En appelant les partenaires sociaux et économiques, dont l‘UGTA et le FCE, à une rencontre préparatoire de la tripartite demain, le Premier ministre déroute, pour le moins, les observateurs, partagés entre ceux qui y voient un recul dans la bataille qu’il dit mener pour éloigner les hommes d’affaires du politique et ceux qui prétendent que rien n’est encore joué. Après plusieurs jours de rapports délétères et conflictuels, le gouvernement et ses partenaires sociaux et économiques se rencontreront demain pour parler de la prochaine tripartite et du «pacte économique et social de croissance». Tous les regards seront braqués sur cette réunion. Et beaucoup de questions se posent d’ores et déjà sur sa teneur et surtout son issue. Que dira le Premier ministre, Abdelmadjid Tebboune, à ses vis-à-vis, en l’occurrence le patron du Forum des chefs d’entreprisec (FCE) Ali Haddad, et son allié le secrétaire général de l’UGTA, Abdelmadjid Sidi Saïd ? Les regardera-t-il dans les yeux et les affrontera-t-il après un bras de fer qui a duré plusieurs jours ? Choisiront-ils le chemin de l’apaisement ou celui de la confrontation ? Il y aura forcément une grande explication entre les trois hommes. Abdelmadjid Tebboune, qui a déclenché ce qu’il croit être la lutte contre l’influence de plus en plus grandissante des hommes d’affaires sur la décision politique, a devant lui une occasion inouïe pour exposer sa réelle ou supposée volonté de «séparer l’argent de la politique». Mais cette rencontre, qui a à l’ordre du jour la préparation de la prochaine tripartite et donc du dialogue social, est-elle le cadre idéal pour donner un prolongement au bras de fer entre ses acteurs principaux, le FCE et l’UGTA d’un côté et le gouvernement de l’autre ? Deux scénarios se dessinent après une semaine palpitante. Que le gouvernement maintienne le cap et continue sa guerre contre le patron de l’ETRHB, Ali Haddad, qui a répondu dans le détail aux mises en demeure qui lui ont été adressées. Les deux protagonistes auront certainement des choses à se dire dans ce face-à-face. Et la confrontation peut s’avérer être une autre escalade dans le conflit qui les oppose. Dans un tel cas de figure, peut-on alors parler de possibilité de dialogue et de projet de consolidation du «pacte social et économique de croissance» ? Bien évidemment non et on peut imaginer l’impact de la persistance du bras de fer entre le Premier ministre et ses partenaires du FCE et de l’UGTA sur la prochaine tripartite. Pas seulement, les conséquences sur le fonctionnement des institutions seront, elles aussi, immenses. Un gouvernement en guerre contre ses partenaires sociaux qui le contestent ne fera qu’accentuer les facteurs de la crise qui secouent le pays et dont les impacts au plan politique deviennent chaque jour un peu plus visibles. Cela pourrait tourner en faveur de Abdelmadjid Tebboune s’il bénéficie d’un soutien franc de la Présidence qui l’a désigné Premier ministre en remplacement de Abdelmalek Sellal, mais il engagerait entièrement sa crédibilité et le sérieux de sa démarche s’il s’avérait que l’affaire Haddad n’en était pas une. Autrement dit, dans ce genre de conflit, la survie d’une partie dépend de la disparition de l’autre. Le deuxième scénario, qui est aussi plausible, est qu’on ait sifflé la fin des hostilités. Que la rencontre de demain à laquelle le Premier ministère a convié l’UGTA et le FCE, qui lui ont déclaré la guerre lors de leur dernière réunion à l’hôtel El Aurassi, sera une occasion de chercher l’apaisement. Le gouvernement, qui s’apprête à prendre des mesures importantes pour rationaliser les dépenses de l’Etat à travers l’élaboration d’une loi de finances qui verra la révision des politiques de subventions et d’autres dispositions économiques difficiles à supporter socialement, a besoin non seulement d’une accalmie, mais aussi de l’adhésion des partenaires sociaux et économiques pour espérer aboutir au «consensus national» que les responsables politiques du pays appellent de leurs vœux. Le Premier ministre n’aura que l’unique choix de faire machine arrière et tempérer ses ardeurs devant des adversaires autrement plus puissants. N’aurait-il pas dû penser sa démarche autrement que de s’engager dès le départ dans des combats périphériques, comme contester la présence du patron du FCE à la cérémonie de remise des prix organisée par le ministère du Travail à l’Ecole supérieure de la Cnas ? Peu importe l’issue de la rencontre de demain, peu importe aussi la partie qui en sortira gagnante, ce sont les institutions du pays qui en prendront un coup en termes de crédibilité. Et en voulant combler le déficit en légitimité, le pouvoir se retrouve en situation d’en perdre davantage devant une opinion publique qu’il est de plus en plus difficile de faire adhérer à sa démarche.
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