- Vous avez déclaré que le taux de déperdition scolaire à Illizi, dans les trois paliers scolaires, est supérieur à celui au niveau national. Quelles seront les mesures qui seront entreprises par votre département pour accompagner les autorités locales ? Le taux de déperdition au niveau de la wilaya d’Illizi est extrêmement élevé, on le dit en toute franchise. Il dépasse les taux nationaux. Ce qui nous inquiète le plus, c’est le taux de déperdition très important au niveau du primaire, et là il y a des conditions particulières. Par exemple, vous avez les enfants de nomades, pour lesquels nous préconisons des classes mobiles. Il faut adapter des démarches particulières et là, pour les élèves qui quittent de manière précoce, des élèves qui, eux, ne sont pas enregistrés dans le taux de scolarisation, il faut absolument que la direction de l’Education puisse, avec ses équipes à l’échelle de l’établissement, à l’échelon local, aller à leur recherche. Il faut quitter les bureaux, sortir de la routine. Nous devons faire un travail en termes de sensibilisation. Il y a aussi toutes les autres parties, je pense notamment au ministère des Affaires religieuses, à travers les mosquées où il peut y avoir une sensibilisation. Un travail de sensibilisation et aussi d’imagination en termes de solutions pédagogiques. Ainsi que la remédiation pédagogique et la pédagogie différenciée. Devant un échec répété, l’enfant se dit : ‘‘moi, je ne suis pas fait pour l’école’’. Il intègre cette idée dans sa tête et sort de l’école volontairement alors qu’il a le droit d’y rester jusqu’à l’âge de 16 ans. Mais c’est lui qui s’auto-évalue par rapport aux échecs répétitifs. Nous sommes en train, notamment à partir d’une circulaire sur le système d’évaluation, de prendre en charge les élèves en déficit en matière de résultats. Ces élèves-là doivent être pris à part et il faut qu’il y ait une véritable politique de remédiation. Elle devrait se faire sur la base d’une réflexion à l’échelon local avec des équipes de travail pour trouver des solutions adéquates. Vous voyez, l’enseignement est un monde où il y a de la discipline et des circulaires, mais il y a aussi une marge de manœuvre extrêmement importante pour l’enseignant parce qu’il est le seul maître à bord lorsqu’il est dans la classe. Donner envie aux élèves de s’investir relève de la responsabilité d’un enseignant qu’on doit accompagner. - Le lycée Mohamed Boudiaf de la commune de Bordj Omar Driss, à 700 km au nord d’Illizi, menace ruine comme vous l’avez constaté. Quelle est la solution qui sera entreprise pour faire face à cette situation préoccupante, sachant que le projet d’un lycée de remplacement a été gelé ? Il est vrai que certains établissements construits depuis longtemps et qui n’ont pas connu de réhabilitation doivent l’être. C’est absolument fondamental et l’orientation que j’ai donnée à tous les directeurs de l’éducation concerne justement ces établissements loin des yeux. Ils doivent se déplacer de manière régulière dans les différentes communes et tenir des réunions avec les chefs d’établissement pour prendre en charge ces aspects-là. Aujourd’hui, bien évidemment, on est dans des conditions économiques particulières, le traitement n’est pas le même, aussi nous incitons tous les directeurs de l’éducation avec le concours des autorités locales ainsi que la société civile à travailler de concert. - Vous voulez dire que l’Etat demande l’aide des citoyens ? Dans certaines wilayas, j’ai trouvé des bienfaiteurs qui nous ont aidés. Et aujourd’hui, faire appel à la société civile et à la bienfaisance n’est pas une honte, au contraire, ceci témoigne de l’intérêt croissant de la société civile vis-à-vis non seulement de la préservation, mais de l’amélioration des conditions de nos élèves. Si le souci premier est d’arriver à avoir une population scolaire avec le niveau souhaité, cela nécessite une collaboration, une participation et une gouvernance de proximité où tout un chacun a sa place, même si on sait que pour les affaires pédagogiques il y a des instances chargées de cela. L’entretien d’un établissement, une chose basique à mon sens, est l’affaire de tous. J’ai visité des établissements où c’est la directrice avec ses propres enfants et ses moyens personnels qui ont réussi à repeindre. Donc, il faudrait que la solidarité sociétale puisse là aussi trouver sa place pour cet objectif d’aller vers une école de qualité. Et très honnêtement, aujourd’hui s’il n’y a pas cette solidarité, à mon sens, on aura du mal à trouver des solutions. - Pour le volet pédagogique, ce même lycée a d’autres problèmes. Il ne dispose pas d’une filière de langues étrangères et une grande partie des élèves qui ont pu décrocher leur bac connaissent un échec dès la première année universitaire… L’enseignement des langues étrangères, particulièrement au lycée, est le résultant d’un itinéraire et d’un parcours. Si le niveau est faible au lycée, c’est l’insuffisance dans le parcours scolaire de l’élève qui est en cause. Elle a au moins trois niveaux : le premier est la formation de l’enseignant, aujourd’hui les sortants directs des universités sur certaines disciplines ont des insuffisances. Donc, il y a un fort besoin d’accompagnement dans le cadre de la formation continue. Second problème, le niveau d’exigence tel qu’inscrit dans le cadre des programmes qui ne correspond pas à la réalité de la place qu’occupent les langues étrangères dans notre pays. C’est bien des langues étrangères dont il s’agit et il faut que les programmes et les manuels scolaires traitent de cet enseignement comme une langue étrangère. Cela permettra d’avoir un niveau d’exigence qui puisse correspondre au niveau exigé. Le troisième point est l’absentéisme et particulièrement dans les wilayas du Sud. C’est un facteur prépondérant dans la baisse du niveau. Quand on sait qu’ils rentrent tard, quand on sait qu’ils sortent tôt, quand au milieu vous avez des perturbations, tout cela fait qu’au lieu d’avoir des élèves qui font entre 32 et 36 heures de cours effectifs, ils n’en font que 24 ou 28. Donc, il n’y a pas d’étonnement à avoir cette baisse. - Mais quelles sont les mesures que vous avez prises ? Pour résoudre en partie cette question, nous avons suggéré aux directeurs de l’éducation, et face à la demande de nombreux de députés pour l’adaptation du calendrier scolaire à la réalité climatique du sud, j’ai répondu en toute clarté nous ne voyons aucun inconvénient à ce qu’il y ait des calendriers différenciés. Seulement, ce n’est pas une décision administrative, c’est mon unique exigence et j’ai renvoyé la balle aux directeurs de l’éducation pour atteindre un consensus avec la société locale. Lorsqu’il y a consensus, il n’y a aucun problème à partir du moment où le programme est commun, les examens nationaux sont communs et le système d’évaluation est commun. Si le calendrier fonctionne par rapport aux conditions locales, il est fort évident qu’y compris au niveau de l’enseignement des langues étrangères il faut avoir des initiatives particulières. Mobiliser des retraités, également des gens qui ne sont pas forcément des enseignants parce que la maîtrise des langues étrangères n’est pas simplement écrite, elle est orale, il faut apprendre des chansons, il faut écouter, regarder une émission, en parler. Donc, lorsqu’on innove dans la pratique pédagogique, on habitue l’oreille à la musique, aux poèmes, au théâtre, à regarder un film et parler d’histoire. Ce sont des opportunités réelles que je demande d’explorer pas seulement pour les langues étrangères, mais aussi pour la langue arabe. La maîtrise des langues passe par l’usage notamment d’activités culturelles qui puissent amener à apprendre autrement. L’enseignant finit par donner envie, il faut faire aimer l’école. Et faire aimer l’école aux élèves, c’est garder la dimension de la discipline et s’autoriser via des activités ludiques et culturelles à faire cette ouverture sur le pays, sur la localité et sur le monde.
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