dimanche 30 juillet 2017

Un engagement sans faille contre l’intégrisme

Après une semaine d’hospitalisation, l’ancien chef de gouvernement, Redha Malek, a rendu l’âme hier matin à l’hôpital militaire de Aïn Naâdja, à Alger. Ceux qui l’ont connu de près retiennent de lui sa participation importante au Mouvement national, à la guerre pour l’indépendance et son implication dans l’édification d’un Etat républicain basé sur la séparation de la politique de la religion. Son amour pour la patrie et son engagement pour la démocratie ont fait de lui un homme toujours prêt à répondre à l’appel. C’est durant les années 1990, qu’il se met au-devant de la scène politico-médiatique, à travers ses positions tranchantes et sans ambiguïté contre le terrorisme intégriste. Dès l’arrêt du processus électoral en janvier 1992, Redha Malek, ce fin négociateur des Accords d’Evian, a présidé le CNT (Conseil national de transition), créé après la démission du Parlement, avant d’intégrer, en juillet de la même année, le Haut conseil de l’Etat, une instance de présidence collégiale (instaurée après la démission du défunt président Chadli Bendjedid), et d’être nommé en tant que ministre des Affaires étrangères en février 1993, puis chef de gouvernement au mois de juillet de la même année, au moment où l’Algérie était livrée non seulement à l’étranglement financier imposé par le FMI, mais aussi à un terrorisme des plus féroces. Il tente tant bien que mal de gérer un pays au bord de la faillite, qui enterre tous les jours les plus émérites de ses enfants, assassinés par les groupes islamistes armés. Le 16 mars 1994, et alors qu’une foule nombreuse, regroupée dans un cimetière à Oran, rendait un dernier hommage à Abdelkader Alloula, un monument du théâtre tué par un commando d’islamistes armés, Redha Malek, visiblement très touché par cet ignoble attentat, exprime, en sa qualité de chef de gouvernement, sa condamnation du terrorisme et lance cette phrase : «La peur doit changer de camp» qui restera célèbre. Il défendait l’idée de «la résistance populaire» qui, selon lui, était nécessaire pour combattre la terreur des assassinats et des attentats à l’explosif commis par les terroristes pour pousser les Algériens au choix mortel du cercueil ou l’exil. Cette phrase n’est pas restée sans écho. De nombreux anciens maquisards de l’ALN vont encadrer les premiers groupes d’autodéfense et de Patriotes soumis au diktat des groupes terroristes, notamment dans les maquis de la Mitidja, du Djurdjura et de Dahra. Quelques semaines plus tard, Redha Malek est démis de ses fonctions, par le président Liamine Zeroual, dans des circonstances troublantes. Il apprend son limogeage par un communiqué de l’agence officiel, au même titre que la presse nationale. Critiqué pour ses positions qualifiées d’«éradicatrices» par ses détracteurs, l’ancien chef de gouvernement va rallier à lui de nombreux militants républicains, pour créer l’ANR (Alliance nationale républicaine), un parti laïque très engagé dans la lutte contre l’intégrisme. Il se présente à l’élection présidentielle de 1995, mais sa candidature a été rejetée alors qu’il avait obtenu haut la main les 75 000 signatures. Avec sa formation politique farouchement anti-islamiste, il réussit à arracher des sièges au niveau de la première Assemblée nationale (APN) pluraliste de 1997. En 2009, il se retire de la présidence du parti, mais continue à animer des conférences, sur les thèmes de l’histoire, des Accords d’Evian, en tant qu’acteur de cet important épisode dans l’histoire du pays. Malgré sa discrétion, il ne manque pas de revenir sur les événements qui ont secoué le pays. Sur les années 1990, en fin observateur, il déclare aux médias : «Nos voisins auraient intérêt à tirer les leçons de ce qui nous est arrivé. Les portes de la démocratie ont été ouvertes en Algérie en 1991. Mais des forces rétrogrades s’y sont engouffrées. Nous avons été obligés de réagir. Contre vents et marées, nous sommes parvenus à maintenir le caractère moderne de l’Algérie. J’aimerais que nos frères arabes profitent de cette expérience. Ils doivent savoir que la démocratie ne crée pas automatiquement le progrès. Les élections libres sont une chose, mais si le pays, ou l’Etat, est en crise, comment peut-on les organiser ? Cela peut conduire à une aventure dangereuse. Quant aux islamistes, au nom de quoi se permettent-ils de confisquer une religion ? J’en veux profondément aux partisans du Front islamique du salut (FIS). Ils ont donné raison au général de Gaulle, qui, dans une sorte de ‘‘prophétie’’ datant de 1958, avait annoncé le chaos à l’Algérie indépendante.» Même s’il n’était pas très présent politiquement, Redha Malek a su transformer ses rares sorties médiatiques, durant ces dernières années, en un événement national. Il ne s’empêche de déclarer à propos des scandales économiques qui ont secoué les institutions de l’Etat : «L’indépendance du pays est minée par la corruption.» Tout comme il n’hésite pas à s’exprimer sur la question du Sahara occidental, lors du forum d’El Moudjahid, à travers des phrases très lourdes de sens. «A nos amis marocains qui proposent une autonomie au Sahara occidental, je dirai qu’aucune offre d’autonomie n’a réussi au monde, parce qu’elles se sont toutes transformées en de véritables indépendances des peuples», a-t-il déclaré devant un parterre de journalistes et de diplomates, à l’occasion de la célébration du 50e anniversaire des manifestations du 11 Décembre 1961. Redha Malek est parti, en laissant derrière lui, un parcours jalonné de succès pendant la Guerre de Libération, des positions politiques courageuses durant les années 1990, immortalisées avec des livres-témoignage et d’analyses qu’il a publiés, dont L’Empreinte des jours, Guerre de libération et révolution démocratique : écrits d’hier et d’aujourd’hui, L’Algérie à Evian : histoire des négociations secrètes, 1956-1962, Arrêt du processus électoral, enjeux et démocratie, Tradition et révolution et Le véritable enjeu : l’enjeu de la modernité en Algérie et dans l’islam. Il faut dire qu’avec la disparition de Redha Malek, l’Algérie perd un acteur et un témoin privilégié d’un demi-siècle de son histoire contemporaine.  

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