L’écrivain Kamel Daoud était à Béjaïa ce mercredi. Chose promise, chose due, il s’est d’abord rendu à Aokas où il a rencontré les représentants du collectif d’associations qui organise le Café Littéraire de cette ville balnéaire et visité le théâtre de verdure de Bouteghwa. Pour rappel, Kamel Daoud avait promis, au lendemain de la violente descente policière pour interdire une conférence du linguiste et éditeur Ramdane Achab en juillet dernier à Aokas, de s’y rendre pour apporter son soutien aux organisateurs du Café littéraire et à la population de la région, qui ont admirablement fait face à la répression et aux interdictions. Kamel Daoud s’est ensuite rendu au théâtre régional Malek Bouguermouh (TRB) où il a donné une conférence-débat autour de son dernier livre Zabor ou les psaumes, paru la veille aux éditions Barzakh. Dans une salle pleine comme un œuf, le conférencier a brièvement expliqué le contenu de son roman avant de se prêter au jeu des questions-réponses. «Pourquoi écrivez-vous ?» lui lance d’emblée la modératrice de la rencontre. «Quand je creuse dans mes propres raisons, ça me ramène à deux choses fondamentales : j’écris pour donner un sens à ma vie. J’écris parce que l’écriture est la seule réponse à la mort», répond l’auteur de Meursault, contre-enquête. La mort, «fonds de commerce» des fanatiques, doit être désacralisée, défend Kamel Daoud, au même titre que le ciel, les livres saints… «Les hommes d’un seul livre sont enfermés, ceux de plusieurs livres sont libres», dit-il appelant à sacraliser plutôt la terre, l’homme et ce qu’il fait, la terre et non le ciel, l’acte d’écrire et de lire : «L’acte de lire et d’écrire est sacré. Zabor le dit dans le livre : laisser circuler le livre, c’est laisser circuler le sens. Il faut lire tous les livres possibles, pas seulement la littérature, pour déchiffrer le monde. Le monde ne se résume pas à des versets.» «J’écris ce que je pense en toute honnêteté. Je suis libre d’écrire et de penser», clame-t-il. Et d’ajouter en allusion aux sacrifices des martyrs de la Guerre de Libération : «Il y a des gens qui ont payé cette liberté, et je la prends.» Pour Kamel Daoud, «nous sommes face à une sorte de renaissance du conservatisme» qui «n’est pas le reliquat d’un temps passé mais la menace d’un temps à venir». Un conservatisme, où se mêlent bigoterie et pseudo nationalisme, qui fait que «dès qu’un intellectuel touche à la sexualité, la religion, la femme, le corps, la liberté ou autre, on fait tout pour l’empêcher de démonopoliser ces sujets». «Il y a une arnaque où le conservatisme incarne la vertu et l’intellectuel la trahison. C’est un procès d’intention qui est intenté à chaque intellectuel qui pense le réel», dénonce le conférencier. Ainsi, poursuit Kamel Daoud, «nous avons un rapport douloureux avec le réel». «Comment voulez-vous que nous ne soyons pas pathologiques et pathogènes», diagnostique Kamel Daoud. Selon lui, «nous sommes dans une schizophrénie profonde» et la preuve est que «nous sommes les plus grands consommateurs de films pornographiques et nous assistons en parallèle à une affirmation de la religiosité la plus bigote». Il conclut : «Tant qu’on n’a pas réglé le rapport qu’on a avec la femme, on ne sera pas libre.» A noter que juste après cette conférence-débat, une vente-dédicace de Zabor ou les psaumes a été organisée dans le hall du TRB.
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