Ce barrage est une bénédiction pour certains, mais pour nous, c’est plutôt une malédiction», lâche Salim, cadre administratif de la commune de Zbarbar. De fait, le barrage de Koudiat Acerdoune, gigantesque ouvrage hydraulique construit sur l’oued Isser, à l’ombre du massif de Zbarbar, n’est pas vu d’un bon œil par les habitants de la région, en particulier les agriculteurs. Et pour cause : le mastodonte de béton aurait carrément bouleversé l’écosystème local. «L’agriculture est morte depuis qu’ils ont construit cet ouvrage. Moi-même j’étais agriculteur avant de me convertir dans l’administration», explique Salim. «Le barrage a submergé nos terres. La source principale de subsistance de la population initiale de Zbarbar est l’oued Isser. Les autochtones de la région étaient établis sur les rives de l’oued. La fraise était l’une des cultures les plus florissantes de la région. Même pendant la Décennie noire, on la cultivait encore. Toute l’économie de la région dépendait de l’oued. Et les villages agricoles qui ont été créés dans cette zone, que ce soit à Zouabria ou bien à Aïn El Beida, ont été construits autour de l’oued. Depuis l’arrivée du barrage, l’activité agricole a périclité. Les meilleures terres ont été ensevelies et il ne reste que les terres en zones montagneuses et elles ont besoin de moyens pour être exploitées. Elles sont situées dans des reliefs accidentés. Or, il n’y a pas de programme d’aide pour le développement de l’agriculture de montagne», ajoute Salim. Les rares activités encore viables dans la région sont principalement l’aviculture et dans une moindre mesure, l’apiculture et l’oléiculture. Mourad, un jeune agriculteur passionné rencontré à la lisière du barrage, en contrebas du village de Zouabria, s’accroche crânement à son arpent de terre. Casquette vissée sur la tête, il vaquait à l’entretien de son champ de patates, aidé par ses enfants. Son jardin est le seul qui émerge à plusieurs hectares à la ronde, au bord d’une piste qui descend du village et qui se termine en cul-de-sac. Au milieu de ces bosquets touffus cernés de crêtes verdoyantes, notre paysan solitaire nous donne le sentiment d’être le dernier habitant d’une île déserte. «Nous avons perdu une bonne partie de nos terres à cause du barrage. On nous a imposé une indemnisation dérisoire et on n’avait pas le choix. On avait des terres en bas, aux abords de l’ancien oued, qu’ont longtemps cultivées mon père et mes frères. Maintenant, il n’en reste plus grand-chose.» Son lopin de terre se prolongeait jusqu’au fond de la vallée, dit-il. A présent, il en reste à peine deux hectares qu’il s’échine à préserver. «Avant, l’activité était beaucoup plus animée autour de l’oued. Les gens faisaient aussi de l’élevage, il y avait des troupeaux de chèvres qui paissaient par là. C’était plus vivant, il y avait de l’ambiance. Aujourd’hui, c’est mort», témoigne notre ami. Un véhicule utilitaire stationné devant la petite exploitation agricole est chargé de cageots de pomme de terre. Mourad n’est pas peu fier de sa récolte. «On vient de faire aussi la cueillette des tomates. On a fait également du poivron doux, maintenant, on va planter des haricots verts, du chou-fleur et du fenouil», détaille le jeune fellah avec enthousiasme. Mourad n’a qu’une hantise : l’irrigation. «On ne profite pas de l’eau du barrage. Ça nécessite une pompe hydraulique. Moi, je puise dans les sources naturelles. C’est très difficile de trouver l’eau par ici. J’ai dû installer des dizaines de tuyaux pour mobiliser l’eau des sources», confie-t-il en désignant un long réseau de canalisations. «Tous les jours, c’est un combat, wech eddir ?» sourit-il. Mourad n’a reçu aucune aide de l’Etat. «Ils donnent à ceux qui ont beaucoup de terres, des bassins…et ceux qui prétendent que leurs récoltes ont été brûlées», glisse-t-il malicieusement, avant de préciser : «Mais on n’attend rien de personne. Du temps du terrorisme, nul ne s’aventurait par ici. On vaquait à nos affaires dare-dare et on quittait nos champs au milieu de l’après-midi. Maintenant, je reste ici jusqu’au soir avec mes enfants, il n’y a rien à craindre, rahmate rabbi.» Erigé sur le lit de l’oued Isser et d’une capacité de 640 millions de mètres cubes, le barrage de Koudiat Acerdoune est le deuxième plus grand ouvrage hydraulique du pays après celui de Béni Haroun, dans la wilaya de Mila. Il a été mis partiellement en service en 2010 avant d’être inauguré officiellement par Sellal le 16 janvier 2014. Selon la fiche technique du barrage publiée par le ministère des Ressources en eau à l’occasion de son inauguration, le barrage de Koudiat Acerdoune devrait alimenter 1,5 million d’habitants répartis sur les wilayas de Bouira, Médéa et M’sila. 390 km linéaires de conduites assurent l’acheminement du précieux liquide, assistées de 13 stations de pompage et 18 réservoirs. Le barrage devrait en outre irriguer 19 000 hectares dans la Mitidja-Est et la plaine des Issers.
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