dimanche 30 juillet 2017

Une Révolution, une culture

Par Redha Malek (*) L’intérêt majeur de la Plateforme de la Soummam réside dans les analyses politiques de la situation de l’époque – Novembre 1954-Août 1956 – la structuration du FLN/ALN désormais dotée de statuts, l’orientation de l’action révolutionnaire ainsi que la définition des objectifs à atteindre. «Pour assurer le triomphe de la Révolution algérienne dans la lutte pour l’indépendance nationale» : le titre de la Plateforme annonce un programme d’action pour la restauration de l’indépendance nationale, mais au-delà de cet objectif, ouvre des perspectives d’une portée plus large relative à la post-indépendance. C’est pourquoi il est possible d’affirmer que ce document a marqué de son empreinte inédite non seulement le parcours de la Révolution armée, mais de manière générale l’identité même de l’Algérie en tant qu’algérianité. Après le déclenchement de l’insurrection du 1er Novembre, ses initiateurs devaient se retrouver pour «faire le point». Ce fut le Congrès du 20 août 1956. Entre-temps, un événement d’une grande envergure : l’offensive du Nord-Constantinois, le 20 août 1955, qui révéla la profonde détermination de la Révolution d’aller de l’avant et lui imprima une impulsion sans précédent. Le Congrès, qui rassembla les principaux chefs de maquis, constitua lui-même un défi d’une audace inouïe. Abane Ramdane, qui en fut le concepteur et l’organisateur avec Larbi Ben M’hidi, nous a confié une fois qu’il fallait être «fou à lier» pour convoquer une telle assemblée en un point du territoire – Ifri – qui pouvait être investi à tout moment par l’occupant, fortement présent dans les parages. Le Congrès de la Soummam donna tout d’abord un statut au FLN. LE CNRA (Conseil national de la Révolution algérienne) et le CCE (Comité de coordination et d’exécution) – qui avait une existence de fait auparavant – jouèrent un rôle fondamental dans les destinées de la Révolution. Ils donnèrent au FLN, jusqu’alors inconnu, – Bourguiba parlait de «mélasse» – un visage et des règlements intérieurs fondés sur la responsabilité collégiale, du CCE aux Wilayas, régions, secteurs. Egalement unifiée, l’ALN fut dotée de structures hiérarchiques – ses grades n’excédant pas le niveau de colonel. Le plus remarquable, au plan politique, fut l’intégration au CNRA des représentants de formations ou de tendances dissoutes, telles que l’UDMA, l’Association des oulémas, les «Centralistes». Ce qui conféra au FLN une représentativité accrue et l’érigea légitimement en artisan de l’unité nationale. Le Congrès pouvait ainsi tracer d’une main ferme les perspectives de la Révolution. «C’est une Révolution organisée, affirme la Plateforme, et non une révolte anarchique» ; «C’est une lutte nationale pour détruire le régime anachronique de la colonisation et non une guerre religieuse» ; «C’est une marche en avant dans le sens historique de l’humanité et non un retour vers le féodalisme» ; «C’est enfin une lutte pour la renaissance de l’Etat algérien sous la forme d’une République démocratique et sociale, et non la restauration d’une monarchie ou d’une théocratie révolues». Pénétrée d’une conscience aiguë de l’historicité, la Plateforme de la Soummam affirme ainsi avec vigueur les options légitimes de l’Algérie nouvelle. Elle n’hésite pas à stigmatiser la propagande aveugle du colonialisme en soulignant que la Révolution algérienne «n’est inféodée ni au Caire, ni à Londres, ni à Moscou, ni à Washington». Prolongement logique de l’Appel du 1er Novembre, la Plateforme de la Soummam s’inscrit en droite ligne du développement de la Révolution. Sa doctrine de la négociation est celle-là même qui s’est imposée à Evian. Cela va des conditions du cessez-le-feu, à l’unité de la nation, à l’intégrité du territoire, y compris le Sahara. Mais ce qui est fort remarquable, c’est l’influence que cette Plateforme a eu sur les mentalités. Texte le plus largement diffusé pendant la Guerre de Libération, elle était étudiée et commentée régulièrement dans les cellules de base du FLN. Son impact a déteint sur la culture politique des militants, des cadres, des citoyens. Les notions d’indépendance et de souveraineté, de justice sociale et de progrès ont été en quelque sorte intériorisées, et sont devenues comme des réflexes quasi automatiques. En dépit des dérives et des avanies, le cœur de l’Algérie profonde a conservé sa fierté et sa dignité révolutionnaires. La décennie noire atteste de la résistance opiniâtre contre la soi-disant révolution islamiste. On ne pouvait substituer à la Révolution authentique de Novembre le charlatanisme théocratique du FIS. Des moudjahidine de la grande époque se sont illustrés de nouveau dans l’arène – avec l’ANP, la société civile, le peuple toujours imprégné de sa Révolution. L’Algérie debout, souveraine «parlant pour elle-même» selon le témoignage des Etats-Unis lors de l’affaire des 52 otages.   (*) Publié dans El Watan le 19 août 2016

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