indisponibilité de la main-d’œuvre, on s’est mis à l’automatisation que ce soit au foulage ou au refroidissement. L’Office national de commercialisation du vin (ONCV), lui, a ouvert jeudi 25 août pour la réception du raisin son unique mais gigantesque cave viticole de Kéroulis, implantée en zone intermédiaire et tardive. L’opération a commencé en fait par un pied de cuve, c’est-à-dire une première cuve qui, après fermentation, servira de levain après sa répartition entre les autres cuves pour un démarrage rapide de la fermentation lorsque la vinification commencera. L’ONCV n’a pas mobilisé la «grosse artillerie» de la campagne précédente tel le recours à un groupe de froid. Il s’apprête à vinifier à l’ancienne, une technique jugée plus adaptée aux quantités que l’Office espère collecter. Il table sur la captation de 17 000 quintaux de raisin, soit près de la moitié de la quantité vinifiée l’année passée. Mais jusqu’à 9h30, il n’y avait qu’une remorque qui attendait la pesée de son chargement. Est-ce l’indice que l’Office pâtit d’une désaffection des producteurs en raison des difficultés de trésorerie qui l’ont empêché de régler aussi promptement qu’auparavant leurs livraisons ? Pour avoir sur ce plan toujours grillé la politesse à la concurrence, il fait actuellement les frais d’une assassine rumeur qui a détourné une partie de ses partenaires. Mais en définitive, quelles sont les données du problème ? En 2015, la vendange a été bonne pour tous et bien meilleure pour ceux qui ont réussi à tirer une productivité supérieure de leur vignoble. Dans ce cas de figure, la vitiviniculture n’a pas besoin de soutien étatique, elle s’autofinance, contrairement à la céréaliculture. Mais en cas de mauvaise année, c’est la perte sèche. Une aubaine pour les transformateurs ? Si les viticulteurs sont pénalisés, par contre les transformateurs qui réceptionnent leurs raisins, eux, sont les grands gagnants du fait de la concentration du suc. Pour 2016, on s’attend donc à de bonnes, voire de grandes cuvées avec de beaux bouquets. Mais encore, les vins élaborés sous ces auspices peuvent être gardés en cuve de stockage au-delà d’une année, voire deux années, les bactéries néfastes ne pouvant se développer, ce qui permet de voir venir et de ne pas être obligé de livrer le vin en primeur. Pour l’observateur, la question est de savoir pourquoi les transformateurs, secteurs public et privé confondus, ne rétribuent-ils pas la qualité ? Cela amène à penser qu’en ne répercutant pas une partie de leurs profits, ils «se tirent une balle dans le pied» puisque, à terme, la disparition du raisin de cuve est annoncée au regard des arrachages qui se font chaque année. Concernant le privé, cet écueil n’en est pas un puisque certains d’entre eux ont trouvé la parade en important du moût de raisin d’Europe qu’ils vinifient localement. En ce sens, ils participent à maintenir en vie une vitiviniculture étrangère et du travail ailleurs au détriment des intérêts du pays, cela sous le regard complice des autorités. Autre gagnant dans l’affaire, c’est l’Etat qui, sur chaque bouteille de 75 cl perçoit 60 DA au titre de la taxe de circulation ainsi que 17% de TVA. Ainsi, sur une bouteille de 400 DA, il perçoit au final 34% de son prix de vente ! Au bout du compte, le seul qui prend des risques et qui produit de la richesse est perdant ! D’où la poursuite des arrachages de ce qui reste du vignoble. Y a-t-il une solution ? Difficile d’y répondre par un «y’a qu’à...». Cependant, tout spécialiste rappellera que la réalité économique de la vitiviniculture impose, sous toutes les latitudes, une imbrication solidaire entre son amont et son aval, la transformation du raisin en vin étant entre les mains des viticulteurs, sachant que la transformation est autrement plus rémunératrice que la production de raisin. En effet, ailleurs, tout viticulteur transforme son raisin lui-même, seul ou en association avec d’autres viticulteurs au sein d’une coopérative qui mutualise leurs moyens. Le prix de l’hypocrisie politique L’imbrication entre l’amont et l’aval fait que l’un régule le développement de l’autre, le marché, en fonction de la demande, imposant une adaptation de la production à travers soit une réorientation de l’encépagement, soit des techniques d’élaboration des vins. Or, en Algérie, cette relation ombilicale a disparu à l’indépendance. Pour rappel, les 370 000 hectares de vigne qui ont constitué l’assise économique sur laquelle se sont fondées les structures de la société coloniale avaient installé l’Algérie au quatrième rang des producteurs de vin dans le monde, au point d’être le seul pays à disposer de deux sièges au sein l’Organisation internationale du vin (OIV) et que ses exportations de vin rapportaient bien plus que celles de son pétrole ! On a dissocié la viticulture de la transformation en érigeant l’actuel ONCV dans le cadre d’une économie administrée. Mais dans cette décision, il y avait quelque logique au regard des conditions de l’époque puisque l’ONCV était véritablement un office au service de la filière. Or, depuis la démonopolisation, l’ONCV a été transformé en entreprise qui fonctionne sur une toute autre logique, devenant par la suite un groupe. A cet égard, la Tunisie qui, avec le Maroc, ont supplanté l’Algérie en matière de production et d’exportation de vin, a institué un office sur le modèle de l’ONCV primitive, un office que le gouvernement Ennahdha, contrairement à nos islamistes et autres barbéfélène, n’a pas songé à déstabiliser. L’Algérie, qui importe du vin de l’étranger au détriment de sa production, sera-t-elle amenée à en importer du Maroc et de la Tunisie ? Il y a fort à parier que oui.

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