vendredi 28 juillet 2017

Le cas du Café littéraire d’Aokas s’assimile à de l’acharnement

- Quel lien faite-vous aujourd’hui entre interdiction et la peur du pouvoir de laisser la société civile agir ? Le rapport entre les pouvoirs publics et les autorités locales n’a pas toujours été facile. Les associations, les syndicats et toutes les organisations autonomes sont frappés de suspicion et d’hostilité. La loi 12/06 des associations est venue compliquer encore plus la vie aux associations avec plus de contrôle, de verrouillage et de tracasseries bureaucratiques et administratives au cours de la vie et le parcours d’une association, il est exigé une autorisation préalable le long de toute la vie d’une association et lors de toute activité au point de décourager beaucoup d’animateurs à croiser le fer face au diktat de l’administration. Les espaces de débat, critiques et autonomes sont toujours mal vus, ils sont considérés, à tort, comme des espaces de la subversion. Les Cafés littéraires qui donnent la voie à des auteurs, artistes et hommes de lettres et de culture libres et qui sortent du «moule officiel» sont classés dans cette case. Ce qui s’est passé pour le Café littéraire d’Aokas mais aussi pour ceux de Bouzguen et de Tizi ouzou et bien avant pour le Café littéraire de Béjaïa traduit bien cet état d’esprit des pouvoirs publics. Le cas du Café littéraire d’Aokas, pourtant organisé sous l’égide d’une association qui a rempli toutes les exigences de la loi des associations et des manifestations publiques, s’assimile à de l’acharnement de l’administration sans aucun motif valable et légal, c’est de l’arbitraire caractérisé. - Quelle démarche proposez-vous aujourd’hui pour contrecarrer cette main-basse du pouvoir sur l’élite ? Il faut rappeler que notre élite était la cible de toutes les attaques ; elle a payé le prix fort lors de la décennie noire, une partie décimée et l’autre contrainte à l’exil forcé ou à la résignation-soumission, la société a été décapitée de son élite. Aujourd’hui, nous assistons fort heureusement au renouvellement de notre élite. Nous pensons qu’il est légitime et même de son devoir de s’organiser et d’assumer son rôle d’éclaireur et de porte-voix critique à même de propulser la société vers de meilleurs horizons mais aussi de rappeler ceux qui nous gouvernent leurs obligations, c’est le propre d’une démocratie réelle et non formelle. La société doit aussi se solidariser avec son élite et l’exemple d’Aokas est édifiant dans ce sens. On a eu l’exemple bien avant en 1980 à l’occasion de l’interdiction de la conférence du défunt Mouloud Mammeri ; il fut à l’origine du premier printemps démocratique et culturel en Algérie. - L’incident d’Aokas démontre encore une fois que nous sommes loin de la liberté d’expression ou pensez-vous qu’il existe d’autres raisons provocatrices pour la région ? Nous souhaitons que ces interdictions ne soient pas le plongement des tiraillements qu’on observe d’ailleurs avec inquiétude au sommet de l’Etat à l’occasion de la succession au pouvoir. La Kabylie ne doit pas être le théâtre des recompositions claniques et mercantiles. C’est pourquoi, nous appelons à la clairvoyance et à la vigilance. Préserver les acquis est le devoir de tout militant(e), se mobiliser aux côtés de tous les acteurs et les forces saines présentes sur le terrain démocratique, et dans les institutions dans un cadre pacifique et pluriel, tout en respectant le mandat et l’identité de chacun. Loin de tout ethnocentrisme, la Kabylie et Béjaïa dérangent sans aucun doute. Cette région a brillé réellement ces dernières années comme une véritable citadelle des luttes démocratiques et sociales avec cette capacité de tisser des convergences entre les différents acteurs de la société civile  et politiques et des connexions entre les différentes régions du pays. Effectivement, cela dérange, d’où cette sensation de plus en plus forte de subir un plan de mise au pas de cette région. Les espaces de débat et les édifices publics dédiés à cela se réduisent comme peau de chagrin malgré la sensibilité des élus locaux. Doucement et parfois brutalement, l’administration reprend le dessus pour contrôler tout ce qui bouge sous prétexte de faire barrage à un courant indépendantiste en Kabylie. En tant que Ligue des droits humains, nous ne pouvons applaudir l’oppression de l’expression de toute opinion, pourvu qu’elle respecte le choix démocratique et pacifique et les valeurs des droits humains. Nous pensons au contraire que le débat doit être ouvert en Kabylie, la société est en mesure de gérer ses choix, se défendre et de trouver son chemin. Il n’y a que le débat libre et démocratique qui pourra prémunir l’Algérie du chaos.

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