samedi 3 septembre 2016

Le mouvement associatif à l’épreuve du pouvoir

Il n’y aura pas, selon le professeur de droit et journaliste Ammar Belhimer, de société civile ni de développement durable et encore moins de démocratie participative sans un mouvement associatif organisé. Jeudi, s’est ouverte à la ville balnéaire de Tichy, à 20 kilomètres de Béjaïa, l’université d’été du Ras-semblement Actions Jeunesse (RAJ), en présence de représentants de syndicats, dont le Snapap, de dynamiques associations et de jeunes de plusieurs régions du pays. On note aussi la présence de représentants du MDS, du FFS, du PST, de journalistes et d’anonymes. Cette université d’été est dédiée, «en ce 60e anniversaire du Congrès de la Soummam, à la mémoire de tous les combattants et martyrs de la Guerre de Libération nationale, de Abane Ramdane et Larbi Ben M’hidi, visionnaires hors pairs et architectes de la Révolution et de convictions inébranlables». Sous le slogan «Société civile : acteur incontournable du développement», le coup d’envoi a été donné dans l’après-midi sur deux airs de Ali Ideflawen, interprétés par la chorale Cheikh Aheddad de Seddouk et une allocution d’ouverture du président du RAJ, Abdelouahab Fersaoui, qui a déclaré : «La thématique de l’université d’été a pour objectif de relancer le débat au sein de la société dans un contexte où le pouvoir met les bâtons dans les roues du mouvement associatif. D’où la nécessité de s’organiser et créer des synergies pour s’imposer et faire face au rouleau compresseur du pouvoir.» Des conférences, des ateliers, des projections et d’autres activités sont programmées. Le premier jour, les présents ont entendu, en milieu d’après-midi, les professeurs Daho Djerbal et Ammar Belhimer qui ont animé, respectivement, les conférences «Individu et société, citoyenneté et mouvements sociaux» et «Associations et société civile», avant l’installation des ateliers plus tard dans la soirée. Dans la conférence de Daho Djerbal, les mots-clés sont l’individu, le processus d’individuation et la servitude. Dans un exposé de haute facture, le directeur de la revue Naqd détricote le rapport de domination existant entre le maître et le sujet ou l’individu. Aussi bien dans les structures traditionnelles, telles que la monarchie, que dans les structures modernes, comme la République, le processus d’individuation est avorté et même si «le statut d’individu est le plus bas, le maître est perçu comme le sauveur providentiel», car il n’est pas question de rester isolé. Dans les sociétés modernes capitalistes, «il n’y a pas, a affirmé le conférencier, de cohérence interne pour se former» et, dans ce contexte, «la pérennité en dehors du petit groupe, on va la chercher dans des structures plus vastes». Ce qui fait du rapport de servitude un acte «volontaire» servant «de canal de réinsertion des déclassés». A ce propos, Daho Djerbal précise : «Le pouvoir se nourrit de l’usure des structures sociales en les dominant et en en maîtrisant les pôles, en ouvrant les portes aux scories, aux notables, ce sont ces gens-là qu’on trouve à proximité.» Pour étayer ses propos, le conférencier revient sur la désillusion au lendemain de l’indépendance, où l’effort consenti pour s’affranchir du pouvoir colonial et l’aspiration à la démocratie sont partis en fumée avec l’apparition d’un pouvoir postcolonial, après une éphémère période d’autogestion. Retour donc à la servitude avec le FLN qui «s’imposait au peuple algérien pour devenir le parti unique». «Pas de société civile sans association» Dans son intervention, le professeur de droit et journaliste Ammar Belhimer ne voit l’émergence d’une société civile nulle part ailleurs que dans un «processus conscient, ininterrompu, cumulatif d’expérience, d’expression mais surtout d’actions de la part d’entités juridiques de la société (associations, ndlr), qui doivent nécessairement être homogènes et stables». En d’autres termes, il n’y aura pas, selon lui, de société civile ni de développement durable et encore moins de démocratie participative sans un mouvement associatif organisé. «Est-ce que le droit algérien fait obstacle ou favorise ce processus», s’interroge Amar Belhimer. Pour y répondre, le conférencier interroge le réel et met à nu «l’organisation par le pouvoir de cette ex-pression juridique», c’est-à-dire le mouvement associatif, pour ressortir trois marqueurs qui ont jalonné l’évolution du droit régissant les associations ces 20 dernières années. Il s’agit, primo, de la loi 85-15 de 1987 qui semble «un deal entre la société et un pouvoir qui ne pouvait plus distribuer la rente avec le tarissement des ressources pétrolières», car «faute de pouvoir distribuer la rente, le pouvoir distribue les libertés». Le deuxième marqueur est la loi 90-31 de 1990, intervenue dans le prolongement de la Constitution de 1989 et répond «à des préoccupations nouvelles d’affirmation et de garantie des droits de l’homme» qui se sont matérialisées dans une exposition quantitative des associations. Le troisième marqueur est la dernière loi sur la mise en conformité de 2012. Ammar Belhimer s’y attarde et souligne que cette loi correspond «à une réaction de peur de la vague du Printemps arabe». Si le conférencier «apprécie positivement cet instinct de conservation», il déplore l’instrumentalisation de ce «prétexte» dont s’est servi le pouvoir pour rétrécir l’espace d’expression et d’organisation des 81 000 associations activant sur le territoire national. De ce fait, la loi de 2012 constitue un «obstacle majeur» à l’éclosion d’un mouvement associatif, donc à une société civile. Ce verrouillage, dit-il, s’est fait à trois niveaux, qui sont la constitution, le financement et la surveillance des activités des associations «si bien que la mise en conformité est devenue une impossibilité de renouveler le droit d’exister pour la plupart de ces associations». Ammar Belhimer plaide pour l’abrogation de cette loi, «faute de quoi on ne peut pas enclencher un processus de transition entre l’association et la société civile». D’ailleurs, en l’état actuel des choses, cette loi a réduit les champs d’action de beaucoup d’associations, tandis que d’autres ont tout simplement disparu. Un contexte qui fait la part belle aux associations «de collaboration et d’allégeance», à côté d’autres de type administratif, partisan ou, dans une moindre mesure, contestataire, selon une typologie empruntée par le conférencier à un collègue. Pour Ammar Belhimer, cette configuration cache des enjeux, illustrés dans des enquêtes, à l’exemple de celle réalisée récemment par des spécialistes internationaux, révélant que le mouvement associatif en Algérie est essentiellement localisé dans le milieu urbain avec 70% des associations basées en ville, 20% dans les zones semi-urbaines et 7% seulement en milieu rural. Mieux encore, l’enquête révèle que le mouvement associatif est «l’expression des centres-villes avec 62% des associations recensées, ce qui, d’un point de vue sociologique, indique une extrême proximité avec le pouvoir central». Pour le conférencier, les statistiques démontrent «une prééminence d’associations d’allégeance et de collaboration» et «sont, dans leur majorité, le fait des pouvoirs publics qui sont, selon Omar Derras, à la recherche de repositionnement politique». A côté, pour amortir les disparités sociales, il y a des associations à caractère social, dira Ammar Belhimer. Et de finir en soulignant, sur la base d’un rapport du PNUD, «la disproportion entre la part des jeunes (70% de la société) et la part de leur structuration dans le mouvement associatif, avec seulement 1027 associations sur les 81 000».           

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