dimanche 20 août 2017

Le cri de détresse des transformateurs

La décision des pouvoirs publics d’interdire l’importation de la viande congelée est en train de mettre à genoux l’industrie de transformation de cette matière première. En effet, des industriels algériens qui ont pignon sur rue sont en train de liquider leurs stocks et s’apprêtent à mettre la clé sous le paillasson en jettant à la rue des centaines de travailleurs, si les pouvoirs publics ne réagissent pas au plus vite pour lever cette épée de Damoclès d’au-dessus de leur tête. «Cet arrêté sur les viandes congelées est un coup d’arrêt brutal pour nous autres industriels de la transformation, car le marché algérien ne produit pas de viande pour les industriels. Nous n’avons donc pas de solution de rechange. Si les pouvoirs publics, qui nous confondent avec les importateurs qui revendent le produit en l’état, n’octroient pas de dérogation aux industriels que nous sommes, nous serons très prochainement contraints à l’arrêt de notre activité», s’offusque Ourida Batouche, PDG de Prima Viandes. «Il est vrai que la viande congelée, notre matière première, est importée en devises de l’étranger, mais c’est un investissement qui permet de créer des emplois directs et indirects et de réexporter avec une plus value non négligeable à un moment où notre pays a besoin de maximiser ses rentrées en devises. Pour une entreprise génératrice d’emplois et à fort potentiel à l’export, l’accès à des matières premières qualitatives et à prix raisonnable est un facteur de compétitivité face à la concurrence sur les marchés internationaux. Ce n’est jamais une perte d’argent», poursuit Mme Batouche qui plaide au passage à ce que les pouvoirs publics fassent la différence en termes de droits de douanes imposés à une matière première et un produit acheté tout fait pour être revendu en l’état. «Nous, on rajoute de la valeur et on fait travailler les nôtres», dit-elle encore. «Taxer au même tarif de la matière première destinée à être transformée et des produits finis importés est une façon de tuer une industrie. Nous jouons à cartes inégales avec les importateurs et pour nous, c’est perdu d’avance», se désole la gérante de Prima Viandes dont la famille est connue pour avoir été à l’origine de la création d’une bonne demi-douzaine de fleurons de l’industrie algérienne. «Nous nous approvisionnons sur le marché informel» Créée en 2010, Prima viandes est une unité de production de produits surgelés à base de viandes rouges et blanches et qui emploie aujourd’hui 75 personnes à temps plein. «Il y a quelques mois, on tournait à 120 employés, mais les ruptures en matières premières nous ont obligés à licencier une partie de notre personnel ou à le mettre en chômage technique», explique Ourida Batouche. Sise à Taharacht, la fameuse zone industrielle d’Akbou, l’usine possède deux gammes de produits. La première est à base de viande rouge congelée pour produire des saucisses, hot dogs, boulettes de viande, etc. La deuxième gamme est à base de volaille pour produire des découpes de volaille cuites, marinées ou panées. Ces gammes de produits ciblent autant les foyers que la restauration rapide comme les fast-foods, la restauration collective via les écoles, les universités et les entreprises de catering, mais l’idée est également de simplifier la préparation des repas pour les ménagères. D’une capacité de production de 450 tonnes par mois, Prima Viandes ne tourne actuellement qu’à un tiers de ses capacités. «Nous avons commencé à exporter vers la Côte d’Ivoire avant l’installation de la crise pétrolière, mais les possibilités d’exportation existent, surtout vers l’Europe sur l’offre des produits hallal, en direction des communautés musulmanes.» «Nous sommes la seule usine algérienne en voie d’être homologuée pour la certification ISO 22 000. Nous pouvons exporter la gamme viandes rouges sans aucun problème, mais ce n’est pas le cas de la volaille, car le poulet algérien ne répond pas aux normes internationales pour tout ce qui est traçabilité», soutient notre interlocutrice. «La volaille algérienne n’offre aucune traçabilité permettant de répondre aux exigences de nos clients à l’export. Quant à nos besoins en découpes de volailles pour le marché algérien, nous passons notre temps à jongler entre la pénurie, des variations de prix à l’achat pouvant excéder les 30 à 40% en quelques jours, ou d’une saison à l’autre. Un réel parcours du combattant pour trouver des fournisseurs susceptibles de respecter notre cahier des charges en qualité et en quantité. Une industrie a besoin d’un minimum de régularité et de cohérence dans ses approvisionnements en matières premières, or nous sommes astreints à nous approvisionner sur un marché complètement instable où l’informel fait des ravages. Il est impossible d’être compétitifs et qualitatifs sur un marché qui suffit à peine à répondre aux besoins des ménages de façon cohérente, de là à alimenter des industries aux besoins très spécifiques en quantité, qualité et prix, et en concurrence à l’export avec des producteurs brésiliens et européens, le challenge devient insurmontable ! Or, je vous le dis, nous pouvons exporter vers l’Europe avec le soutien de notre gouvernement, car nous sommes combatifs, nous avons le savoir-faire, la richesse en gamme de produits, l’excellence gustative et enfin une garantie hallal sans failles. Qui dit mieux ?» tranche Ourida Batouche. «Quand je cherche un fournisseur local pour la volaille, je dois supplier pour avoir une facture. Malgré les aides et les subventions de l’Etat, une grande portion de la production de volaille est parallèle. Nous, nous sommes des industriels et nous construisons sur la durée et la transparence, nous ne sommes pas là pour faire un ‘‘cheap Buck’’ pour m’exprimer trivialement», dit-elle. Ce n’est pas le seul souci de notre manager qui dénonce aussi le «deux poids, deux mesures», du gouvernement : «Nous avons perdu beaucoup de temps. Pendant qu’on nous interdisait les années précédentes, à nous producteurs, d’importer la matière première qu’on transforme, notamment de la volaille, il y a eu des importations de produits finis, notamment des burgers du Brésil et des chicken nuggets à base de produits mêlés. Nous faisons travailler les usines de nos concurrents à l’étranger, contribuons à leurs emplois pendant que nos propres produits étaient concurrencés par des produits de basse qualités.»   «Nous voulons réexporter» Pour Ourida Batouche, cette politique encourage les gens à être plus importateurs que producteurs. «Il y a plus d’argent à se faire dans l’import-import pour moins de travail, moins de personnel, beaucoup moins d’investissements en équipements productifs dont la rentabilisation se fait sur des années. Un personnel qui pour être professionnel nécessite un encadrement à long terme de l’entreprise et des engagements continus en termes de formation et de moyens.» Au final, Mme Batouche plaide pour qu’il y ait un vrai distinguo entre les avantages qu’on offre à un producteur et ceux qu’on pourrait offrir à un importateur. «Ça coûte toujours moins cher d’aider les unités qui existent à se maintenir en vie qu’à en lancer de nouvelles. D’un côté, le gouvernement parle d’encourager la création de nouvelles start-up, de l’autre, on étrangle celles qui ont déjà investi et qui sont sur le terrain. Pourtant, nous avons donné toutes les garanties que la matière première sera destinée à la transformation et à la réexportation en produits finis. La solution est pourtant simple, l’activité d’importation est un vecteur nécessaire dans toute économie, mais il reste essentiel de prendre des mesures claires et décisives favorisant l’investissement productif. Un tel engagement devient un impératif de survie en l’état actuel de notre tissus industriel. Ces mesures que nous souhaiterions voir mises en place sont au demeurant simples, voire simplistes : une tarification douanière qui distingue une importation de matières premières destinées à la production d’une matière identique revendue en l’état. Des avantages fiscaux et en taux de crédits favorisant l’investissement productif. Un accès simplifié et sans entrave aux matières premières nécessaires aux unités de production. Une obligation de réactivité des instances administratives dont nous dépendons afin de déclencher des marchés à l’export. Nous avons un dossier de validation de notre unité par des vétérinaires européens (demande d’ouverture d’un certificat sanitaire) nous permettant d’exporter vers l’Europe. Ce dossier a été soumis il y a presque deux ans. Pas d’action ni de réponse malgré plusieurs relances de notre part au ministère de l’Agriculture. Où est la faille ??? Si nos instances dirigeantes n’agissent pas, c’est toute une filière industrielle qui risque de mourir de sa belle mort.»  

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire