Pr Abdelmadjid Merdaci Docteur d’Etat en sociologie et enseignant-chercheur à l’ université de Constantine L’ancien Premier ministre Redha Malek est décédé ce samedi à Alger à l’âge de 86 ans. Il avait été transféré, le vendredi 21 juillet, à l’hôpital militaire de Aïn Naadja et l’information, bien que discrètement relayée, n’avait pas manqué de susciter l’inquiétude parmi ses proches et ceux qui suivaient avec attention ses activités et qui le savaient fatigué. Natif de Batna en décembre 1931, diplômé en lettres de l’université d’Alger, c’est à partir de Paris que se dessine de manière quasi irréversible son engagement militant en faveur de l’indépendance de l’Algérie et le syndicalisme estudiantin lui offre le premier cadre d’expression publique de ses choix. Secrétaire général de l’Union des étudiants algériens de Paris en 1955, il prend fait et cause en faveur du «M» lors de l’historique querelle sur les conditions d’organisation des étudiants algériens. «Le M de l’Ugema était une passerelle, un lien et une façon de rester en harmonie avec le peuple algérien mais qui n’empêchait pas l’évolution.»(1) 1- Le militant politique Dans l’entretien qu’il accorde à l’auteur américain Clement Moore Henry en 2007, Redha Malek rappelle avec précision le contexte de ce débat et met en avant les positions exprimées alors par Léon Feix, membre de la direction du PCF et qui reprenait la thèse de Maurice Thorez sur une nation en formation et cite à ce sujet la brochure qu’il avait signée sous le titre «L’habit d’Arlequin». Dans son témoignage, Redha Malek rapporte – pour l’anecdote, dit-il – une rencontre avec Albert Camus. «Abdesselem, Taleb et moi sommes allés voir Camus, qui était à l’époque à L’Express, pour lui demander comment il voyait l’Algérie, s’il la voyait comme Thorez, une fusion de toutes les races. Il a répondu que pour lui c’était les Français d’un côté, les Arabes de l’autre.»(2) Membre fondateur de l’Ugema, il aura tôt fait de rejoindre le FLN où il s’inscrit sur un registre auquel il restera toujours fidèle, celui de la bataille des idées qui fut pour lui et d’autres compagnons de lutte, d’abord celle de la communication et de l’information. Il sera ainsi de l’aventure d’El Moudjahid – aux côtés de Moussaoui, Chaulet, notamment – et dans la proximité de Abane. Il dirigera ainsi l’organe central du FLN de combat et était alors tout à fait dans son rôle, tout au long des négociations entre le GPRA et le gouvernement français à Evian, en qualité de porte-parole de la délégation algérienne. 2 - Le diplomate L’Algérie indépendante le requiert d’abord comme diplomate et il représentera le pays auprès des plus décisifs partenaires du nouvel Etat. De 1965 – où il est accrédité auprès du gouvernement français – à 1977 où il représente l’Algérie auprès de l’URSS, Redha Malek sera aussi à Londres puis à Washington. Celui qui aura consacré un quart de siècle de sa vie à la diplomatie algérienne jouera aussi, dans le cadre de ses missions, un rôle significatif dans l’action internationale de l’Algérie. A Paris, il conduira, en particulier, sur instruction du président Boumediène, les négociations avec le gouvernement français sur la question sensible de Mers El Kébir et qui devait aboutir au départ anticipé des dernières troupes française d’Algérie et il sera aussi, à Washington, l’un des négociateurs discrets de la libération des otages américains retenus à Téhéran. 3 – L’homme d’état Ministre de l’Information et de la Culture dans le gouvernement du président Bendjedid entre 1977 et 1979, son magistère est largement rattaché aux premières ouvertures médiatiques du pays que devait illustrer le succès de l’hebdomadaire Algérie Actualité. Au plus fort de la crise du régime, au début des années 1990, Redha Malek reprend son costume de diplomate pour une mission spéciale, expliquer aux autorités américaines la nature des enjeux de la crise et il sera chargé par le président Boudiaf de la présidence du Conseil consultatif national (CCN) substitut au Parlement. Au lendemain de l’assassinat du président Boudiaf, Redha Malek est coopté en qualité de membre du Haut comité de l’Etat (HCE) et participe plus directement à la conduite des affaires publiques. C’est ce qu’allait confirmer, une année plus tard, sa désignation en qualité de ministre des Affaires étrangères (1993) et puis sa nomination à la tête du gouvernement algérien en août 1993. Il aura alors à faire face à l’une des périodes les plus critiques de l’histoire du pays entre d’une part la pression du terrorisme islamiste et de l’autre la crise économique qui contraint l’Algérie aux mesures drastiques de rééchelonnement de sa dette extérieure. Décision que Redha Malek assume sans ambiguïté. «C’est moi qui ai envoyé Benbitour, alors en charge du budget, pour négocier», précise-t-il dans un débat public. La mémoire collective conservera sans doute à jamais ces mots jaillis du plus profond des convictions de l’homme, prononcés à Oran en mars 1994, devant le cercueil du dramaturge Abdelkader Alloula : «La peur doit changer de camp.» Redha Malek fait partie de cette génération des années 1930 – qui compte aussi en son sein Mohamed Seddik Benyahia, Ahmed Taleb Ibrahimi pour ne citer que ceux qui ont pris fait et cause pour l’indépendance du pays – des premières élites musulmanes passées par l’université et il aura, en tout état de cause, été l’un des rares militants du Front à en assumer les obligations. Au-delà de publications désormais incunables, on lui doit des ouvrages aujourd’hui considérés comme d’incontournables références sur l’histoire de la Guerre d’indépendance. L’Algérie à Evian(3) est moins une œuvre de mémorialiste qui rapporte des événements auxquels il avait été directement associé qu’une esquisse significative des positions du GPRA lors des négociations et une évaluation critique des résultats des accords. L’acteur s’exprimera, pour sa part, jusqu’à ces toutes dernières années dans les médias ou les tribunes publiques, sur Evian marquant notamment à quel point ces Accords avaient été en conformité avec l’esprit et la lettre de la Proclamation du 1er Novembre 1954. En 1994, les éditions Sindbad rééditaient l’ouvrage paru trois ans plus tôt chez l’éditeur Bouchène Traditions et modernité(4) et Redha Malek reviendra sur les enjeux de l’histoire de la guerre d’indépendance dans un livre paru chez Casbah Editions au titre lourd de sens Guerre de libération et révolution démocratique(5). Pour celui qui écoutait cette voix singulière, c’est moins la résignation qu’une manière de désenchantement qu’il pouvait percevoir. «Notre indépendance n’est pas parachevée», n’hésitait-il pas à clamer et pour les médias nationaux ou étrangers, Redha Malek était ce qu’il était convenu de désigner comme un bon client. Un client à l’expression précise, documentée et qui gardait l’Algérie chevillée au cœur. Comme en attestera l’expérience de l’Alliance nationale républicaine (ANR). «Quand Si Redha nous avait fait part de cette idée (la création de l’ANR, ndlr) à Lacheraf et à moi, nous n’étions pas emballés. Nous avions essayé en vain d’en dissuader Redha Malek.» (6) Redha Malek aura l’occasion de dire toute son amertume devant le pluralisme de façade qui continue de prendre en otage toute évolution démocratique du pays. Ses engagements en faveur d’une république algérienne, démocratique, d’une société algérienne moderne constituent une manière de testament d’une dramatique actualité. 1 - Moore (Clement) : L’UGEMA – 1955-1932 Témoignages Casbah Editions 2 - Moore Op Cité 3 - Malek ( Redha) : L’Algérie à Evian 4 - Malek ( Redha) : Traditions et Modernité - Les enjeux Bouchène Editions 5 - Malek ( Redha) : Guerre de libération et révolution démocratique Casbah Editions 6 - Mazouzi (Mohamed Saïd) : J’ai vécu le pire et le meilleur – Casbah Editions
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