samedi 27 février 2016

«Quand le syndicat absorbait les attentes du peuple»

D’abord, la première question qui nous vient à l’esprit, pourquoi avoir choisi ce thème, celui des travailleurs, pour vous lancer dans la recherche historique ?   C’est une question qui va me permettre de m’aventurer dans un «langage» que je n’ai pas encore tenu, dans mes précédents écrits, si ce n’était que quelques allusions que je «balançais» par-ci, par-là, pour nous «reprendre» ou pour nous «culpabiliser» mutuellement, c’est selon. Je dis nous, parce que je ne veux pas jeter l’opprobre sur les autres, sachant que je suis un produit du système et, qu’à ce titre, j’assume entièrement certaines situations que nous n’avons pas su, en leur temps, négocier convenablement. Celles-ci nous sont comptées, devant la société, comme des échecs dans nos bilans. Ceci dit, avoir choisi ce thème aujourd’hui n’est pas carrément une expérience que je tente, ou quelque chose que je décide sur un coup de tête, c’est plutôt une position réfléchie devant la situation difficile que vit le pays et qui exige de nous, de tous les travailleurs et les citoyens de ce pays, de se retrousser les manches et d’ajouter de l’huile de coude pour arriver à dépasser nos difficultés. Vous donnez beaucoup de noms et une somme appréciable de faits et d’événements ; est-ce une façon d’informer, de sensibiliser et d’éduquer les lecteurs sur ce qu’a été le syndicat depuis plus d’un siècle ? En effet, et la réponse est en partie dans votre question. Mais laissez-moi m’étaler un peu pour exprimer clairement les motivations de cette forme d’écriture qui, au demeurant, est en usage chez d’autres auteurs qui veulent aller dans la précision. Ils ont raison et, si je me compare à eux, je dois me convaincre que j’ai aussi raison… Alors, je vous dis, pourquoi ne pas aller loin, dans un ouvrage pareil, quand il faut relater aux travailleurs et même à leurs responsables des faits et des événements, comme vous le signalez, et qu’ils ne connaissent pas du tout ? Je pense que d’aucuns parmi les syndicalistes n’étaient au courant de l’histoire de la mine de Timezrit et l’héroïque action de 1952 de ses mineurs de fond, quand ils ont osé défier l’autorité française en menant à terme leur fabuleuse grève de neuf (9) mois d’affilée, suivie d’une marche sur Sidi Aïch… Et ce langage n’est pas une provocation, loin s’en faut, parce que ne n’est pas de leur faute. Ainsi donc, ces grévistes, au nombre de 700, ont été entourés d’une solidarité sans faille de la part des commerçants de la commune pendant les neuf mois, de même que d’un mouvement d’aide international. J’en parle avec détail dans plusieurs pages de mon ouvrage. Un autre exemple qui, cette fois, est sanglant, suite à un événement raciste, d’une rare violence, qui a fauché des travailleurs algériens qui sortaient, Place de la Nation, en 1953, pour manifester dans le calme et la dignité. Ces manifestants scandaient «Non au colonialisme !», «Nous voulons l’indépendance !»... Les policiers français ont riposté ; résultat : 7 morts, six jeunes ouvriers algériens et 44 blessés graves. Parmi les morts, il y avait un métallurgiste français, syndicaliste CGT. Ces événements sont tellement chargés d’émotion qu’il faudrait les situer dans leur contexte politique pour raconter, aux jeunes d’aujourd’hui, les sacrifices de nos travailleurs syndicalistes qui ont toujours payé un lourd tribut à la lutte pour l’indépendance de l’Algérie. Concernant cette multitude de noms dont vous parlez, effectivement j’en donne assez pour expliquer que notre syndicalisme combattant a eu de grandes figures de proue. De Mustapha Saâdoun à Ali- Khodja Mohamed, à Badsi Mohamed, à Aïssat Idir, aux frères Bourouiba, aux frères Gaïd, à Zioui, Drareni, Pierre Chaulet, René Marcel Cazala, Rabah Djermane, Ali Yahia Abdenour et autres Amar Bentoumi ou Nassima Hablal et Rahmoun Dekkar, cet ouvrage donc est là pour informer, sensibiliser et éduquer, parce qu’il raconte le mouvement syndical, depuis sa création au XIXe siècle, jusqu’à l’indépendance de l’Algérie. Le lecteur aura ainsi une idée précise sur la vie endurée par les Algériens en général et les travailleurs en particulier. Il saura que les combats menés de part et d’autre de la Méditerranée n’ont pas été de tout repos. Il n’est qu’à rappeler que c’était sur le sol français que le mouvement national avait été créé par des travailleurs algériens, et à leur tête Messali Hadj. Ainsi, ces travailleurs avaient forgé leur lutte au contact des ouvriers français, regroupés au sein de la CGT, CFTC et autres FO. Au fil du temps, ils s’étaient envolés de leurs propres ailes au point de constituer, en 1924, leur propre organisation syndicale, la CGTU qui alliait les revendications sociales à celle de l’indépendance de l’Algérie. Là, j’ai bien montré combien, dans l’esprit du travailleur algérien, le social ne s’était jamais séparé du politique. Mieux encore, il ne détachait pas ses combats de ceux engagés par ses frères «orientaux», comme ce fut le cas de la création, à Haïfa, en 1926, du premier syndicat par cet Algérien, Mahmoud Latrèche. J’ai bien fait de rappeler cet épisode pour mieux mettre en évidence le fait que malgré la politique française de dépersonnalisation, les travailleurs algériens demeuraient enracinés dans leur identité. Sur le plan national, je fais revivre les conflits qui ont secoué le monde du travail tout le long de son Histoire. Je mets en relief la grève des dockers d’Oran et leur amplification à toute l’Oranie, celles qui avaient atteint Oran, Sidi Bel Abbès, Bougie, Djidjelli, Philippeville (Skikda), Bône (Annaba), etc. Le monde rural n’avait pas été épargné puisque les ouvriers agricoles avaient déclenché des grèves, entre autres dans la Mitidja, dans la vallée de la Soumman, à Azzaba, anciennement Jemmapes, qui avaient été réprimées dans le sang. Ces grèves, aux diverses revendications, couvraient la quasi-totalité des corporations comme celles des postiers, des cheminots, des banques, des traminots, des mineurs de Kenadza et du Kouif, etc. De toute façon, cet ouvrage est essentiel, parmi tant d’autres qui expliquent la lutte du peuple algérien, notamment celle des travailleurs, à travers le temps. Peut-être une dernière question pour vous poser le problème du timing. Pensez-vous que la sortie de cet ouvrage, un 24 février, est plus significative que lors de la commémoration de la Fête des travailleurs, le 1er mai ?   Ça aurait été mieux, peut-être…, et je ne trahirai pas un secret en vous disant que pareille proposition m’a été faite par des amis qui avaient leurs raisons…, encore peut-être. Tout en les respectant et tout en appréciant leur offre, je me suis convaincu que «le 24 février est notre journée, pas celle des autres», parce que le 1er mai est une fête universelle où tout le monde s’y trouve, les colonisés et les colonisateurs, les exploités et les exploiteurs, les asservis et les asservisseurs. D’ailleurs, je n’ai pas la mémoire courte, puisque dans un de mes ouvrages j’ai relevé que le 1er mai 1945, à Alger, quatre (4) jeunes algériens sont tombés le drapeau déployé, Ghazali El Haffaf, Ahmed Boughlamallah, Abdelkader Ziar et Abdelkader Kadi. Leur tort c’est d’avoir manifesté pour l’indépendance de l’Algérie. Mais vous allez me dire que ça, c’est de l’Histoire… Passons. Ainsi, pour moi, le 24 février, en Algérie, est ce jour où des patriotes, armés de volonté et de courage, se sont donné le mot pour se libérer des syndicats français et voler de leurs propres ailes, dans l’ambiance militante d’une Centrale purement nationale qu’ils ont appelée l’UGTA. Il y avait en ce jour mémorable dans la demeure des Bourouiba, du Abbane Ramdane, du Benkhedda, du Aïssat Idir et du Chaulet. Un concile détonnant pour procéder à l’érection d’un monument d’organisation, qui allait orienter les travailleurs et les canaliser dans cette fournaise de la guerre de Libération nationale. Le 24 février est pour moi – et pour nous tous, j’espère – ce jour mémorable où l’Algérie, par la bouche de son premier magistrat, annonçait, à qui voulait l’entendre, qu’elle décidait de se libérer des cartels et trusts impérialistes, en assurant le contrôle véritable des richesses de son sol et de son sous-sol. Alors, c’est pour cela que j’ai tenu à ce que cet ouvrage paraisse ce 24 février, une date désormais significative, qui a un sens déterminé, qui est en elle-même une pensée et une volonté.

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