Pied de nez et/ou bras d’honneur d’anthologie à l’adresse du monde du travail et à ses luttes sociales. C’est dans la douillette enclave du Club des Pins, la costa de la nomenklatura proscrite pour les laborieux indigènes, que les dignitaires de l’UGTA ont célébré hier le double anniversaire de la naissance (24 février 1956) de l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA) et de la nationalisation des hydrocarbures (24 février 1971). C’est dans ce cadre huppé, humant l’air insulaire, loin, très loin des révoltes et grondements du front social et de ses masses laborieuses, que Sidi Saïd, l’inamovible secrétaire général de l’UGTA, a convoqué sa grande kermesse. «Une cérémonie grandiose comparée aux précédentes, prévient cet organisateur, mais celle-ci reste dans ses limites protocolaires et ne vous attendez pas à ce qu’il y ait des annonces spectaculaires.» Plus de 1200 invités, tous triés sur le volet, étaient venus au Palais des nations commémorer plus d’un demi-siècle de luttes syndicales et de ferraillage. Des invités de marque, nationaux et étrangers, dont les représentants d’une brochette d’organisations syndicales régionales et continentales (Fédération syndicale mondiale, Organisation de l’unité des syndicats africains, Union syndicale des travailleurs du Maghreb, Organisation arabe du travail) auxquels s’ajoutent les représentants des agences onusiennes, du Bureau international du travail, dont certaines de ses activités sont désormais financées par l’Etat algérien. A cette commémoration fastueuse, le bleu de travail n’était pas de circonstance. Les syndicalistes, dont beaucoup de vétérans de la «première grève», soudés à l’appareil, sont en fringants costards et cols blancs. Dans les parkings alentours, les rutilantes berlines transportant les camarades syndicalistes témoignent toutes des vertus miraculeuses de l’ascenseur social. Toujours fulgurant pour les camarades bourgeois. Devant les associations patronales, présentes en force et en nombre comme le gouvernement Sellal d’ailleurs, Abdelmadjid Sidi Saïd, le maître de cérémonie, a épuisé ses trésors de thuriféraire. Le zèle du flagorneur pro-Bouteflika a fait sourire l’assistance plus d’une fois. Dans son discours consacré à ce «moment fort (...) à ce jour de mémoire et de la souvenance», il réitérera plus d’une fois ses «remerciements au président Bouteflika pour sa disponibilité et sa gestion consensuelle de la conclusion du pacte économique et social de croissance (2014) », ses remerciements également pour sa «perspicacité et sa clairvoyance» pour sa décision portant désendettement par anticipation. Constatant la tiédeur de l’assistance et des applaudisseurs professionnels, Sidi Saïd osera même demander une stand-ovation «de quelques secondes». Ce qu’il obtiendra. «Vous devriez applaudir mes chers amis, autrement nous ne serions pas là», lance-t-il avec son sourire en coin. Le SG de l’UGTA ne manquera pas d’encenser la nouvelle Constitution qui consolide, selon lui, «l’unité nationale, renforce l’Etat de droit (…) une Constitution consensuelle (qui) est une véritable mise à jour du contrat social». «L’UGTA est fière de cette Constitution courageuse et digne de l’avenir de notre pays», achève-t-il son propos. Pas un mot sur cette même Constitution qui grave dans le marbre l’orientation libérale de l’économie algérienne, ni envers sa base syndicale zappée de bout en bout. Seul représentant patronal à prendre la parole, Ali Haddad. Le président du Forum des chefs d’entreprise (FCE) s’est distingué par un discours très offensif. Incisif même. «La mondialisation, dit-il, est une réalité. Elle ne nous offre d’autre choix que celui d’épouser ses grands principes. Le seul choix qui s’offre à nous est soit une insertion maîtrisée à l’économie mondiale en gardant l’initiative et en imposant les limites, soit une insertion forcée qui nous livrerait pieds et poings liés au diktat des puissants de ce monde.» Pour le FCE, ajoute-t-il, le choix est fait : «Nous devons absolument rester maîtres de notre destin et prendre les mesures qui s’imposent pour nous adapter à un monde où seuls les puissants sont admis comme acteurs.» Haddad brocardera, non sans ménager les dirigeants politiques, les choix économiques de l’Algérie post-indépendance et leur «recours au dirigisme sur le plan économique». «La crise du modèle de développement socialiste et la mondialisation conjuguées aux difficultés internes du pays ont non seulement montré les limites des choix opérés mais ont également révélé les nouvelles aspirations en gestion au sein de la société algérienne. Des aspirations au bien-être, à la participation et à la liberté d’initiative qui s’imposaient en éléments constitutifs d’une démarche à laquelle les Algériens ont pleinement souscrit et que nos dirigeants respectifs ont su mener avec sagesse et pondération pour éviter toute fracture irréversible.» Comme pour conjurer l’étiquette collante de spécimens bourgeois ou d’oligarques en devenir, il défendra son patronat algérien : «Les capitaines d’industrie et les chefs d’entreprise, que nous sommes, sommes le fruit de ce processus et ne sont aucunement les héritiers issus d’une lignée séculaire d’un capitalisme dominateur. De ce point de vue, notre pleine adhésion à l’économie de marché ne relève d’aucun dogme ni d’aucun suivisme, elle procède de notre conviction qu’il s’agit là de la meilleure manière de créer la richesse, de promouvoir la liberté et d’améliorer les conditions de vie de nos concitoyens. Nous nous enracinons dans le cadre national et cultuel en intégrant les valeurs propres à notre génie national, à l’entraide.» Ce discours passe mal auprès de certains syndicalistes allergiques au pedigree patronal. «Nous lui avons offert une tribune pour qu’il nous insulte», commente un leader syndical. Pour Noureddine Bouderba, ancien syndicaliste (Fédération des pétroliers), l’UGTA a cessé d’être un syndicat combatif. «C’est un syndicat devenu stérile, vendu et qui a tiré un trait sur la base dès lors qu’il a ratifié le pacte économique et social.» «Toutes les grèves qu’il y a eues depuis 2006, enchaîne-t-il, ont été menées contre l’UGTA. Plus de 80% des structures horizontales et verticales (unions et fédérations) sont dans l’illégalité et 90% des cadres dirigeants sont à la retraite, donc inactifs.» A la fin de la cérémonie, sous l’œil amusé de Hadj (Amar) Saadani (droits réservés à Sidi Saïd qui interpella ainsi le SG du FLN), des distinctions et hommages ont été rendus, à titre posthume, aux héros du syndicalisme algérien, dont Abdelhak Benhamouda assassiné et à Aïssat Idir, le fondateur de l’organisation, mort sous le torture en 1959.Le fils de Aïssat Idir est ravi. «Ils ont donné son nom à un boulevard et à une station métro. La plaque accrochée dans l’enceinte de la station dit : Aïssat Idir est mort dans des circonstances étranges. Qu’est-ce que cela veut dire alors qu’il était mort sous la torture ?» La kermesse s’achève en apothéose. Non pas par «l’Internationale» passée de mode à Club des Pins mais par le chant des travailleurs algériens célébrant les : «djound al amal, djound al amal (les travailleurs en arme, les soldats de l’espoir)».
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