Mercredi matin, cinq jeunes hommes se sont réveillés avec la ferme résolution de pousser le wali de Ouargla à sortir de son bureau. Depuis trois jours, ils dormaient là, entamant même une grève de la faim la veille. A 8h15, devant le regard incrédule des agents débutant leur journée de travail, ils se mutilent les bras au couteau avant de se passer des cordes à leur cou, suspendues au portail en fer. Salem, lui, n’a pas supporté la douleur. «Il s’est effondré en silence», témoigne son camarade Salah. Son sang coulait sur le trottoir où il est resté étendu plus d’une demi-heure jusqu’à l’arrivée de l’ambulance de la Protection civile pour l’évacuer vers l’hôpital Mohamed Boudiaf. Ses jours ne seraient pas en danger. Aussitôt informées, les forces de l’ordre ont accouru pour placer un véhicule antiémeute. Des officiers ont essayé de raisonner les chômeurs : «Arrêtez de vous faire du mal, nous n’avons rien contre vous, mais pourquoi vous blesser jusqu’au sang ?» Aucune réponse en face. Des journalistes prenaient des photos en silence eux aussi. Une gradée de la police à l’air affable s’est tournée vers eux : «Pourquoi prenez-vous des photos de ces personnes en détresse ? Pourquoi assombrir l’image de Ouargla ? Ce sont nos enfants et nous voulons les aider.» La réponse n’a pas tardé à fuser : «Pourquoi les laisser se suicider pour intervenir ? Est-ce à la police de le faire ?» Pas de réponse de la police, seule la voix d’un des chômeurs s’adresse à la presse : «Montrez nos photos au monde, ils sauront que Ouargla qui donne du travail à tous est le cimetière de ses propres enfants.» Alors que quatre chômeurs de Touggourt encourent des peines d’emprisonnement suite à leur inculpation, mardi, pour «tentative de suicide», «menace d’un commis de l’Etat», «obstruction de la voie publique», «constitution d’un groupe de malfaiteurs» et «tentative d’incendie d’un camion d’hydrocarbures», les cinq chômeurs de Ouargla ont été auditionnés jusqu’en fin d’après-midi, mercredi, avant d’être relâchés. Tard dans la soirée, un camion antiémeute s’est posté bien en évidence en lieu et place de leur literie. Faux chiffres, faux espoirs ? Dans une intervention-bilan devant le ministre du Travail en visite à Ouargla en 2015, le directeur de l’emploi de cette wilaya pétrolière s’est félicité de «la hausse exponentielle du nombre de chômeurs locaux placés au niveau des entreprises nationales et étrangères exerçant à travers les cinq bassins pétroliers de la wilaya de Ouargla, à savoir Hassi Messaoud, Hassi Berkine, Haoudh Berkaoui, Haoudh El Hamra et Gassi Touil». Mohamed Guergueb atteste de l’existence de 14 914 demandes d’emploi enregistrées au 31décembre 2015 pour une offre globale de plus de 19 000 postes. Son bilan fait état de 10 054 candidats installés dans les sociétés pétrolières durant le même exercice. Il a soutenu en outre que «le bilan des nouveaux salariés inscrits à la CNAS est nettement supérieur à celui des travailleurs placés par l’ANEM durant les trois derniers exercices». Diagnostiquant un «problème organisationnel» pour expliquer «le malaise récurrent des chômeurs, dont certains sont refoulés alors qu’il sont porteurs de bulletins dûment avalisés par l’administration», le directeur de l’emploi de Ouargla a officiellement demandé à sa tutelle d’appuyer une démarche proposée par la commission de l’emploi instaurée au lendemain de l’instruction du Premier ministre en mars 2013, «pour régler définitivement le problème de réception, de gestion et de prise en charge des chômeurs». La solution toute trouvée est «d’impliquer exclusivement, et à titre personnel, les directeurs des ressources humaines des entreprises pétrolières et le directeur de l’agence de wilaya de l’ANEM dans la réception et le traitement des offres et des candidatures». Ce dernier est pointé du doigt, accusé de déserter son bureau, d’avoir proféré des menaces publiques à l’encontre des chômeurs à qui il aurait proposé de «ramener lui-même de l’essence pour s’immoler». Autre son de cloche à l’ANEM, où les agents barricadés derrière des guichets en fer appréhendent tout dérapage. «Nos efforts ? Ils sont complètement anéantis par ces scènes horribles de chômeurs qui s’infligent une auto-torture répréhensible», dit H.T., agent qui a requis l’anonymat. Bilan des courses : «Je songe sérieusement à quitter mon job, c’est devenu une tare que de travailler ici, j’y ai pourtant aidé des centaines de personnes. Le malheur c’est qu’il y a de plus en plus de personnes sous-qualifiées qui s’inscrivent chez nous, il y en a beaucoup qui veulent tout le temps changer de boîte, ils réclament des salaires plus attractifs et un travail moins pénible.» Les anciens militants du Mouvement des chômeurs de Ouargla, de leur part, viennent de lancer un appel à une manifestation commémorative des émeutes de mars 2004, «une melyounia qui rendra hommage aux milliers de chômeurs dans la rue depuis douze ans», nous dit Lakhdar, un des leaders de la première manifestation de chômeurs qu’a connue Ouargla.
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