Poursuivis en France pendant 16 ans pour «tortures» et «actes de barbarie» commis lors de la décennie noire en Algérie, les deux frères Abdelkader et Hocine Mohamed, anciens Patriotes de Relizane, ont finalement bénéficié d’un non-lieu en janvier dernier par la cour d’appel de Nîmes. A la faveur d’un court séjour en Algérie, El Watan Week-end a rencontré Abdelkader Mohamed. - La justice française a prononcé, le 19 janvier dernier, un non-lieu en votre faveur, seize années après le déclenchement de votre affaire. Quels sont les éléments qui ont motivé la décision ? C’est surtout le manque de preuves matérielles. Les plaignants n’ont présenté aucun certificat médical, ni plainte ni rapport de la police. Lors de l’examen des dossiers, le juge d’instruction a estimé que ces derniers étaient vides. Même le gendarme qui a été présenté comme témoin direct n’avait pas de preuve tangible. Comment se fait-il qu’une personne qui aurait été torturée, comme elle le présume, pendant 21 jours n’a pas de certificat médical ni même de séquelles ? Cet individu ose accuser mon frère d’être présent ce jour-là avec les services secrets (DRS) alors qu’il n’avait pas le droit d’entrer dans leur institution. La décision de notre acquittement nous a redonné beaucoup d’espoir. Nous sommes passés par une épreuve très dure que je ne souhaite à personne. Le procureur lui-même avait dit à l’avocat des plaignants, Me Patrick Baudoin, président d’honneur de la FIDH et avocat, entre autres, des familles des moines de Tibhirine, qu’il allait droit dans le mur avec un tel dossier. - Mais vous aviez été placés quand même sous contrôle judiciaire pendant dix ans… La justice française ayant permis aux plaignants de regrouper les preuves suffisantes, procédure qui a pris malheureusement énormément de temps. Mais il n’y avait pas que ça. Nos premiers avocats n’ont pas fait correctement leur travail. Aucun d’eux n’a demandé par exemple à voir notre dossier judiciaire. Ils n’étaient intéressés que par les médias, car notre affaire était surmédiatisée en France. La presse française nous a longtemps qualifiés de violeurs et d’assassins. Heureusement que maître Khadidja Aoudia est intervenue pour reprendre les choses en main en mai 2013. C’est elle qui a sorti notre dossier du tiroir. Elle a carrément changé de stratégie de défense, ce qui nous a permis d’obtenir la main levée du contrôle judiciaire qui a duré 10 ans. - De quelle stratégie parlez-vous ? La réponse est simple. Seule maître Aoudia a compris que notre affaire était d’ordre politique. Il a fallu donc la traiter ainsi et apporter les éléments qui expliqueraient à la justice française que nous avons été poursuivis par le père d’un ex-émir du GIA à Relizane, Mohamed Smaïn, qui prétendait être un défenseur des droits de l’homme, et les familles d’anciens terroristes. Le problème était, donc, idéologique, entre islamistes et ceux qui ont fait partie des corps militaire et paramilitaire, qui étaient au front contre l’islamisme et le terrorisme qui ont ravagé le pays. - Comment passer du statut de «héros nationaux» en Algérie à celui de «criminels» en France ? Une pure injustice, rien d’autre. Pour tout vous dire, nous ne nous sommes jamais proclamés en tant qu’héros, car nous n’avons accompli que notre devoir envers la patrie. Mais je ne vous cache pas que jamais nous n’avons pensé être poursuivis pour avoir lutter contre le terrorisme. Les islamistes ont tout fait pour régler leurs comptes avec l’Etat et les militaires en nous utilisant comme bouc émissaire. Il y a aussi le cas de Me Baudouin qui a assouvi son appétit, car il en veut aux militaires algériens qu’il accuse d’être derrière l’assassinat des moines. C’était donc une occasion en or pour lui pour rebondir. D’ailleurs, il a passé durant la dernière audience, quand nous avons été acquittés, à ne parler que des militaires algériens et de l’affaire des moines. Il était complètement hors sujet. Il n’a prononcé nos noms que deux fois à la fin de sa plaidoirie. Quant au cas de Smaïn Mohamed, la cour d’appel a rejeté sa constitution en tant que partie civile car il n’a pas le statut de victime. C’est lui qui a monté ce dossier avec l’aide de la FIDH. - Comment avez-vous passé ces dix années sous contrôle judiciaire ? Nous avons été harcelés par la presse française et suivis partout où nous allions. Mais je vous avoue que ce n’était pas un problème pour nous, les adultes, mais ce sont nos enfants qui ont le plus encaissé. Ils étaient traités de tous les noms par leurs camarades à l’école. Fils d’assassins et de tortionnaires et j’en passe. Qu’ont-ils fait pour mériter un tel sort ? Nous avons été obligés de déménager à plusieurs reprises. Nous n’avions pas d’autre choix que de leur faire changer d’école. Certains de nos enfants ont carrément quitté les classes. Heureusement que nous avions eu le soutien de nos voisins et de nos collègues de travail. Mais ce qui nous a fait le plus mal est que nous avons été empêchés de revoir notre père mourant. Il est mort sans que nous ayons pu lui parler une dernière fois. La justice avait peur qu’on se venge des plaignants une fois en Algérie, ce qui était absurde. Si j’avais voulu me venger, je l’aurai fait contre les deux terroristes qui ont assassiné mon frère, Mohamed, DEC à Sidi M’hamed Benaouda à l’époque. Ils sont aujourd’hui libres, riches et profitent bien de l’argent du peuple. L’un d’eux est devenu directeur de l’agence foncière à Oued Rhiou et l’autre est commerçant fortuné profitant des avantages offerts par l’Etat. Mohamed n’est pas le seul. Mon cousin policier aussi, sans parler des menaces de mort que nous recevions quotidiennement. Mon père a échappé à des tentatives d’assassinat à plusieurs reprises. Nous avons tout fait pour venir et assister à son enterrement, en vain. La justice ne nous a accordé qu’une semaine mais c’était après les funérailles. - Des membres de partis de gauche, des GLD, des gradés communaux, des Patriotes et des victimes de terrorisme vous ont soutenus dans cette épreuve. Qu’avez-vous à leur dire aujourd’hui ? Ils sont eux aussi visés, car nous avions tous le même combat. Nous avons été traités de tous les noms, allant jusqu’à dire que nous étions les larbins de l’armée, alors que nous ne faisions que notre devoir. Qu’ils fassent attention à eux. Nous avions repris le combat de nos aïeux qui ont libéré le pays, mais nous avons été délaissés comme cela a été leur cas aussi après l’indépendance. Beaucoup de compatriotes qui ont combattu le terrorisme vivent dans la misère. Et j’ai vu beaucoup de terroristes devenus milliardaires, indemnisés et promus, avec tous les avantages que leur garantie la charte pour la paix et la réconciliation nationale. Cela me fait vraiment mal. Il faut absolument corriger l’erreur. Les autorités algériennes doivent soutenir les familles de tous ceux qui ont combattu le terrorisme. Cette charte devait être élaborée pour reconnaître nos sacrifices, nous prendre en charge et non pour profiter aux terroristes. - Votre cas sert-il d’exemple pour l’avenir ? La jurisprudence européenne permet des poursuites judiciaires de ce genre, ce qui me pousse à poser la question suivante : que faire pour rendre justice à tous les corps sécuritaires et les citoyens algériens qui se sont sacrifiés pour la sauvegarde de la République ? Il est temps de redonner considération à tous ces gens-là. Le pouvoir algérien qui privilégie aujourd’hui les assassins doit se ressaisir. - La FIDH a fait appel de la décision du non-lieu… Oui, mais nous restons confiants. Je remercie tous ceux qui nous ont soutenus et je pense en particulier à notre avocate, aux Patriotes de Relizane, à leur tête Hadj Fergane, et à ceux de Sidi M’hamed Benaouda, qui ont toujours cru en nous. Nous allons tenir jusqu’au bout.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire