jeudi 28 janvier 2016

Les avocats dénoncent «une condamnation par anticipation»

Les dernières plaidoiries du procès Sonatrach 1, qui se tient depuis plus d’un mois au tribunal criminel d’Alger, ont été faites par Maîtres Abdelaziz Izerouine et Madani Abdelhak, avocats de Belkacem Boumedienne, ancien vice-président de l’activité Amont.  D’emblée, Me Izerouine déclare que son mandant a cumulé toutes les accusations, «alors que 98% des faits reprochés ne concordent pas avec ce qui s’est passé à l’audience». Pour l’avocat, «les qualifications ont précédé les faits. Il y a eu non-respect du droit à la présomption d’innocence, ce droit que nous entendons uniquement dans les discours liés à la réforme judiciaire. La loi est censée protéger la liberté de toute personne». L’avocat assimile la détention préventive à «une condamnation par anticipation» parce que, souligne-t-il, «dans la tête des Algériens, la prison prouve la culpabilité de Boumedienne qui jusqu’à maintenant est présumé innocent». Il s’offusque contre le fait que cette détention ait été décidée «parce qu’Al Smail l’a reconnu dans le bureau du juge». «Le juge  n’a même pas pris la peine de lui demander où il l’a connu, comment et depuis combien de temps le connaît-il ? Il s’agit de la liberté des personnes consacrée par les lois divine et humaine.» Il s’interroge : «Quelles sont les garanties que Boumedienne n’a pas présentées pour qu’il soit mis en prison ?» L’avocat «rêve de voir» l’Algérie «consacrer le principe de la présomption d’innocence». Il conteste le qualificatif de «vache laitière» donné à Sonatrach, une entreprise qu’il présente comme une «mère nouricière», puis souligne : «Malgré les six années de détention, Boumedienne a gardé confiance en la justice. Le juge était incapable de nous ramener des témoins qui avaient la charge d’étudier les dossiers des sociétés. Durant les 20 mois d’instruction, il n’a pas entendu les personnes qui apportent un plus. Je défie tout le monde de trouver un seul élément qui prouve que les contrats ont été instruits, décidés ou signés par l’accusé. Tous les actes de gestion sont signés et enregistrés. Celui qui commet des choses douteuses ne peut laisser de traces. Malheureusement, l’instruction a été uniquement à charge.» L’avocat rappelle au président qu’il avait rassuré certaines personnes en leur disant de ne pas avoir peur, parce qu’elles sont témoins et qu’elles ressortiront du tribunal en tant que tels . «Ils avaient peur parce que tout ce qui est reproché à Boumedienne ce sont eux qui l’ont commis», lance Me Izerouine, ajoutant plus loin : «Boumedienne n’a fait qu’exécuter les instructions de son ministre toutes couvertes par le règlement interne de Sonatrach et dont la sécurité ‘‘passe’’ avant tout autre considération.» Il affirme que la sécurisation des installations «était suivie de près par les plus hautes autorités, et si Boumedienne est là, c’est uniquement parce que le nom de Meziane se trouve dans le statut de la société qui a pris des marchés». Il se demande : «Comment en est-on arrivé à criminaliser des actes de gestion ? Aucun des témoins ne vous a dit que Boumedienne savait que le nom de Meziane était sur les statuts du groupement Contel. Comment peut-on le poursuivre pour des actes de gestion régis par un règlement intérieur ? Comment se fait-il que d’autres sociétés comme Vsat qui ont bénéficié des mêmes contrats de gré à gré ne sont pas ici ?» Il réclame l’acquittement de son mandant, avant de céder la barre à Me Madani, qui lui aussi fustige la détention préventive «devenue une condamnation par anticipation. J’ai honte pour mon pays», dira-t-il. Revenant aux faits, Me Madani met en avant «la compétence professionnelle» de Boumedienne avant d’évoquer l’enquête préliminaire de la police judiciaire qui, d’après lui, a estimé que «Mohamed Meziane, PDG de Sonatrach, avait besoin de la complicité de Boumedienne pour donner les contrats de télésurveillance au groupement Contel-Funkwerk». Abordant le volet technique, Me Madani révèle que le statut de Sonatrach donne tous les pouvoirs au PDG, qui assume également le poste de président du conseil d’administration : «La loi lui donne toutes les prérogatives, mais il ne fait rien sans passer par le comité exécutif qui valide toutes les décisions. Ces données légales n’ont pas été prises en compte par la police judiciaire.» Il regrette qu’après 20 mois d’instruction, le juge n’a pas fait mieux que l’enquête préliminaire. Citant les instructions de Chakib Khelil, membre du conseil d’administration de Sonatrach et président de l’assemblée générale, l’avocat explique : «La première est venue après l’accident de Skikda, qu’il a d’ailleurs imputé à une négligence des cadres de Sonatrach. La seconde a été faite quelques mois après. Le ministre a dénoncé le retard, avant de rédiger une trosième instruction, un peu plus tard, pour sermonner les cadres qui, selon lui, persistent dans les retards. La quatrième instruction faisait état de menaces de sanctions contre les dirigeants. Ces instructions ne justifient-elles pas l’urgence ?» Selon Me Madani, les instructions de Chakib Khelil «ont même poussé le comité exécutif à se réunir deux fois sur le projet de sécurisation des installations». Se basant sur les propos du président de la commission des marchés, M. Ghezli, Me Madani affirme que les lotissements du marché et leur répartition à travers les sociétés n’ont pas été faits par Boumedienne, «mais par la commission, dans le but d’éviter le monopole d’une entreprise sur les installations à équiper». Des propos qu’il a du mal à terminer. Il est pris de malaise, et le président lève l’audience pour lui permettre de se reposer. Quelque temps plus tard, il revient à la charge. Pour lui, Boumedienne a signé plus de 550 actes de gestion, et de ce fait «personne ne peut venir aujourd’hui dire qu’il a violé la R15». Sur la comparaison faite entre les projets de sécurisation des sites de l’activité Amont et avec ceux de l’activité Aval, l’avocat déclare qu’elle n’est pas valable. «Comment accepter de comparer la consultation de l’activité Aval dirigée par Feghouli et celle de l’activité Amont validée par le comité exécutif qui sont totalement différentes, comme le jour et la nuit ? En 2006, la consultation restreinte n’était pas prévue par la R15. Elle a été décidée par le PDG. Les faits de 2006 et ceux de 2008 diffèrent, tout comme les installations de sécurité au niveau de l’Amont et de l’Aval. Les sites de l’Amont sont dispersés dans le désert, et ceux de l’Aval se trouvent dans des zones urbaines déjà entourés par un dispositif de sécurité. Ce qui n’était pas prévu en 2006 l’était en 2008.» A propos du choix du mieux disant et non pas le moins disant comme le stipule la R15, Me Madani se réfère aux déclarations de Ghezli qui avait dit que la décision de privilégier le mieux disant a été prise au niveau de la commission. «Si cela est illégal, pourquoi Ghezli n’est pas dans le box avec Boumedienne ? C’est de l’injustice pure et simple. La seule condition prévue légalement pour signer un gré à gré est d’avoir l’autorisation du PDG. La dérogation n’est qu’un acte administratif qui soulage le PDG du nombre important de signatures. Pourquoi venez-vous aujourd’hui nous dire que Boumedienne a signé des contrats en violation des réglements ?» souligne l’avocat. Sur la non-publication de la consultation restreinte, il regrette que le juge «ait pu confondre entre les propos de Ghezli qui était président de la commission du marché de la base du 24 Février de 2008 et non pas du projet du CIS. Nous avons ramené des preuves écrites, et non pas verbales, comme l’a fait le juge. En 2007, Boumedienne a donné des instructions écrites pour que tous les avis d’appel d’offres soient publiés. Le juge  ne retient que des déclarations très fragiles pour inculper Boumedienne. Nous n’étions pas dans une logique de complicité. Il faut que cela s’arrête. Il ne faut pas avoir honte de reconnaître que Boumedienne a fait l’objet d’une injustice. J’ai connu cet homme en 2010 et je ne suis pas arrivé à lui restituer ce qu’il a perdu». Encore une fois, l’avocat perd la voix suite à l’émotion. Le président lui demande «d’aller doucement pour pouvoir défendre l’accusé». Me Madani poursuit. Il s’insurge contre la partie civile, représentée par Sonatrach. «Une autre aberration qui s’ajoute au dossier. A ce jour, la partie civile n’est pas capable de faire l’évaluation du préjudice», lance l’avocat d’une voix résonnante, laissant quelques larmes couler sur ses joues. Il reprend son souffle et dirige son regard vers son mandant : «En 2007, Boumedienne a fait l’objet de 2 enquêtes d’habilitation qui ont conclu à l’honnêté, au patriotisme et à la compétence. Ne pleurez pas Boumedienne.» Le président : «C’est vous qui le faites pleurer.» Me Madani insiste sur «cette logique de complicité» qui a animé «l’instruction» pour impliquer Belkacem Boumedienne. Il termine en demandant l’acquittement et «la réhabilitation» de son mandant.

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