Les assises de la Soummam, 60 ans après, quelles leçons ?» Telle est la question à laquelle devait répondre le colloque international qui s’est déroulé ce week-end à Tiniri, chef-lieu de la commune d’Akfadou, dans la wilaya de Béjaïa, qu’organisaient conjointement l’APC d’Akfadou, l’APW de Béjaïa avec l’apport et les contributions des associations Med Action et Forsem. Pour ce faire, des historiens de renom tels que Gilbert Menier et Gilles Manceron, connus pour leurs travaux sur l’histoire d’Algérie, des acteurs de la trempe de Hamou Amirouche (ancien secrétaire particulier du colonel Amirouche, aujourd’hui installé aux Etats-Unis) et des écrivains ou intellectuels comme Bélaïd Abane, Tahar Khalfoune et Dalila Aït El Djoudi ont été conviés à la table des discussions. D’anciens maquisards, à l’image de Rachid Adjaoud, étaient également présents pour apporter leurs témoignages. Si la matinée de jeudi a été consacrée aux inutiles et oiseuses interventions protocolaires, c’est dans le courant de l’après-midi que la nombreuse assistance a vu les intervenants entrer dans le vif du sujet avec la première communication. Celle de Gilbert Meynier, intitulée «L’année 1956, enterrement de la politique et paroxysme de la violence», lue à l’assistance par Dalila Aït El Djoudi, car l’intéressé était absent pour des raisons de santé. L’historien décrit une ALN maîtresse du terrain et de l’initiative et un FLN avec une direction bicéphale. «1956 est une année charnière où la violence atteint son paroxysme, ce qui enterre toute idée de solution négociée», écrit Gilles Meynier. C’est dans ce contexte que survient le Congrès de la Soummam avec des chefs de maquis et des politiques du FLN, à leur tête «un Abane Ramdane impatient de construire l’Etat algérien». L’historien évoque également le «rapt aérien des chefs historiques le 22 octobre de la même année», ce qui va permettre à l’appareil militaire des chefs guerriers de prendre le relais, accentuant ainsi le rejet du dialogue et le prolongement de la guerre. De son côté, le professeur et écrivain Bélaïd Abane a évoqué la primauté «soummamienne» du politique sur le militaire en soulignant, de prime abord, que le thème de la violence, tel qu’abordé par Gilles Meynier, n’est pas intrinsèquement lié à la société algérienne mais à toutes les sociétés. Sauf que «nous sommes un peuple qui a été brutalisé durant des siècles», dit-il. Aussi bien par l’occupant ottoman que le colonialisme français. «Chaque soulèvement a entraîné une aggravation de l’état du peuple algérien», dira-t-il encore. La création de partis politiques à partir de 1926 n’ayant rien ramené de concret, la désillusion de Mai 1945 suivie des massacres commis à l’encontre des populations civiles désarmées ont fait germer au sein d’une nouvelle génération de la jeunesse algérienne l’idée qu’il fallait écarter la voie politique et recourir aux armes. Ce qui fut fait en Novembre 1954. Après deux ans de guerre, l’Algérie est un contexte de violence totale, une «violence à boulets rouges et à couteaux sanglants» et Abane, au Congrès de la Soummam, va poser une question cruciale à ses pairs : «Quelles sont les limites que l’on doit poser à la violence et à quelles règles doit-elle obéir ?» «C’est Abane qui a ramené le concept de force politique pour bouter les Français hors de nos frontières, contrairement à l’idée répandue qu’il fallait le faire par la force des armes», précise le professeur Bélaïd Abane. Poursuivant son exposé, il explique que l’erreur du dirigeant charismatique du FLN a été d’avancer l’idée de la primauté du politique sur le militaire, c’est-à-dire que «la raison politique doit primer sur la raison militaire». Ce principe n’a été ni compris ni admis par les autres chefs qui y ont vu une hiérarchisation des appareils dirigeants de la Révolution. Cette erreur de stratégie, Abane, l’unificateur du Mouvement national, le dirigeant visionnaire qui voulait arrimer l’Algérie à la modernité, la payera de sa vie. Dans sa communication, l’historien français Gilles Manceron proposera, lui, un très intéressant débat sur la conception et définition de la nation algérienne en France et en Algérie. «Le mot Algérie n’existait pas encore en 1830. On parlait encore d’Alger ou de la Régence d’Alger. Le mot a été utilisé une première fois en 1831 par l’historien Charles Fournier et n’est entré dans le langage officiel qu’en 1837, dans une déclaration officielle où l’on parlait d’occuper complètement le territoire se trouvant entre le Maroc et la Tunisie», précise-t-il. A l’époque, on débattait encore pour savoir si on allait procéder à une colonisation complète ou partielle du territoire algérien. «Ce n’est qu’à la prise de Constantine que l’on se décida pour une colonisation complète», dira-t-il. Gilles Manceron évoquera également ces voix françaises qui, face aux massacres commis, plaident pour une autre approche : «Il ne faut pas les tuer tous, il faut essayer d’en intégrer quelques-uns dans cette mosaïque des peuples à dominante européenne que nous allons construire», pensait-on en ce temps-là. Revenant sur le Congrès de la Soummam, le docteur Tahar Khalfoune souligne que ces assises ont donné corps au Mouvement national. Pour lui, le mérite du Congrès est d’avoir procédé d’une manière inclusive, en rassemblant toutes les forces et tendances, à l’exclusion des messalistes qui avaient pris les armes contre la Révolution. «Les chefs qui ont pris l’initiative de ce Congrès ont essayé de rassembler, d’où la naissance d’un véritable Mouvement national. Ils avaient le sens des perspectives historiques et une idée de l’Etat qui allait être mis en place une fois l’indépendance acquise», dit-il. En conclusion, à propos des leçons que l’on pourrait tirer des assises de la Soummam, le professeur Bélaïd Abane déclare : «Au bout de 60 ans, on s’est rendu compte que les idées-clés du Congrès de la Soummam sont toujours d’actualité. Ce qui manque essentiellement à notre pays est la question de la citoyenneté. Nous sommes dans tout ce qui nous divise, comme la question identitaire ou celle de l’islam. Tout cela nous divise. Le seul vrai dénominateur commun, c’est la citoyenneté. Et c’était déjà présent dans le Congrès de la Soummam. La deuxième leçon que l’on pourrait tirer est la primauté du politique sur le militaire. La garantie que les rapports de force ne soient pas déterminés par la force brutale. C’est la garantie d’un Etat civil.»
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