Consultant polyvalent dans les technologies civiles et militaires, le docteur Mohamed Belhocine revient dans cet entretien sur les marchés de l’armement et la corruption dans le domaine militaire. Il évoque aussi l’absence de contrôle politique sur les dépenses du ministère de la Défense, dont le budget est passé de 2,5 milliards de dollars en 2008 à 13 milliards de dollars en 2015. Le budget du ministère de la Défense vient en 1re position avant l’Education et l’Intérieur, alors que la gestion de cette manne échappe au contrôle politique. Peut-on connaître votre avis ? L’embellie financière qu’a connue le pays a été profitable à tous les secteurs et surtout à l’armée. Mais la surliquidité s’est vite érodée. Au lieu de gérer cette aubaine comme un bon père de famille, le régime s’est amusé comme une cigale dispendieuse à la jeter par les fenêtres, en manipulant l’économie pour produire des rentes. Des fortunes considérables ont poussé comme des champignons sans rationalité et assise économiques. Ajouté à cela la mauvaise allocation des ressources, les gaspillages, les marchés octroyés de gré à gré, les surcoûts considérables sur des projets, le non contrôle des prix internationaux, etc. Nos recettes des hydrocarbures cumulées en 17 ans pleines ont atteint presque les 1300 milliards de dollars (et non 800 milliards de dollars comme veut nous le faire avaler la doxa officielle). Imaginez que l’Algérie développe des projets industriels d’une valeur de 10 millions de dollars chacun. Avec 1300 milliards de dollars, nous aurions dû créer 130 000 projets sur l’ensemble du territoire national. Chacune des 1500 communes aurait dû bénéficier de 87 projets. Pour créer un poste d’emploi hautement qualifié, il faut 200 000 dollars. Chaque projet aurait pu créer 50 emplois qualifiés. Chaque commune aurait donc eu 4350 emplois hautement qualifiés, ce qui aurait donné 7 500 000 emplois au niveau national. A l’opposé, en 17 ans ce régime n’a même pas pu créer 35 000 emplois qualifiés. C’est un gigantesque gaspillage. Il nous faut un grand procès de ce régime. Si on revenait un peu à l’armée ; selon vous, est-elle épargnée par la corruption ? Je vous répondrais par l’affirmative si elle était soumise à un réel contrôle politique, mais ce n’est pas le cas. Nous avons des partis oligarchiques qui ne rêvent que de vivre avec leurs voitures de luxe flambant neuves sous les dorures du palais. En face, nous avons un système constitutionnel totalement vicié, adopté au vote à main levée, une supercherie qui fait de nous la risée des bien-pensants du monde. L’Etat est un ensemble d’organisations, ou plutôt l’organisation des organisations. L’armée est une organisation de l’Etat. La tragédie algérienne, c’est que l’Etat a monopolisé la politique qui n’est pas sa mission. Seule une démocratie nouvelle et participative nous mettra à l’abri. La tragédie, chez nous, c’est que notre armée n’est pas soumise à un contrôle politique. Ce n’est pas de sa faute. La nature a horreur du vide. Cela est imputable à la supercherie d’une fausse représentation corrompue. Le pouvoir s’arrache, personne ne vous le donnera, à moins que vous acceptiez d’être un vassal, un courtisan et un flagorneur et rentrer dans les petites compromissions d’épicier. Regardez le spectacle affligeant que nous offre cette caste qui tourne autour du pouvoir. Donc, déjà, dès le départ, le jeu est faussé. Nous avons un biais qui présente une forte propension à la corruption. Machiavel, en observant les principautés florentines au XVIe siècle a compris que tous les maux d’une société viennent d’un défaut de contrôle politique sur l’armée (que corroborera Max Weber au début du siècle dans son traité sur la Domination). La corruption de l’armée, en d’autres termes, implique la corruption de l’ordre politique tout entier, c’est-à-dire la destruction de l’éthique publique, le déchaînement des passions du pouvoir, la multiplication des foyers de violence allant à l’encontre des ordres sociaux et la distorsion de l’ordre patriotique. D’autre part, depuis la mort de Houari Boumediene, l’état-major s’est approprié la politique de façon indue sans interruption jusqu’à aujourd’hui ; c’est une usurpation de fonction, c’est un coup d’Etat permanent, ce n’est pas du tout sa mission. L’état-major profite parce qu’il y a un vide, cela l’arrange. Je vous dirais même que la situation lui est très confortable. Il se délecte de ce pouvoir total en se servant tous azimuts. C’est aux représentés de faire la politique parce qu’il s’agit de leur destin. Le peuple est la source du pouvoir. Mais le représenté, pauvre parmi les pauvres, exproprié de la chose qui lui revient, lutte seul dans la jungle sociale. Cette lourde responsabilité est à endosser par tous les partis sans exclusive qui ne sont pas enchâssés dans les véritables mouvements sociaux, ni fibrillés au cœur de la chair et des os de nos populations. Nos partis ne sont que des prototypes personnifiés d’oligarchies en place. Quand je vois le cirque de Mazafran, qui en termes d’actions concrètes n’apporte rien de tangible pour les mouvements sociaux, et sans oublier le lot des partis organiques folkloriques comme le FLN ou le RND dont la mission principale est de masquer les forfaitures «grandioses», pour paraphraser Sellal, du régime, je me dis que nous sommes loin d’être sortis de l’auberge. A partir de ce postulat, tout devient clair. Ces pauvres partis indigents, dans l’incapacité de produire du savoir politique, démunis de repères théoriques, n’ont pas encore compris la nature du pouvoir. Il ne survit que parce que nous acceptons d’y prendre part. Il y a une porte de sortie pour que ce pouvoir disparaisse : la désertion, la désobéissance, la résistance sont des armes redoutables dans la lutte contre la servitude volontaire. Le pouvoir ne peut survivre lorsque ses sujets s’émancipent de la peur. Que voulez-vous dire par désertion, désobéissance, résistance ? Il faut savoir que le capitalisme via son dispositif de guerres douce et dure et l’impérialisme a amorcé sa chute finale. Dans son dernier combat de «desesperado», le capitalisme-impérialisme, dos au mur, veut produire de nouvelles figures de subjectivité : des figures de la domination. L’hégémonie de la finance et des banques, comme par exemple le crédit à la consommation, qui chez nous vise à faire fonctionner les usines en France entre autres, a donné naissance à l’endetté qui croule sous les crédits et qui va travailler toute sa vie comme un forçat pour rembourser sa dette. Le contrôle mondial et national de l’information et des réseaux de communication a produit le médiatisé paralysé, aliéné par le trop-plein d’informations et leurs mensonges. Le régime sécuritaire, les guerres secrètes impérialistes et la généralisation des zones où pullulent des bandes armées ont fait surgir une figure en proie à la peur et aspirant à la protection : le sécurisé. Et la corruption de la démocratie (constitutive et inféodée au capital) avec ses systèmes de représentations politiques corrompues a donné forme à une figure étrange et dépolitisée : le représenté. Ces quatre figures subjectives constituent le terrain social sur lequel et contre lequel les mouvements de désertion, de désobéissance et de résistance, voire de révolte doivent agir. Seule l’intelligence de cet «être-ensemble», des mouvements sociaux, avec la figure du pauvre froissé dans sa chair et ses os au fronton, ont la capacité non seulement de refuser ces subjectivités, mais aussi de les inverser pour créer des figures capables d’exprimer leur indépendance et leur puissance d’agir politiquement. Ce sursaut ne se fera que si cet «être-ensemble» diffuse un apprentissage de la décision, lorsque l’endetté décide de ne pas payer sa dette ; lorsque le «médiatisé» décide d’éteindre la télévision, la radio, de ne plus lire les journaux, d’échapper au contrôle des médias et à leurs mensonges ; lorsque le sécurisé décide de devenir invisible et de ne plus avoir peur ; et lorsque le représenté refuse d’être gouverné par des représentants alimentaires, indignes et corrompus. Il nous faut un nouveau manifeste qui nous donne l’aperçu du monde à venir et donne naissance à des visions d’un nouveau monde. Les manifestes ont le pouvoir des anciens prophètes, capables de donner naissance à un peuple par la seule puissance de leur vision. L’armée est restée loin des affaires de corruption qui ont touché de nombreux secteurs. Selon vous, est-elle à l’abri de la corruption, ou échappe-t-elle aux investigations en raison de sa spécificité ? Ce vaste plan de projets militaires ne peut être mené avec succès de façon quasi clandestine et illégitime à l’insu du Parlement et de sa chambre basse. Eu égard aux gigantesques montants engagés de façon exceptionnelle et extraordinaire, l’Exécutif est tenu et astreint à soumettre ces dépenses au contrôle des représentants du peuple. Il faut rechercher le mobile réel et le souci de nos responsables à saisir cette opportunité de doter le pays de plusieurs projets d’armements qui ne reposent pas sur une véritable ossature. Il faut sonner l’alarme face aux abus de pouvoir les plus criants et insister sur la transparence dans l’exercice régulier de notre industrie de défense et du gouvernement. La problématique est la suivante : est-ce que les transactions militaires pour l’achat d’équipements ou d’armements sont transparentes ou non ? La réponse coule de source : non. Il faut reprendre la loi sur la corruption et bien lire l’article 9 dont la clarté est irrécusable : «Les procédures applicables en matière de marchés publics doivent être fondées sur la transparence, la concurrence loyale et des critères objectifs. A ce titre, elles contiennent notamment : la diffusion d’informations concernant les procédures de passation de marchés publics, l’établissement préalable des conditions de participation et de sélection, des critères objectifs et précis pour la prise des décisions concernant la passation des marchés publics, l’exercice de toute voie de recours en cas de non-respect des règles de passation des marchés publics». En clair, toute absence de transparence dans un marché public est assimilable à de la corruption. Un juge civil ou militaire intègre, qui a l’intime conviction qu’une transaction est non transparente, doit mettre aux arrêts sine die et sans quartier le responsable incriminé, quels que soient son rang, son grade, en attendant un procès et des investigations plus poussées. Voilà la démarche dans un Etat sain de «corps et d’esprit». Pour une petite somme de 100 000 dollars prise dans un marché de petite intendance, le ministre de la Défense russe a été carrément limogé. Pour vous donner un ordre de grandeur, 100 000 dollars, c’est comme si on prenait une commission de 5000 dollars en Algérie. Par contre, il y a tout un faisceau et une constellation d’indices sérieux qui s’accumulent et qui permettent de conclure que le MDN (ministère de la Défense nationale) n’est pas épargné par ce fléau. Dans notre pays, ce vaste programme d’industrialisation mené tambour battant, médiatisé, de façon hâtive, sans vision ni perspective, sans politique industrielle, sans organisme de planification scientifique a fini par être inséré et supervisé de façon aberrante, inadéquate et inappropriée dans une structure interne qui s’appelle la DFM (Direction de la fabrication militaire) et qui n’a aucune vocation industrielle. L’on ne comprend pas comment on peut acheter des canons comme s’il s’agissait de pommes de terre. Le matin, le chef réunit ses collaborateurs, ensuite le fournisseur est convié à signer le contrat dans des délais très rapides à la vitesse de l’éclair. Le chef et ses collaborateurs, droits dans leurs bottes, ne sont là que pour couper les barbelés pour les autres. Ils appliquent scrupuleusement les instructions et les injonctions qu’ils reçoivent des commanditaires qui gouvernent en se cachant. Dans le cas des Emiratis, l’intermédiaire était jordanien, il ne dérange pas. Par contre, les algériens, civils ou ex-militaires, dérangent. Ils sont persona non grata dans ce type de transaction, même s’ils proposent des produits de meilleure qualité et moins chers. La DFM aurait pu avoir cette vocation de direction de l’armement pour centraliser et cerner nos véritables besoins en armement grâce à des structures de pré-ingénierie et élaborer nos propres cahiers des charges. Mais cela n’est pas le cas. Que deviennent nos programmes de planification indicatifs de nos structures d’alerte et veille technologique militaires chargées d’affiner au mieux notre doctrine militaire et déceler des menaces ou opportunités sur de nouveaux types d’armes ? Nous n’en savons rien. Dans beaucoup de domaines, nos cahiers des charges sont traités à l’étranger. Des fois, on reprend carrément les spécifications du matériel russe. Le MDN a la même maladie que Sonatrach qui en 51 ans d’existence n’a pas su développer des structures d’ingénierie ou même de pré-ingénierie. En général, la mission de la DFM consiste à fixer des priorités, à élaborer et à délimiter des cahiers des charges que seul un véritable ministère de l’Armement aura compétence à exécuter vu la complexité et la lourdeur de la charge et de la tâche. Structurellement et consubstantiellement, elle est sous-dimensionnée. Pourtant, elle a mené cette vaste mission d’industrialisation militaire qui n’est pas sa vocation. Ce qui augurera un échec programmé, certain et incontestable. Si on faisait un audit économique, industriel et technologique, impartial et rigoureux, je suis convaincu que la conclusion sera effarante. Aucun n’aura été une réussi. De l’argent jeté à la poubelle. La DFM n’a ni les moyens humains, ni la mentalité propre aux capitaines d’industrie, ni les compétences, ni les expertises nécessaires, même si dans ses rangs existent et subsistent quelques hommes de valeur de façon éparse et qui sont marginalisés. Agé de 71 ans, celui qui dirige cette structure était chargé des achats de l’habillement militaire auprès d’une société publique de textile. Il faut impérativement un authentique et véritable lifting des ressources humaines des structures industrielles. Ces hommes de valeur incontestable seront tôt ou tard confrontés à une gigantesque entreprise herculéenne qui nécessite d’incommensurables moyens industriels et humains adéquats non disponibles. En sus, un des indices révélateurs de la corruption entretenue est qu’il existe une circulaire scélérate portant le nom de l’ex-vice-ministre de la Défense, écartant systématiquement tout Algérien initiateur (civil ou ex-militaire), apporteur ou promoteur de projet industriel avec des majors internationaux au bénéfice de notre pays. Regardez l’aberration. Les intermédiaires étrangers, jordaniens, qataris, tunisiens et émiratis sont acceptés alors que les algériens civils ou ex-militaires sont refusés. Ce fait du prince n’est que la conséquence tragique de l’absence totale d’un contrôle politique sur l’armée. «Les mauvaises armes font de mauvaises lois», disait Machiavel. L’évanescence et la disparition de notre souveraineté et indépendance nationales sont consubstantielles et inhérentes aux pratiques actuelles du pouvoir dont les conséquences se sont vite fait sentir depuis la mort de Houari Boumediene par, entre autres, l’extinction et le gel définitif de toute volonté politique. Les récents contrats, cadeaux et privilèges financiers et économiques sans annonces publiques et en sous-main visant à brader toute notre économie, gratuitement offerte aux américains et aux Français, est le résultat d’une course effrénée sur fond de rivalités politiques exacerbées entre divers clans du pouvoir finissant en Algérie, qui dans la durée ne cessent de quémander l’indulgence, le consentement, les satisfecit et le soutien à tout prix de l’occident pour leur maintien pérenne au pouvoir au détriment des intérêts économiques supérieurs de la nation algérienne, de sa prospérité, de son peuple et de sa jeunesse. Vous avez entièrement raison de dire que l’armée échappe aux investigations en raison de sa spécificité liée au secret de défense. Tout effort qui vise à discipliner ou à réprimer la transparence, la vitalité ou le désir de savoir de nos populations réduit leur productivité de représentés, d’où l’échec de la représentation en Algérie (entre autres). De ce fait, la transparence exige que l’opacité et le secret du pouvoir soient détruits. Ces qualités sont essentielles dans la production économique contemporaine, mais elles déterminent aussi de nouvelles contradictions qui concernent l’exercice du pouvoir et la légitimité de la représentation. C’est la figure même de l’«homme d’Etat» qui se trouve prise pour cible et que l’on finit par considérer comme une qualité indigne. Dans une réelle démocratie, la raison d’Etat ou le secret de défense n’ont pas de sens. Ces tabous doivent disparaître. Nous ne sommes pas sur une île. Tout achat d’équipements ou d’armements à l’étranger est rapidement identifié, d’abord par le grand pouvoir d’investigation des industries concurrentes (les majors internationaux bénéficient d’outils puissants d’investigation pour tout savoir sur la concurrence) qui fonctionnent pratiquement en réseau et en vase clos, sans oublier que les indiscrétions entre industries «amies» sont légion. Ensuite, les ONG qui reçoivent les «private communications» officieuses ou officielles de tout un maillage d’organisations et de marchands d’armes (les ONG, toutes sans exception, sont de véritables officines d’intelligence économique), et enfin les services de renseignements étrangers qui ont des contacts faciles avec les industries et d’autres structures utilisent des outils de mafieux et des procédés de gangsters prohibés par la loi. Le secret de défense est utilisé chez nous uniquement contre son propre peuple pour le laisser dans l’ignorance, l’apathie et l’abrutissement. Le secret de défense ne sera viable que si on avait notre propre industrie militaire. On ne cache que ce que nous pouvons fabriquer nous mêmes. Mais ce n’est pas le cas. En 2006, de nombreux cadres des forces marines ont été mis à la retraite après avoir été impliqués dans une affaire de corruption dans l’achat de sous-marins. Qu’en savez-vous ? Un sous-marin ce n’est pas un bathyscaphe de plaisance. C’est une arme de guerre redoutable. Un produit stratégique dissuasif d’une cruelle importance. Notre pays a besoin d’au moins vingt sous-marins d’attaque parce que ce sont des pièces importantes pour le dispositif et l’organisation de notre système de défense nationale et de protection de nos approvisionnements, nos ressources minières, énergétiques sous-marines et notre pool halieutique. Le progrès n’a pas négligé les sous-marins, devenant de plus en plus furtifs grâce à un saut technologique impressionnant des Russes. De plus, nos sous-marins peuvent fonctionner en réseaux avec d’autres (sous-marins) et plateformes (aériennes, terrestres et électromagnétiques) sur de très longues distances grâce aux progrès fulgurants de la communication sous-marine des fonds des mers, et dont le mérite revient aux Russes et aux Chinois. Nonobstant la période d’anarchie de la décennie rouge (90’) au niveau de l’institution du fait de l’embargo qui a mis l’Algérie à la merci du marché noir des armes, je dirais que théoriquement les procédures d’achat de l’armée sont strictement rigoureuses et ne permettent pas de tomber entre les mains des intermédiaires. Mais, dans tous les cas, la décision est politique. Elle dépasse le chef d’état-major de la marine. Lorsqu’il y a corruption, cela ne peut provenir que du sommet des sommets. Il y a peut-être eu complaisance dans les avis d’alignement techniques favorables. Mais cela reste peu probable. Si des officiers se sont fait prendre, cela peut être lié à la grosse intendance (construction, génie civil, dragage des ports...) ou à la petite intendance liée aux équipements, la pièce de rechange ou aux budgets de ravitaillement pour nos mariniers de bord. Cette incrimination peut être aussi injuste. Il peut s’agir d’une opération orientée, dans le seul but de faire déguerpir ces officiers du corps de la Marine. Ces dernières années, l’armée de l’air a connu de nombreux crashes, notamment de Mig achetés auprès des Russes. Selon vous, s’agit-il de matériels vétustes ou sommes-nous devant des équipements qui ne répondent pas aux normes ? Ce ne sont pas les avions qui sont vétustes, mais les pièces de rechange. Leur fabrication down-gradée, résistance des matériaux, soudures etc. ne répondait pas aux normes. Je m’explique. Par exemple, les soudures dans les fuselages des avions ou des hélicoptères sont soumises à de colossales contraintes mécaniques, physiques et thermiques pendant le vol, et cette fatigue des soudures va s’accumuler sur plusieurs centaines ou des milliers d’heures de vol. Si ces soudures ne sont pas faites dans les règles de l’art, elles vont rompre. C’est ce qu’on appelle dans le langage du métier un décollement. Comment peut-on s’en rendre compte ? Tout simplement en les inspectant soudure par soudure avec un appareil aux ultrasons dans le but de détecter d’éventuelles poches d’air, ce qui va permettre de refaire la soudure. Comme il y a des centaines de pièces, il faut des centaines d’opérations comme celle-là. L’armée a des équipes formidables qui assurent ce travail. S’il y a un secteur où il faut appliquer scrupuleusement le principe de précaution pour garantir le risque zéro, c’est bien celui de l’aéronautique. Déjà, à la livraison des 15 chasseurs Mig-29, entre 2006 et 2007, nos fins limiers de techniciens au sol et de bord ont découvert la vétusté et la mauvaise qualité de la pièce de rechange. Il fallait clouer au sol tous les appareils. Nous avons perdu nos meilleurs pilotes, les plus entraînés, morts en martyrs du devoir en service commandé. Il faut une décennie pour pouvoir les remplacer. Nos techniciens sont plus pragmatiques que les Russes et je donne raison aux nôtres plus qu’aux Russes. Je connais la valeur des miens quand ils sont compétents. Les deux «gangsters» Moussail Ismailov et Vladimir Borissov, respectivement directeurs des deux usines russes «Aviaremsnab» et «Aviatechnoservis» spécialisées dans la fabrication des pièces de rechange pour Mig ont été condamnés en première instance, en 2011, respectivement à 7 ans et demi de prison, 3 ans et 10 mois de prison, mais tous les deux ont été relaxés en deuxième instance. Quant aux responsables de la société Mig, le PDG Tsivilev Sergei et son adjoint Oleg Fadeyrev ont été relaxés. Qui rendra à l’Algérie ses pilotes martyrs ? L’armée s’est associée à une société émiratie pour réaliser des chars allemands. Pourquoi passer par une société émiratie et ne pas négocier directement avec le constructeur ? En fait, il faut savoir que les joint-ventures industrielles sont inutiles et contingentées avec les pays du golfe démunis de tous types de technologies et d’industries, sachant en sus que l’Algérie dispose de moyens financiers conséquents pour l’exercice de sa pleine souveraineté et de son indépendance au niveau militaire. Ces associations avec les pays du golfe persique ne sont mues que par le souci d’effacer toute traçabilité sur les commissions, de contourner et d’échapper au contrôle et aux chantages fiscaux, juridiques, voire politiques de la puissante Allemagne et d’autres puissances pour d’autres transactions. Une société étrangère qui a eu de gros marchés dans la sous-traitance et l’armement, maintenant parfaitement domiciliée en Algérie, a implanté de forts abris fiscaux à Doha et Dubaï dans le but de rétrocéder des commissions grâce à son «système» bien huilé et aguerri, raisons pour lesquelles les intervenants font appel à ses services. Par ailleurs, le Qatar et les Emirats restent très peu regardants sur les origines des fonds. Ce sont des paradis fiscaux. Les compagnies qui y sont domiciliées sont exemptées de tout contrôle fiscal. Elles n’ont pas à justifier des comptes ou commissions, ni fournir leurs bilans ou documents comptables. Une compagnie en Europe doit justifier dans le détail l’apport du travail effectué par le commissionné, donc il faut une véritable «ingénierie de la commission». Ce que ne savent pas faire les intervenants habituels et ce rôle est dévolu à cette société. Il faut pointer du doigt la chose suivante : les compagnies européennes et américaines sont contrôlées en permanence en temps réel (via un service intranet) par leurs administrations fiscales. Eu égard aux énormes montants à sortir des caisses des compagnies, tout payement de commissions est subsumé et hypostasié sous la forme d’un travail virtuel d’expertise finement détaillé, qui nécessite un vrai travail d’ingénierie de l’apport de l’intervenant, justifiant les soi-disant «services offerts». Seules des compagnies sœurs ou amies, entre autres, disposent de ces énormes moyens d’intelligence et d’ingénierie qui seront fournis et domiciliés à partir d’un territoire défiscalisé (ex-Dubaï, Lugano, Delaware, etc.) pour qu’en contrepartie les fonds puissent être virés, engrangés et au final rétrocédés selon diverses destinations, ou déposés dans des coffres de banque en liquide pour être récupérés sans traçabilité, parce que pour accéder à ces coffres, une clef anonyme et un code leur seront fournis par le commissionnant. Selon vous, les opérations d’achat d’armements sont-elles exécutées dans le cadre des dispositions du code des marchés publics, sachant qu’il s’agit dans la majorité des cas de procédures de gré à gré qui dépassent souvent le plafond des 100 millions de dollars prévus par la loi ? Nous vivons une véritable tragédie. Si ma mémoire ne me trahit pas, en 2010 le pouvoir s’est confectionné un costume selon ses dimensions, arguant d’un sempiternel contrôle de la commission nationale des marchés publics, mais derrière la façade réglementaire, le mobile était de faire des affaires. Evidemment, le pouvoir se protège, tire les choses par les cheveux, édicte des décrets anticonstitutionnels et en contradiction avec la loi sur la corruption qui gêne les intérêts de la coalition dominante. Mais cette fois-ci, l’artifice est grossier, arguant la raison d’Etat pour les gré à gré qui sont dorénavant autorisés pour de lourds montants de marchés publics. Mais derrière ce fait du prince se cache le rôle de vassal et de subordination à l’impérialisme. C’est un acte désespéré pour dilapider les deniers de la nation. Cette mesure, je la considère comme un acte d’indignité nationale. Pourquoi on déteste tant l’Algérie ? Sommes-nous un pays occupé ? C’est la «gouvernance» de la vengeance.
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