Le procureur du tribunal d’Oran a requis hier une peine de six mois de prison ferme à l’encontre de Abdelfatah Hamadache, poursuivi par le chroniqueur et écrivain Kamel Daoud pour «menace de mort» et «diffamation». Autoproclamé objecteur de conscience, Abdelfatah Hamadache — chef d’un parti non agréé, le front de la Sahwa islamiste salafiste libre — a comparu hier devant le tribunal d’Oran, où il devait répondre de deux délits, «diffamation» et «menace de mort», commis contre le chroniqueur et écrivain Kamel Daoud. Selon l’avocat de ce dernier, Abderrazak Fodil, présent à l’audience, Hamadache n’a pas jugé utile de se faire assister par un avocat. «Il est venu seul et était très serein. Il n’a pas changé ses propos tenus contre Kamel Daoud diffusés sur les réseaux sociaux. Bien au contraire, il les a réitérés en précisant qu’il était conscient et qu’il savait très bien ce qu’il écrivait. Il a déclaré avoir lancé un appel à l’Etat algérien pour qu’il prenne les mesures adéquates contre l’écrivain parce que, selon lui, il a porté atteinte à l’islam, à la langue arabe et aux constantes du pays. C’est un mortad (renégat)», affirme Me Fodil. Et d’ajouter : «Ses propos étaient tellement arrogants que le juge s’est senti obligé de le remettre à sa place. Il lui a dit : ‘‘Vous n’avez pas le droit d’agir de la sorte’’…» Me Fodil revient également sur le réquisitoire du procureur. Pour le magistrat, révèle l’avocat, les propos de Hamadache contre Kamel Daoud comportent tous les éléments constitutifs des deux délits pour lesquels il y a eu dépôt d’une plainte en 2014. «Mieux encore, le procureur ne s’est pas limité à faire sa demande de 6 mois de prison et de 50 000 DA d’amende. Il l’a défendue et argumentée. Il a même déclaré au prévenu qu’il n’avait pas le droit de saisir l’Etat par un tel appel. Il lui a précisé qu’il aurait pu déposer une plainte auprès des tribunaux ou des commissariats au lieu de recourir aux menaces de mort», souligne l’avocat, lequel a axé sa plaidoirie sur le caractère extrêmement grave et menaçant du prévenu contre son mandant, tout en réclamant «le dinar symbolique comme dédommagement et la réhabilitation» du plaignant. En attendant le verdict, qui sera connu le 8 mars, il faut reconnaître que ce procès est une avancée considérable. Depuis quelques années, des islamo-conservateurs se sont érigés en objecteurs de conscience, intervenant dans tous les débats publics, notamment sur les chaînes privées, pour proférer des fetwas tantôt contre les femmes divorcées, celles qui travaillent ou ne portent pas le voile, tantôt pour empêcher la promulgation de la loi contre les violences à l’égard des Algériennes, ou tout simplement contre la liberté de penser, comme cela a été le cas pour Kamel Daoud, qui a fait l’objet d’un appel au meurtre en décembre 2014 lancé sur les réseaux sociaux par Hamadache, autoproclamé chef des salafistes en Algérie. Ce dernier a carrément exhorté l’Etat d’instaurer «el houdoud» (le châtiment extrême) contre l’écrivain, qu’il a qualifié d’«apostat et sioniste qui insulte Allah et le Coran et combat l’islam». «Si la charia islamique était appliquée en Algérie, la sanction serait la mort pour apostasie et hérésie», avait-il écrit, suscitant un vaste mouvement de solidarité avec l’écrivain. Une pétition nationale est lancée par un groupe d’intellectuels à des «poursuites contre ces appels au meurtre» qui, selon les milliers de signataires, «rappellent les pires moments de l’Algérie face au GIA». Hamadache n’en est pas à sa première fetwa. Encouragé par la passivité des autorités, plus promptes à réagir lorsqu’il s’agit d’écrits de journalistes, il s’est érigé en véritable police des mœurs, allant jusqu’à diriger des campagnes «pour des villes propres» contre celles qu’il juge comme étant «des lieux de dépravation», mais aussi contre les maillots sur les plages, pour ne citer que ces campagnes qui rappellent les sinistres souvenirs de la fin des années 1980 et de la décennie rouge. Un rappel à l’ordre est plus que nécessaire parce que les libertés individuelles, chèrement acquises, sont consacrées par la loi et force doit rester à la loi et non pas à Hamadache et consorts.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire